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Review ton classique : La Planète des singes

Review ton classique : La Planète des singes

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Par Antonin Gratien

Publié le

Racisme, religion, nucléaire… Sous ses apparences de pur divertissement, ce récit satirique aborde plusieurs thèmes explosifs.

“C’est une maison de fous”, résume le capitaine George Taylor. En effet, dans La Planète des singes, tout fonctionne à l’envers. Tandis que nos ancêtres primates se disputent, s’esclaffent et dissertent, nous autres, pauvres bipèdes, sommes retournés à l’état sauvage. Pire encore : lorsqu’elle n’est pas massacrée lors de safaris, cette humanité avilie est réduite à l’état d’objet de curiosité pour des orangs-outans propulsés au sommet du règne animal.

Basé sur le roman La Planète des singes du français Pierre Boulle (cocorico !), l’idée de cet échange des rôles donne lieu, dans le film de Franklin Schaffner sorti en 1968, à de nombreuses séquences cultes qui ont fait de cette adaptation l’un des premiers succès SF du cinéma. Mais surtout, la mise en scène d’une Terre hostile où une espèce en réduit une autre en esclavage a été l’occasion d’aborder, en filigrane, plusieurs sujets sensibles propres à l’Amérique des années 1960.

L’ombre de l’atome

Derrière le scénario du film, il y a deux hommes : Rod Serling et Michael Wilson. Le cas du dernier est un peu particulier. Connu pour ses engagements contre l’injustice sociale, il est l’une des premières figures du cinéma à avoir été victime du maccarthysme, et placé sur la “liste noire de Hollywood”. Pour lui La Planète des singes devait être politique, ou ne serait pas. Et elle l’a été.

Dans le film, un crew spatial plongé en hypersommeil se crashe. L’année ? 3978. Le lieu ? Un écosystème aride aux teintes cuivrées qui se révélera être notre propre Terre. Alors que, au moment de la production du film, les tensions liées à la guerre froide font frémir le monde entier, impossible de ne pas voir dans la dévastation de cette planète fictive le résultat possible d’une guerre atomique.

Fanatisme religieux

Si les contrées désertiques du film reflètent un avenir catastrophe de l’humanité, la société simiesque, quant à elle, illustre métaphoriquement les tares de l’Amérique. Au royaume des singes savants, trois espèces constituent autant de castes. Les gorilles sont chargés des affaires militaires, et notamment des chasses à l’homme durant lesquelles deux survivants du crash spatial sont capturés. De leur côté, les chimpanzés remplissent le rôle de chercheurs. Enfin, il incombe aux orangs-outans de préserver le savoir et la foi.

Durant une séquence restée fameuse, un couple de chimpanzé entend prouver à trois représentants de cette dernière classe que le capitaine George Taylor, aberration biologique puisque doué de parole, serait le chaînon manquant de l’évolution terrestre. Aussitôt, un “sage” s’insurge en affirmant que si tel était le cas “les Livres Sacrés seraient faux”. Une référence à peine voilée aux fondamentalistes chrétiens qui, pendant la seconde moitié du XXe, réfutait le darwinisme en faveur du créationnisme biblique.

Gangrène raciste

La Planète des singes brosse le sinistre portrait d’une humanité diminuée, enfermée, torturée qui rappelle immanquablement la condition des esclaves noirs dans l’Amérique des XVIIe-XIXe siècles. Quant à la haine que voue la communauté simiesque aux humains, et au combat du capitaine George Taylor pour s’émanciper de ses fers, il s’agit de références au contexte social houleux des États-Unis à la fin des 60’s.

Après des décennies de dispositifs juridiques discriminants, la ségrégation est abolie de jure à cette période. Toutefois le pays demeure rongé par le racisme, et le mouvement américain des droits civiques poursuit sa lutte pour l’égalité. Les tensions sociales, diffuses à travers tout le pays, atteignent leur acmé en 1965 lorsque, à la suite d’une altercation entre des policiers blancs et une famille afro-américaine, des émeutes d’une grande violence éclatent à Watts (Los Angeles).

La première franchise du 7e art

Doté de 5,8 modestes millions de dollars de budget, La Planète des singes a été un carton planétaire en récoltant près de 30 millions de dollars au box-office. Ce succès est d’autant plus surprenant que les thématiques abordées sont parfois taboues, et que le genre SF s’adressait, jusque-là, à un cercle d’initiés.

Les sagas iconiques telles que Stars Wars (1977), Alien (1979) ou Star Trek (1979) n’avaient pas encore envahi nos salles obscures. Récit pionnier, le long métrage de Franklin Schaffner a donné naissance à la première franchise de l’histoire du cinéma. Au total, entre prequels et reboots, suites et remakes, 8 autres films ont puisé dans son univers, ainsi qu’un grand nombre de BD, jeux vidéo ou jouets.

Aucune de ces nouvelles productions n’a été aussi proche du roman de Pierre Boulle que le long métrage de Franklin Schaffner, mais toutes ont conservé plusieurs thématiques maîtresses qui, aujourd’hui encore, font écho à des problématiques sociétales. Les droits des animaux, le péril nucléaire, la xénophobie… C’est d’ailleurs peut-être par l’actualité criante de ses sujets que la saga, près de 53 ans après son éclosion, passionne toujours autant.

Et que les fans se réjouissent : on n’a pas fini d’entendre parler de La Planète des Singes puisqu’un nouveau volet a été annoncé en décembre 2020. Confié à Wes Ball (Le Labyrinthe), ce bébé devrait s’inscrire dans la continuité de la trilogie axée autour du personnage de César. Tentés ?