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Finalement, c’est quoi la morale de Death Note ?

Finalement, c’est quoi la morale de Death Note ?

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Par Hong-Kyung Kang

Publié le

La sortie prochaine du nouveau chapitre de Death Note est l'occasion de se pencher sur les messages que délivrent les mangas.

Le manga légendaire Death Note s’offre une suite qui paraîtra en février prochain au Japon. L’œuvre d’Ōba et Obata est notamment connue pour délivrer un questionnement sur la morale de notre société, son système de fonctionnement et ses failles.

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La quête du bien est un thème courant dans les shōnen, les mangas destinés à des garçons adolescents. Alors même que cette composante de la culture japonaise est aujourd’hui encore décriée par beaucoup en France, les animes ont toujours proposé une réflexion sur notre société. (Attention, spoilers de Death Note, Hunter x Hunter et Assassination Classroom).

L et Kira, deux visions de la morale qui s’affrontent

Dans Death Note s’affrontent deux antagonistes, qui défendent chacun leur vision de la justice. D’un côté, le personnage principal Light Yagami alias Kira (killer prononcé à la japonaise), propriétaire du fameux cahier de la mort, et de l’autre L, un détective déterminé à tout pour l’arrêter.

Lorsque Light obtient le Death Note, il est sûr d’une chose : le monde dans lequel nous vivons est gangrené par le crime et il n’appartient qu’à lui de le purifier. L’adolescent n’hésite donc pas à faire usage du cahier diabolique et commence à y noter les noms de criminels qui décèdent alors aussitôt. Kira se pose en tant que témoin, juge et bourreau, et impose sa justice arbitraire, persuadé du bien-fondé de ses actes. L’homme se prête à jouer au dieu de la mort.

Light Yagami alias Kira © Madhouse

De son côté, L est persuadé que Kira incarne le mal. En effet, il est inconcevable pour le détective de pratiquer une justice aussi arbitraire. L est attaché aux valeurs traditionnelles et met donc tout en œuvre pour stopper Light.

L, le grand ennemi de Kira © Madhouse

Ce sont en fait deux visions ancestrales de la morale qui s’affrontent ici. D’un côté, Kira défend une morale dite utilitariste, où la fin prime sur les moyens. Pourquoi se priver de tuer des criminels sans procès lorsqu’on est sûr qu’un tel acte rendra le monde plus sûr ? L, quant à lui, défend une vision de la justice plus courante dans nos instances juridiques d’aujourd’hui : on ne peut pas commettre de crimes impunément, même lorsqu’on prétend agir pour le bien (c’est ce qu’on appelle… du terrorisme). La fin ne justifie jamais les moyens.

Le meurtre : parfois expliqué, jamais justifié

Avec un tel postulat de base, les auteurs du manga ne pouvaient tout simplement pas laisser Kira gagner, ou du moins lui accorder une fin glorieuse. Si Light Yagami réussit à se défaire de son grand rival L, c’est Near, le successeur de ce dernier, qui parvient à coincer le meurtrier. À la fin de l’anime, Kira meurt sur un escalier, représentant ainsi symboliquement cette loi de Death Note : “Celui qui écrit dans le cahier de la mort n’ira ni au paradis ni en enfer.”

Quelle société aurait été mise en place si Light avait gagné ? Certains personnages du manga affirment à plusieurs reprises que les meurtres de Kira ont contribué à rendre le monde plus sûr pour les citoyens honnêtes. Une sécurité qui se paye cependant au prix fort : il est dit dans le manga que les gens ont désormais peur d’être épinglés sur Internet, après avoir commis des délits mineurs, par peur des représailles de Kira.

Le monde proposé par Light est gouverné par la peur. Si le nombre de crimes a été effectivement amoindri par les agissements de Kira, la paranoïa ressentie par les citoyens évoque, si on pousse la comparaison, à ce que décrit Orwell dans son roman dystopique 1984. Surveillance absolue et élévation au rang de quasi-divinité : entre Big Brother et Kira, il n’y a qu’un (petit) pas.

1984 de Michael Radford (1984)

Le manga reste toutefois nuancé. Si les meurtres de Kira ne sont jamais glorifiés, sa vision de la justice n’est finalement pas décriée dans sa totalité. Death Note pointe du doigt les failles du système juridique actuel, et la tendance qu’ont les instances étatiques à échouer à punir les criminels.

Cette neutralité est représentée par Ryuk, le dieu de la mort descendu sur Terre. Ce dernier ne juge jamais Light, il se contente de l’informer sur les conséquences de son activité dans le Death Note. Ryuk est amoral : il n’a que faire des considérations sur le bien et le mal des humains.

