Projet Blair Witch : le premier film marketé sur Internet

Projet Blair Witch : le premier film marketé sur Internet

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Grâce à un prank glaçant devenu viral.

C’est ce qu’on appelle “réussir son coup”. À l’été 1999, un petit projet tourné en 8 jours et avec des moyens dérisoires emplit d’effroi des salles combles dans le monde entier. En cumulant près de 250 millions de dollars de recettes pour un budget d’à peine 60 000 dollars, il se propulse au rang de deuxième film le plus rentable de l’histoire. Que ce soit avant ou après sa sortie, Le Projet Blair Witch est sur toutes les bouches. On en discute sur les plateaux télé, entre potes, sur Internet. La raison ?

Les réalisateurs du film (Daniel Myrick et Eduardo Sánchez) ont eu un coup de génie : exploiter l’outil émergent qu’était alors la toile pour propager une rumeur sur la “disparition” de leurs trois acteurs. Un immense canular destiné à faire office de campagne promotionnelle low budget qui s’est avéré payant, sans doute bien au-delà des plus folles espérances de leurs instigateurs. Focus.

Une enquête étudiante vire au cauchemar

Pour rappel, Le Projet Blair Witch est un faux documentaire horrifique “found footage”. Le principe de cette expression venue du Royaume-Uni ? Présenter les images d’un film comme résultant d’un assemblage de pellicules trouvées (par hasard ou non), de manière à donner l’illusion d’un contenu authentique. En l’occurrence celui de la tragique expédition de trois étudiants, partis faire un reportage sur la légende de la sorcière de Blair.

Nos investigateurs du paranormal commencent leur périple du côté de Burkittsville, une petite ville du Maryland, aux États-Unis. Sur place, ils interrogent des locaux. Et apprennent au fil de leurs entretiens qu’un bois voisin aurait été le triste théâtre d’assassinats – pire encore, il serait hanté par une force occulte. La sorcière de Blair peut-être…

Décidée à poursuivre cette piste, la troupe s’enfonce de plus en plus profondément dans une sylve où apparaissent çà et là d’étranges figures rituelles. Bientôt, ils sont à la fois témoins et victimes d’étranges phénomènes. Des rires d’enfants perturbent leur sommeil, une force inconnue secoue leurs tentes une fois la nuit tombée, leurs affaires semblent avoir été fouillées – bref, sorcière ou pas sorcière, c’est l’angoisse.

Documentaire, ou fiction ?

À aucun moment les caméras dont disposent les étudiants n’arrivent à capturer formellement l’auteur des actions dont ils sont les cibles. Les dernières images du film suggèrent qu’un malheur est arrivé aux étudiants dans une maison abandonnée. Puis, c’est la coupure. Nette, brutale.

Afin d’éventer l’existence du Projet sans devoir casquer des fortunes en opérations publicitaires, l’équipe du film décide de le teaser comme un récit authentique. La méthode ? Faire croire au plus grand nombre que les 3 étudiants ont bel et bien disparu en s’appuyant de manière inédite sur un outil qui, peu à peu, se démocratise dans les foyers : Internet.

Pour étayer l’hypothèse de la “disparition”, le site officiel du long métrage accueille des faux rapports de police, ainsi que plusieurs interviews truquées. Tous les coups sont permis. Quelques photographies des 3 acteurs (qui portent leurs véritables noms, dans le film) sont également diffusées. Du côté des internautes, on fouille, on s’interroge – et bientôt, on se passionne.

La mèche prend encore un peu plus lorsque, au Festival Sundance 1999, le crew du film distribue des flyers sur lequel est écrit “MISSING” en lettres capitales au-dessus des portraits des étudiants, avec une mention enjoignant tout témoin à alerter les autorités en cas d’information sur leur évaporation. Même le site spécialisé IMDb présente les acteurs comme “disparus, et présumé morts”.

Cerise sur le gâteau : quelques jours avant la sortie du film les réalisateurs diffusent sur une chaîne télé un mockumentary appelé The Curse of the Blair Witch. Ce “documentaire” nourrit la légende (fictive) de la sorcière de Blair, et documente (de manière fictive, là encore) la “disparition” des trois étudiants durant leur enquête. Les fruits de ces opérations ne se font pas attendre. En août 1999, le site du film avait reçu près de 160 millions de visites. Un carton.

Et après ?

Le trucage est finalement révélé. Tout d’abord parce que le générique du film stipule qu’il s’agit d’une fiction, mais aussi parce que les acteurs ont dû se montrer en chair et en os sur les plateaux TV pour assurer la promotion du film. Logique.

Le “mystère Blair Witch” prend donc fin, mais l’aventure du film ne fait que commencer. À la fois pionnier des coups de marketing web viraux et grand popularisateur du sous-genre “found footage”, Le Projet Blair Witch acquiert le statut de film culte. Et fera quelques émules, avec la vague de titres inspiré du même registre dans les années 2000 : REC, Paranormal Activity ou encore Cloverfield.

Ces deux derniers titres ont aussi repris du Projet l’idée de campagnes promotionnelles web. Le premier en diffusant sur Youtube et Dailymotion les captures vidéos des figures horrifiées d’étudiants qui avaient vu le film en avant-première. Le second par la création de profil MySpace fictifs associés à des protagonistes, et en disséminant plusieurs indices sur la nature du film via une grappe de sites Internet.

Des démarches efficaces du point de vue promotionnel, mais qui, il faut bien l’avouer, n’avaient pas l’ambition de celle mise sur pied par l’équipe du Projet. Et on n’est pas près de revoir un prank ciné de cette envergure. À l’ère des réseaux sociaux et du fact checking, on imagine mal des équipes de com’ convaincre des milliers de personnes qu’une mystérieuse disparition a eu lieu. Quoique…