L’Illusion nationale, le roman-photo qui nous plonge au cœur de la montée du Front national

L’Illusion nationale, le roman-photo qui nous plonge au cœur de la montée du Front national

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Par Paulina Gautier-Mons

Publié le

Valérie Igounet et Vincent Jarousseau ont enquêté pendant deux ans dans les villes du Front national pour comprendre comment les habitants en sont venus à voter pour ce parti d’extrême droite. Sous la forme d’un roman-photo où rien n’aurait été inventé, ils livrent le résultat de leur enquête. Publié par la Revue XXI et les Arènes, L’Illusion nationale propose une immersion franche dans la France des “oubliés” tels que Marine Le Pen les appelle.

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Valérie Igounet est historienne, spécialiste de l’extrême droite en France tandis que Vincent Jarousseau est photo-documentariste. Pendant deux ans, ils ont parcouru ensemble trois des onze villes dont les mairies sont dirigées par le FN depuis 2014. En choisissant de se concentrer plus particulièrement sur Hénin-Beaumont, Hayange et Beaucaire, ils se sont intéressés à des villes qui ont connu un certain dynamisme économique autrefois avant de sombrer dans l’endettement.

Désireux de comprendre les habitants de ces villes désenchantées, Valérie Igounet et Vincent Jarousseau sont allés à leur rencontre pour prendre le temps d’écouter leurs histoires. Ce sont elles qui amènent les gens à passer du parti communiste au parti d’extrême droite, ce sont à travers elles que l’on entend les blessures et les désillusions de ces électeurs désespérés. Car c’est bien le désespoir qui est la première motivation du vote FN : il s’agit de gens sans travail, de personnes isolées, recluses dans des réalités laborieuses, sans accès à la culture et qui cherchent des boucs émissaires.

À Hayange, le conseiller municipal délégué à la culture et à la vie associative est tellement fan de Johnny Hallyday qu’il en a adopté le style, la coiffure, les lunettes. À propos de la crise migratoire, il déclare : “Les Français sont dans la merde. On leur donne rien et, à ceux de Calais, on leur donne plein de trucs. C’est pas le fait d’être raciste, mais quand même.” Sa femme, première adjointe au maire, se dit humaniste, mais veut se battre contre ceux qui imposent “leur propre style de vie” en France. Des incohérences qui font rejaillir le vrai visage du FN…

Dans les trois villes parcourues par les deux enquêteurs on constate de légères baisses des impôts, des initiatives collectives, des rues propres et même l’ouverture d’une mosquée à Hénin-Beaumont… Les maires (Steeve Briois à Hénin-Beaumont, Julien Sanchez à Beaucaire et Fabien Engelmann à Hayange) prennent des mesures symboliques qui ne peuvent que plaire à tous.

Mais derrière ces efforts admirables se révèlent d’autres décisions moins louables qui rappellent que le FN n’est toujours pas un parti comme les autres : bannissement de la danse orientale, vote d’un arrêté anti-mendicité (à Hayange), places de marché réservées aux commerces “traditionnels”, fermeture d’un centre social, obligation pour les épiceries de fermer à partir de 23 h (texte entrant en vigueur lors du ramadan à Beaucaire), renforcement de la police, installation de caméras sans demander d’autorisation préfectorale, refus d’accorder un stand au Secours populaire (à Hénin-Beaumont)… Histoire qu’on n’oublie pas à quoi ressemblerait la France si le FN passait.

On soupçonne Vincent Jarousseau d’avoir choisi de réaliser ses photographies en noir et blanc pour souligner l’immobilité dans laquelle les habitants de ces petites bourgades vivent. Sans s’oublier dans des artifices superflus, le photographe saisit des instants mémorables, comme les visages hilares des électeurs du FN lors de manifestations, et réalise de beaux portraits – quoique toujours un peu inquiétants – de ces gens qui font aussi la France. Encourageant, comme toujours, un journalisme différent mais puissant, la Revue XXI et les éditions des Arènes offrent ici un magnifique récit démocratique. L’Illusion nationale est un reportage passionnant, accessible à tous, qui prouve que le genre du roman-photo a de beaux jours devant lui s’il s’ouvre à de nouvelles formes…