Review ton classique : Il était une fois en Amérique

Review ton classique : Il était une fois en Amérique

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Focus sur le chant du cygne de Sergio Leone, qui a bien failli ne jamais voir le jour.

Cannes, 1984. Sergio Leone présente à la Croisette ce qui se révélera être son film testament : Il était une fois en Amérique. L’émoi est grand à la vue de ce conte opiacé et amer, venant clôturer le triptyque débuté avec Il était une fois dans l’Ouest (1968), poursuivi dans Il était une fois la révolution (1971). Aujourd’hui unanimement considérée comme un chef-d’œuvre, l’ultime création du pape des westerns-spaghettis a été le fruit d’une gestation semée d’embûches. À tel point que ce joyau aurait pu rester à jamais dans les cartons.

Il était une fois… l’Odyssée d’un film-monde.

Galères d’adaptation, et un financement laborieux

Leone n’est l’auteur que de 7 films. Il commence à fantasmer le plus célèbre d’entre eux en 1967, alors qu’il vient de boucler sa “trilogie du dollar” avec le triomphe de Le Bon, la brute et le truand. Et qu’il aspire à se diriger vers d’autres horizons que le western – un genre que le cinéaste a largement participé à réinventer. Son déclic ? The Hoods (La Main armée). Soit l’autobiographie écrite en prison par Harry Grey, un ex-truand juif. Les rouages du gangstérisme y sont évoqués sans fard. Leone est fasciné. Il tient la matière première de ce qu’il espère, déjà, être son opus magna.

Le réalisateur organise plusieurs rencontres, propose au repenti de devenir son conseiller technique. Mais voilà… Les droits d’adaptation des mémoires sont déjà aux mains d’un producteur américain. Alors que tout semble bloqué, Leone s’accroche et décline même l’offre de la Paramount, qui lui proposait d’effectuer un long-métrage sur la mafia italienne : Le Parrain. Un certain Francis Ford Coppola s’en chargera, avec le succès qu’on lui connaît.

Il était une fois en Amérique se mue en serpent de mer. On en cause, mais personne n’en voit ne serait-ce que le museau. Après de houleuses négociations (et de très longs mois), Leone récupère enfin les droits d’adaptation du roman. Nouveau défi, nouvelle croisade : dégoter un investisseur. Ce sera Arnon Milchan, un jeune milliardaire israélien. Alors que Leone désespérait de pouvoir jamais séduire un producteur, la machine est lancée.

317 pages de script pour une fresque d’anthologie

Afin de rédiger son script, Léone s’était entouré d’une vingtaine de scénaristes dont certaines pointures qui avaient déjà œuvré aux côtés de Visconti, ou Bertolucci. Abouti en 1981, leur travail a nécessité près de 12 ans d’écriture. Le résultat ? Un script de 317 pages – chiffre considérable, la moyenne d’un film de deux heures étant de 120 pages.

Complexe, ce récit proustien jongle par flash-back entre plusieurs nappes temporelles, retraçant les vicissitudes de Noodles (De Niro), un ancien gangster. Dans un New York reconstitué à Paris, Rome et Montréal, on y suit ses frasques de jeunesse, les siennes et celles de sa bande, dans les rues du Brooklyn des années 1920. Puis leur ascension au sein du crime organisé sous la Prohibition, et leur chute brutale, provoquée par une trahison.

Sublimé par la partition d’Ennio Morricone, et avec la mutation des États-Unis au XXe siècle en toile de fond, Il était une fois en Amérique traite d’une amitié masculine (entre Noodles et Max) gangrenée. Jalousie, rancœur, cruauté… Un cocktail âcre, témoignant du regard désenchanté porté par Leone sur les rapports humains, et la réussite sociale.

Un film défiguré

Au moment du montage, Leone se heurte à un problème de taille. L’accord signé avec la Warner Bros stipule que son film ne doit pas excéder 2 h 45. Mais le réalisateur estime qu’une version idéale durerait au moins 6 h. Un premier montage de 4 h 25 est proposé, puis refusé. Leone opère de lui-même plusieurs coupes, et le résultat, de 3 h 41, est celui projeté au Festival de Cannes en 1984. L’accueil est chaleureux, et c’est cette version que les Européens reçoivent en salle.

Le public américain n’aura pas cette chance. Inquiet de ce “format fleuve”, le distributeur The Ladd Company enlève le final cut à Leone pour diffuser aux États-Unis un film de 2 h 19 dans lequel – sacrilège, hérésie, massacre – le montage est organisé chronologiquement. Jugée scandaleuse dans le milieu cinéphile, l’initiative conduit à l’inévitable : un immense tollé. La légende veut que cette dénaturation ait profondément affecté l’état de santé du réalisateur. De fait, Leone ne repassera jamais derrière la caméra. Il décède d’une attaque cardiaque à 60 ans, dans sa Rome natale, le 30 avril 1989.

Longtemps méprisé par ses pairs, Sergio Leone est devenu une icône du cinéma moderne. Quant à son bijou, Il était une fois en Amérique, une version restaurée par les soins de la cinémathèque de Bologne et de la Film Foundation de Martin Scorsese a été projetée à Cannes, en 2012. Un inestimable cadeau, confectionné en respectant les volontés de montage initial de Leone. Ceux qui avaient déjà vu le film ont pu savourer l’ajout de 8 scènes inédites. Quant aux autres, ils ont tout simplement eu le plaisir de découvrir ce joyau dans la version la plus fidèle qui ait jamais existé.