AccueilPépite

Saw, emblème malgré lui du “torture porn”

Saw, emblème malgré lui du “torture porn”

avatar

Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Fans et créateurs de la célèbre franchise horrifique ont toujours rejeté cette catégorisation pas hyper, hyper flatteuse.

Thriller, film d’enquête ou… torture porn ? Saw, c’est une marionnette reconnaissable entre toutes, quelques intrigues policières et beaucoup (mais alors beaucoup) de tortures où l’hémoglobine fuse, gicle, et jaillit par litrons entiers. Depuis des années, la classification cinématographique de cette recette pour le moins “musclée” fait l’objet de débats.

Selon les détracteurs de la saga, qui s’est propulsée à travers huit volets dans le cercle des franchises d’horreur les plus rentables de tous les temps – plus d’un milliard de dollars de chiffres de vente, toute de même –, il n’y a aucun doute : les “tests” de Jigsaw & Co. relèvent du torture porn. Soit une sous-catégorie un brin méprisée du ciné horrifique misant sur le gore, plutôt que sur le scénario.

À l’occasion de la sortie en salles françaises de Spirale : L’Héritage de Saw, retour sur l’histoire d’une appellation controversée dont Jigsaw et ses disciples sont devenus les icônes, au grand dam des inventeurs du tueur au puzzle.

L’origine du “gore”

Remontons la bobine. Le cinéma “gore” émerge au début des 60’s en Amérique, alors que la chape de plomb du code Hays s’effrite. Après des décennies de censure imposée par ce texte régulateur, le public peut – enfin ! – se réjouir à la vue explicite de démembrements et autres éviscérations, avec l’apparition de films pionniers tels que Blood Feast (1963), signé Herschell Gordon Lewis aka le “père du gore”.

Les années passant, le terme “gore” cède la place à celui de “splatter” (“éclabousser”, en français) pour désigner les titres dont le levier horrifique réside dans la représentation de la douleur et des mutilations corporelles. Et ce contrairement aux slashers, autre sous-registre horrifique de l’époque qui mise plutôt sur un jeu pervers du chat et de la souris entre innocents (souvent jeunes) et forcenés (souvent déguisés) pour susciter l’effroi.

Sorti en 1980, Vendredi 13, l’une des références du genre, ne montre par exemple que très brièvement les lésions provoquées par le terrible Jason Voorhees – l’important n’est pas là. Hasard du calendrier, la même année sortait Cannibal Holocaust, l’un des films les plus controversés de l’histoire poussant l’esthétique sanglante du splatter à son paroxysme. Pour le coup, rien n’est épargné à l’œil du spectateur : émasculation, empalement, anthropophagie (forcément)… Et bon appétit bien sûr.

Torture porn, l’enfant bâtard des splatters-slashers

Après un âge d’or dans les 80’s, le goût pour les splatters et slashers s’essouffle jusqu’à ce que ces derniers soient ringardisés avec des films parodiques tels que Scream (1996). Mais, dans le courant des années 2000, un nouvel éventail de titres empruntant à l’un et à l’autre de ces registres inonde les salles obscures – avec succès.

Ainsi du premier volet d’Hostel mettant en scène, grosso modo, de jeunes insouciants copieusement torturés pour le bon plaisir de sadiques aux portefeuilles bien fournis. Afin de qualifier ce carrousel macabre rythmé par des énucléations, passages à tabac et lacérations de tous bords, David Edelstein, le célèbre critique cinéma du New York magazine, aurait inventé l’expression torture porn au détour d’un article.

Très vite, la presse a étendu cette formule à l’accent évocateur au faux jumeau d’Hostel, Saw. Pourtant le réalisateur du premier volet de la saga, James Wan, avait déclaré en 2010 qu’il estimait que son œuvre “tournait moins autour de la torture que du mystère” tandis que Leigh Whannell, son scénariste, soulignait que “le film n’était pas violent au point de se voir attribuer une étiquette aussi désagréable” que celle de torture porn. Tout en reconnaissant que les suites de Saw étaient “allées de plus en plus loin dans le gore”.

De telle manière que, à mesure que ces nouveaux opus sortaient en salles, la franchise est devenue, bon gré mal gré, LA référence du torture porn, malgré les régulières levées de boucliers des fans pour protester contre cette appellation. Un peu partout sur le net fleurissent des articles de blogs plaidant la cause de Saw ; la saga serait avant tout une philosophie (valeur de la vie, solidarité, etc.), ou un fascinant nœud d’intrigues policières. Mais en aucun cas on ne saurait la réduire à un théâtre de surenchère sanguinolente.

Torture Porn : grand boom ?

Depuis son apparition dans le langage commun, le “label” a été réutilisé à maintes reprises pour désigner des films à la violence non suggérée. Ce fut notamment le cas concernant l’Antichrist de Lars von Trier, où, entre autres joyeusetés, Charlotte Gainsbourg fore le tibia d’un Willem Defoe horrifié, après l’avoir émasculé.

Parmi les dizaines d’autres exemples de torture porns récents, ceux ayant eu le plus de publicité (bonne, ou mauvaise) appartiennent à la saga The Human Centipedes. Tous dirigés par Tom Six, les trois volets de cette franchise néerlandaise ajoutent à la grammaire habituelle du torture porn des touches scatos-gores qui feraient presque passer les épreuves de Jigsaw pour du Disney. Les sceptiques pourront s’en persuader en allant sur Prime Video, où plusieurs titres des deux franchises sont réunis. Âmes sensibles s’abstenir quand même.

La course au gore commencée dans les 60’s, et revenue en grâce après un passage à vide à l’orée des années 2000, s’arrêtera-t-elle bientôt ? On ne mettrait pas un billet dessus. Le dernier-né de la saga Saw, Spirale, a déjà récolté plus de 22,5 millions de dollars au box-office. Un carton qui prouve que les ressorts du torture porn séduisent toujours. Et ça, Lionsgate, l’a bien compris. Alors qu’une série Saw est déjà dans les tuyaux, la société de production de la franchise a annoncé qu’un dixième volet était déjà en préparation. “Do you want to play a game ?” Pour sûr, Jigi.