Le dieu de la mort Ryuk © Madhouse

À travers les yeux de Ryuk, tout n’est qu’ironie. Le dieu de la mort regarde avec désintérêt les humains se débattre pour leur justice. La chute de Kira rendra-t-elle le monde meilleur ? On ne le saura pas, et Ryuk s’en fiche. Pour lui, la période de Kira ne fut qu’un cycle parmi d’autres, que les humains sont condamnés à répéter.

Toute vie est précieuse

Beaucoup de mangas nous apprennent que la vie de chacun est précieuse. Dans Détective Conan, le personnage principal est un détective qui résout des mystères en menant des enquêtes. Alors que le manga présente des centaines de meurtres, jamais ces derniers ne sont justifiés. De même, toute vie est traitée à égalité, et le jeune détective n’hésite jamais, par exemple, à empêcher les criminels de commettre un suicide, lorsqu’ils sont pris de remords. Toute vie compte.

Edogawa Conan © TMS Entertainment

Dans Assassination Classroom, le personnage de Koro-Sensei, professeur principal de la classe 3E, n’est autre qu’un ancien tueur. Ce parallèle entre le meurtrier et le professeur n’est pas anodin : l’un supprime la vie tandis que l’autre aide à l’épanouissement de cette dernière. On peut y voir ici une critique du système japonais : les citoyens sont livrés à eux-mêmes dans une société ultra concurrentielle qui les pousse à devenir impitoyables pour réussir.

Koro Sensei © Lerche

Mais plus que cela, c’est une belle leçon que Koro-Sensei donne à ses élèves : croire en eux et en leurs talents, et les mettre au service d’un monde meilleur. Nagisa, élève de la 3E qui présente des talents de meurtriers, trouve finalement sa vocation à la fin du manga : celle de professeur. Une vie à prendre celle des autres ne vaut pas la peine d’être vécue, et être le meilleur pour être le meilleur ne sert à rien. L’important est d’accéder au bonheur.

Pour en revenir à Death Note, le lecteur du manga se pose des questions quant aux réelles motivations de Kira. En écrivant dans le cahier de la mort, Light voulait-il réellement faire le bien, ou était-ce uniquement pour lui un moyen de satisfaire son ego ? Alors que le jeune génie devient de plus en plus mégalomane au fur et à mesure de l’intrigue, sa chute semble en partie due à son manque de considération pour l’existence humaine : les hommes et les femmes ne sont plus que du bétail à maîtriser avec le Death Note. Une vision de l’humanité étrange pour celui qui prétend vouloir bâtir une société meilleure.

L’humanité en quête d’elle-même

Ce questionnement sur la frontière entre l’humanité et la bestialité se retrouve également dans le shōnen Hunter x Hunter. Pendant l’arc narratif des fourmis-chimères, le monde se voit menacé par une nouvelle espèce vivante, des fourmis qui dévorent toute forme de vie organique pour prospérer. Afin de préserver l’humanité, Netero, le président de l’association des Hunters (des hommes et femmes aux pouvoirs surnaturels), affronte Meruem, le roi des fourmis.

Netero © Madhouse

De prime abord, les deux antagonistes sont clairement définis : d’un côté, l’humain, et de l’autre, l’animal. Cependant, le combat se révèle plus nuancé. Netero, censé représenter l’humanité, n’hésite pas à faire appel à la plus horrible des sournoiseries : alors qu’il est sur le point de perdre, il fait exploser une bombe atomique. Meruem, quant à lui fait preuve de plus d’empathie. Il refuse d’abord d’affronter son adversaire, estimant qu’un combat est inutile lorsque le dialogue est possible. Le roi des fourmis se décide à combattre lorsque Netero lui déclare qu’il lui dévoilera le nom que lui a donné sa mère (que Meruem ignorait jusqu’alors).

Meruem © Madhouse

À la fin de cet affrontement, Netero meurt avec l’explosion qu’il a déclenchée. L’homme devient alors bestial : afin d’arriver à ses fins, il est prêt à commettre les pires horreurs. De son côté, Meruem accède à l’humanité. En apprenant son nom, le roi des fourmis prend conscience de son identité. Dans la culture populaire, comme dans la culture classique, nommer quelqu’un ou quelque chose représente toujours un acte symbolique (comme dans la religion catholique par exemple : “Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église”). Meruem, littéralement “la lumière qui illumine tout”, change donc d’état d’esprit à l’issue du combat et décide d’annuler son projet de destruction de l’humanité.

Tous ces parallèles ramènent encore une fois à Death Note. Tout compte fait, Light s’est perdu dès lors qu’il a embrassé l’identité de Kira, en prétendant défendre une humanité dont il ne faisait plus partie. À l’instar de Lucifer, ange déchu tombé aux enfers après avoir convoité la place de Dieu, Light Yagami a orchestré sa propre chute en voulant voler toujours plus haut.