Mademoiselle : le couronnement du « thriller lesbien » ?

Mademoiselle : le couronnement du « thriller lesbien » ?

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Deux amantes, une arnaque, un magot.

Surprise. En 2016, Park Chan-wook quitte ses rivages coutumiers d’ultra-violence exubérante (Old Boy, Thirst…) pour livrer une fresque d’escroquerie voluptueuse, toute en senteurs suaves, arbres en fleurs et caresses languissantes : Mademoiselle. Petit bijou de narration en chassé-croisé mettant en scène, notamment, l’éclosion d’un amour saphique. Et qui a été distingué par la Palme d’or. Laquelle récompense pourrait bien représenter la consécration d’un sous-genre émergeant, celui du “thriller lesbien”.

Course à l’héritage

Durant l’occupation japonaise de la Corée dans les années 1930, Sook-hee, une jeune voleuse de renom, participe à une escroquerie d’envergure. Elle est engagée dans un manoir coupé du monde en tant que servante auprès d’une riche héritière nippone, Hideko – la fameuse “Mademoiselle” –, vivant sous la coupe d’un oncle convoitant son héritage.

La mission de Sook-hee ? Pousser “Mademoiselle” à tomber éperdument amoureuse de son professeur de dessin, un homme se présentant comme le “comte Fujiwara”, et qui est en réalité un complice de la malfaitrice. Cet aigrefin dandy projette d’épouser la belle, puis de l’interner dans un asile psychiatrique afin de jouir de ses biens. Un plan bien rodé. Quoique…

Une passion roublarde

Après une première volte-face où les rôles de complices et de victimes sont échangés au sein du trio, un élément que le “comte Fujiwara” n’avait pas prévu menace de faire tomber son sombre dessein à l’eau : Sook-hee et Hideko s’attirent. Elles se découvrent, se caressent, s’étreignent. Et s’aiment, enfin.

Si bien qu’elles finissent par se liguer contre l’instigateur du complot visant la fortune d’Hideko et prennent la tangente, main dans la main, pour faire fleurir un amour dont la sensualité quasi mystique est présentée par Park Chan-wook comme le pendant lumineux d’une sexualité masculine faite d’agression.

Sadisme, fétichisme morbide et fantasme de viols narrés lors des étranges séances de lecture de “l’oncle”. Ou clairement porté en principe. “Tout le monde le sait, les femmes n’aiment qu’une seule chose : être prises de force”, dira le comte Fujiwara avant d’être endormi à l’opium puis conduit dans une salle de torture où il manquera de peu d’être émasculé. Tandis que le couple Sook-hee-Hideko, lui, vogue vers de nouveaux horizons. Bim.

Les contours du “thriller lesbien”

Mademoiselle a ceci d’étonnant qu’il renoue avec une tradition coréenne bien ancrée, celle du “film de domesticité” dont La Servante (1960) demeure la référence majeure, tout en rehaussant ce sous-genre bien connu d’un éclat contemporain en y incorporant, en son cœur, la mécanique d’un amour homosexuel entre deux femmes.

Une passion-alliance sous tension dont les contours semblent définir les frontières du “thriller lesbien”, et que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres antérieures. On pense au vol d’un précieux magot par un duo féminin amoureux dans Bound (1996), des sœurs Wachowski. Ou encore, plus récemment, Effets secondaires (2013) de Steven Soderbergh, où le tandem Rooney Mara et Catherine Zeta-Jones échafaude un plan visant à assassiner quelque mari indésirable.

Sans aucun doute possible, l’arrivée sur grand écran d’intrigues liées au lesbianisme témoigne de l’évolution du regard porté sur la communauté LGBTQI+. Longtemps cantonnés aux rôles de profonds désaxés, les protagonistes homosexuels bénéficient depuis quelques années d’une meilleure représentation. Et leurs amours – censurés sous le code Hays, par exemple – se révèlent au grand jour. Que ce soit sur le mode purement romantique (La vie d’Adèle), ou par intrication avec des récits à suspense. Une veine dont Mademoiselle demeure sans doute, à ce jour, l’exemple le plus éclatant.