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En images : retour sur des baisers très politiques

En images : retour sur des baisers très politiques

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Par Virginie Cresci

Publié le

En cette journée internationale du baiser, retour sur quatre photographies où le baiser a un arrière-goût très politique.

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“Le baiser est la plus sûre façon de se taire en disant tout”, disait Maupassant. En politique, le baiser se fait rare, mais lorsque les longs discours ne suffisent pas, il se révèle être un puissant outil de communication. Retour sur quatre baisers torrides immortalisés par des photographies, aux messages très politiques.

Le baiser de la fraternité

Berlin. 1979. Le monde et la capitale allemande sont divisés par la Guerre froide. Le 5 octobre, le régime communiste organise une grande parade pour le trentième anniversaire de la République démocratique allemande (RDA), avec comme invité d’honneur, Leonid Brejnev, dirigeant de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Après un long discours d’Erich Honecker, qui dirige alors la RDA, les deux hommes politiques s’embrassent. Régis Bossu, photojournaliste français pour l’agence Sygma, appuie sur le déclencheur et immortalise le baiser politique le plus mythique de l’Histoire (puisque c’est le seul et l’unique).
La photo se retrouve à la une de Paris Match et fait le tour du monde. Dans son journal, le photographe écrira : “Ce très chaud baiser ne pouvait que faire fondre une guerre froide, n’est-ce pas ?” Dix ans plus tard, le mur de Berlin tombe. Des street artists dessinent les fragments d’une guerre sans fin sur les restes de quelques pans de murs appelés East Side Gallery. Dimitri Vrubel, artiste russe alors inconnu, y peint le célèbre baiser entre Brejnev et Honecker, une œuvre qu’il intitula Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel.

Le baiser de Marseille

Marseille. 2012. La France débat sur la loi pour le Mariage pour tous, qui vise à autoriser le mariage civil pour les personnes de même sexe. Le 23 octobre, une manifestation contre le mariage homosexuel organisée par Alliance Vita, une association pro-vie fondée par Christine Boutin en 1993 sévit dans la cité phocéenne. Les prémices des futures manifestations qu’on nommera Manif pour tous. Julia Pistolesi et Auriane Wirtz-Susini, deux étudiantes de 17 et 19 ans, amies de longue date, passent par hasard devant la préfecture des Bouches-du-Rhône où l’association prépare une mise en scène qui sépare distinctement les hommes et les femmes.
Les deux jeunes femmes s’avancent alors dans l’allée et s’embrassent. Gérard Julien, responsable du service photo de l’agence France-Presse (AFP) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur photographie l’instant, loin de se douter que sa photo deviendra l’emblème de la loi sur le Mariage pour tous. Quant aux deux amies, ni militantes LGBT, ni homosexuelles, elles racontent à Têtu avoir agit spontanément. “Sur le moment, on a surtout voulu les faire chier ! Même si on n’est pas lesbiennes, une femme avec une femme, on trouve ça complètement banal”, confie Auriane. Pendant le bref temps du baiser, les militants eux criaient “Vous êtes dégueulasses ! Vous êtes pas belles !”, raconte Julia. Nous, on trouve ça très beau.

Le baiser de Vancouver

Vancouver. 2011. Le 15 juin, les Canucks, l’équipe de hockey sur glace de la ville s’attend à gagner la finale de la National Hockey League (NHL), mais perd finalement contre les Boston Bruins. Plus de 100 000 supporteurs en colère foncent vers le centre-ville provoquant une violente émeute. Une jeune fille est renversée. Elle tombe “la tête la première contre le bitume”, explique un témoin au Vancouver Sun. “Son petit ami a quasiment atterri sur elle”, continue-t-il. “Elle avait mal, elle pleurait, mais les deux policiers leur ont donné un dernier coup pour la route et se sont éloignés.”
Le photographe Richard Lam est présent dans la foule. Il tente de fuir les coups de la police et des perturbateurs lorsqu’il aperçoit l’étreinte des deux jeunes à quelques mètres de lui. “C’était le chaos complet, décrit-il au Guardian, des émeutiers ont mis le feu à deux voitures […].” Quelques secondes avant que les policiers chargent, il prend quelques clichés et s’enfuit. “J’ai su que j’avais capturé un ‘moment’ quand j’ai photographié ces corps immobiles au milieu d’un tel chaos”, confie-t-il. Mais à cet instant, il ne sait même pas que le couple est en train de s’embrasser. Il renomma sa photo L’Amour chaotique. Depuis, l’image a fait le tour du Web et est devenue un emblème de la lutte contre les violences policières.

Le baiser volé à la police

Suse, Italie. 2013. Le 16 novembre, une manifestation contre la ligne à grande vitesse Lyon-Turin éclate. Nina de Chiffre, une jeune manifestante fait mine d’embrasser un policier antiémeute à travers son casque. Dans le journal La Repubblica, elle raconte avoir ressenti “de la pitié et du dégoût” pour ce jeune homme âgé de 20 ans, comme elle. “J’ai essayé de le provoquer un peu comme une prostituée l’aurait fait dans une rue […] Je ne me suis pas limitée à l’embrasser comme on l’a vu sur la photo. Enfin, je lui ai dit des choses pour voir s’il réagissait, mais il est resté impassible. Je lui ai aussi léché la visière, je me suis léché les doigts et j’ai touché ses lèvres”, raconte-t-elle un brin provoc.
Le photographe indépendant Marco Bertorello qui travaille pour l’AFP prend en photo ce baiser interdit qui nous fait penser à la mythique Jeune fille à la fleur de Marc Riboud. Un cliché pris en 1967 pendant un rassemblement contre la guerre au Viêt Nam, devenu symbole du pacifisme. Mais cette photo-là fait polémique et Nina de Chiffre est accusée d’agression sexuelle par un syndicat d’officiers de la police italienne. Alors qu’on pourrait y voir un geste pacifique, la jeune activiste définit son geste comme “un geste de dégoût envers la police”, et surtout pas “un signe de paix”. Comme quoi, un baiser peut avoir bien des significations.