Review ton classique : Akira

Review ton classique : Akira

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Par Antonin Gratien

Publié le

Échos des traumatismes japonais, les thèmes abordés par le bijou cyberpunk de Katsuhiro Ōtomo restent d’une actualité criante.

Akira, bientôt 34 ans et toujours pas l’ombre d’une ride. Débarqué avec la force d’un uppercut dans les salles nippones en 1988, ce joyau de japanimation adapté du manga éponyme conserve toute sa fraîcheur. Grâce en soit rendue à une remastérisation en 4K chatoyante révélée l’an dernier, bien sûr. Mais aussi et surtout à la pertinence des sujets que le chef-d’œuvre embrasse.

En prenant pour décor un pays du Soleil Levant postapocalyptique gangrené par les violences, Katsuhiro Ōtomo, à la fois auteur du seinen Akira et réalisateur du film, a traduit en images les angoisses et séquelles de son Japon natal. Tout en offrant un récit d’anticipation anxiogène dont les accents résonnent avec notre époque.

Une dystopie parfum “fin du monde”

Au royaume d’Akira, Tokyo telle que nous la connaissons n’existe plus. Rayée de la carte par une force mystérieuse en 1988, elle a laissé place à une mégalopole sortie de terre après la Troisième Guerre mondiale : Néo-Tokyo. Une ville futuriste rongée par la corruption, la drogue, la précarité.

Nous sommes en 2019. Des ados désœuvrés sillonnent à bécane les rues mal famées de cette sinistre cité, toute faite de verticalité et de néons. Par une nuit d’encre, l’un de ces gamins prend en chasse un membre d’une bande rivale, puis chute en voulant éviter un étrange enfant.

Sous le regard hébété de ses amis, il est aussitôt capturé par l’armée. Son nom est Tetsuo. Bien vite, notre convalescent devient le cobaye d’un projet militaire nébuleux et développe d’inquiétants pouvoirs. Il faudra l’intervention d’un être quasi divin (Akira, le fameux) pour mettre un terme à folie meurtrière qui s’empare de lui.

Derrière la fiction, les cicatrices du nucléaire…

Nombreuses sont les inspirations historiques d’Akira. Parmi elles, les frappes nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki orchestrées par l’armée américaine, respectivement les 6 et 9 août 1945. Le personnage d’Akira est la métaphore même de la menace atomique ; ce garçonnet (le nom de code de la bombe A larguée sur Hiroshima était “little boy”) aux dons surnaturels se révèle responsable de la destruction de Tokyo.

Quant aux autres protagonistes doués de pouvoirs – Tetsuo compris –, leur difformité s’impose comme une référence aux mutilations et crainte de mutation des hibakushas, ces “survivants de la bombe”. Enfin, l’enquête scientifique sur leurs capacités hors norme peut être assimilée à celle menée sur l’atome – une recherche marquée d’un sceau funeste.

… et la hantise des tumultes de l’archipel

Le Néo-Tokyo imaginé par Katsuhiro Ōtomo est le théâtre d’affrontements entre militaires et civils perpétrant des attentats. Une référence possible aux tensions qu’a vécues le Japon en 1968 – année durant laquelle la jeunesse nippone s’est soulevée, avant d’être réprimée par le gouvernement. Cette révolte estudiantine déboucha sur la constitution de groupuscules terroristes dont les méthodes rappellent celles employées dans Akira.

Et, si les héros du film roulent à moto, ce n’est pas juste pour régaler nos rétines à coup de deux roues rutilantes. En 1952, les États-Unis mettent fin à l’occupation du Japon. Mais un curieux élément de contre-culture américaine subsiste sur l’archipel : celui des gangs de motards.

Appelées bōsōzoku, ces bandes influencées par les Hells Angels et souvent composées de mineurs adoptent une conduite à risques (shinai bōsō), se battent à coups de batte contre d’autres clans et obéissent à un leader (sentōsha). Dans Akira, Tetsuo répond aux ordres d’un tel chef : Takeda. Un personnage charismatique dont le bolide, devenu culte, apparaît notamment en easter egg dans Cyberpunk 2077 et Ready Player One.

Une anticipation crédible

Considérée comme l’une des œuvres ayant donné ses lettres de noblesse à l’animation japonaise, Akira est une référence absolue dont l’héritage innerve toute la pop culture. Et ce n’est pas la moindre de ses prouesses que de réussir à fasciner, aujourd’hui encore. Lors de sa (seconde) sortie en salles françaises l’an dernier, le film avait cumulé plus de 70 000 entrées, selon le site spécialisé JP’s box-office.

La raison de cet engouement ? Le prodige de l’animation, évidemment. La qualité du scénario, sans aucun doute. Et la vraisemblance de son univers, au regard des contemporains. Contrairement à ses homologues tels que Ghost in the Shell (1995), Akira ne met pas en scène des humanoïdes cyborgs. On n’y croise pas de voitures volantes, et encore moins de soucoupes interstellaires.

D’une facture plutôt réaliste, l’ambiance du film colle étonnamment à notre époque. La frénésie urbaine illustrée dans Akira se poursuit, le spectre de la dévastation plane toujours (on pense à Fukushima, en 2011, mais aussi à l’explosion au port de Beyrouth l’an dernier), les confrontations musclées entre civils et autorités perdurent – difficile, en regardant le film, de ne pas reconnaître dans la guerre civile d’Akira quelque chose des émeutes qui ont agité Hong Kong de 2019 à 2020.

Et, en raison de l’épidémie de Covid-19, la défiance populaire envers les gouvernants n’a peut-être jamais été aussi forte au XXIe siècle. Preuve, s’il en fallait encore, qu’Akira est une œuvre visionnaire : le manga avait même prévu le report des JO de Tokyo. An-ti-ci-pa-tion, on vous dit.