Moonlight, les raisons d’une claque cinématographique

Moonlight, les raisons d’une claque cinématographique

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Par Antonin Gratien

Publié le

Le film aux 3 oscars avait bouleversé, en présentant un triptyque sur l’affirmation d’un Afro-américain gay issu du ghetto.

« Magnifique », « Superbe », « Inouï »… À la sortie de Moonlight, les critiques n’avaient pas de mots assez forts pour exprimer leur émoi. Long-métrage à modeste budget produit par la désormais incontournable A24 (Spring Breakers, The Lobster…), le film a marqué les esprits grâce à des partis pris audacieux.

Formels, tout d’abord, adoptant une trame narrative disloquée. Scénaristiques, aussi, par un traitement subtil de l’expression d’une identité noire homosexuelle. Et c’est peu dire que ces choix ont fait sensation.

Présenté en avant-première au Festival du film de Telluride 2016 (Colorado), l’oeuvre romantique de Barry Jenkins, réalisateur jusque-là inconnu des radars, est rapidement devenue un succès national. Ce qui n’avait rien d’évident, au sein d’une Amérique trumpiste traversée par des tensions racistes et xénophobes.

Moonlight a rapporté quelque 27,8 millions de dollars rien qu’aux États-Unis, et cumulé des dizaines de récompenses. Le prix du meilleur film dramatique aux Golden Globes 2016, celui du meilleur réalisateur au National Society of Film Critics la même année et, surtout, un Graal : l’Oscar du meilleur film en 2017.

Un tryptique temporel

Propulsé au Panthéon des évènements ciné’ de la dernière décennie, Moonlight a étonné par l’originalité de son format. Adapté à partir de la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue écrite par Tarell Alvin McCraney, le récit est séquencé en 3 actes. Lesquels représentent trois étapes de la vie du protagoniste principal, Chiron, interprété par autant d’acteurs différents.

L’histoire nous entraîne tout d’abord auprès de ce personnage, né dans le ghetto de Miami, alors qu’il est âgé de 9 ans. Surnommé « Little » par ses camarades harceleurs, Chiron navigue alors entre un foyer explosif – sa mère, trop absente, est toxicomane – et repas en compagnie d’un père de substitution, Juan – lui, vendeur de crack. À ses côtés, il confiera à demi-mot être persécuté pour une différence dont il ne perçoit pas les contours.

Moonlight (2016) © A24

Au second chapitre du film, Chiron s’éveille à l’adolescence. Toujours la proie d’invective, encore la cible des coups. Le jeune homme expérimente une première expérience homosexuelle, puis est envoyé en centre de détention pour s’en être pris à l’un de ses bourreaux. Moonlight se conclut sur un Chiron adulte, métamorphosé en stéréotype de dealer (muscles saillants, dents en or…) après un séjour en prison.

Si le partage de la narration en parties n’est pas en soi une exception (on pensera aux films d’un Lars von Trier, par exemple), le procédé trouve ici toute sa pertinence. Car ce dernier permet d’explorer, sur le long cours, la complexe affirmation de Chiron. À la fois en tant que fils, qu’homme noir et qu’homosexuel.

Odyssée identitaire

Précarité, trafic de drogue, humiliations répétées… Tous les ingrédients étaient réunis pour offrir au public un film de gangsters traditionnel. Mais non. Moonlight penche plutôt du côté de The Secret of Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005), pour la navigation dans les eaux troubles du désir sexuel réprimé. Et de Boyhood (Céline Sciamma, 2014) concernant la déconstruction du rapport masculinité-féminité.

Durant les 1h51 que dure le film, Chiron, mutique, mène un combat silencieux et jamais mélo pour trouver son équilibre entre les différentes facettes de son existence. L’extraction d’un milieu défavorisé, l’absence de figures parentales, la couleur de peau, l’homosexualité. Moonlight articule ainsi avec délicatesse les problématiques de classe avec celles des origines ethniques, et de la diversité sexuelle.

En prenant à bras-le-corps les enjeux de la sexualité queer afro-américaine, Moonlight s’est définitivement inscrit dans la lignée dans longs-métrages ayant marqué le mouvement LGBTQ+. Il est également le premier du genre à avoir reçu l’Oscar du meilleur film.