Les deux frères de YellowStraps incarnent le renouveau de la soul

Les deux frères de YellowStraps incarnent le renouveau de la soul

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©Baudouin Willemart

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Les deux artistes bruxellois sortent déjà leur deuxième projet de l'année, réalisé entièrement durant un confinement salvateur.

Durant le confinement, les artistes ont été confrontés à différents choix stratégiques cruciaux : être omniprésents sur les réseaux (notamment avec d’innombrables lives Instagram), disparaître publiquement quelques semaines ou bien prendre leur temps pour faire de la musique. Les deux frères de YellowStraps, Alban et Yvan Murenzi, ont opté pour cette dernière option.

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Après avoir dévoilé un nouvel EP en début d’année, avant la crise sanitaire, ils reviennent en ce 2 octobre avec le fruit artistique de leur isolement : Yellockdown Project. Un projet entièrement conçu durant cette période un peu particulière, et entièrement fait de featurings à distance.

On a rencontré les deux frères les plus talentueux de la neo soul belge pour évoquer avec eux ce nouveau disque, leur carrière mais aussi leurs inspirations. Rencontre.

Konbini | Qui êtes-vous ?

Alban | Hello ! Nous sommes deux frères et vivons à Bruxelles. Moi, je m’appelle Alban.

Yvan | Moi, c’est Yvan.

Alban | On a créé notre groupe plus ou moins en 2011, et on peut dire que c’est un mélange entre soul, hip-hop, jazz, R’n’B, électronique et un peu de pop. Un mélange de plein de choses.

Yvan | Tous les styles qu’on aime.

Où et quand êtes-vous nés ?

Yvan | Nous sommes nés au Rwanda. Moi le 16 avril 1992.

Alban | Moi le 7 février 1994.

Yvan | On est arrivés en Belgique en 2000. Enfin, on était déjà venus une première fois, puis on est allés vivre en Ouganda pendant trois ans. Puis on est revenus définitivement en Belgique, et nous y sommes donc depuis vingt ans.

© Baudouin Willemart

Quand et comment est-ce que vous avez commencé la musique ?

Alban | On a créé notre groupe en 2011, mais ça a toujours été un hobby avant de grandir.

Yvan | On a évolué avec quelques lives et quelques médias qui s’y sont intéressés. On a sorti notre premier EP en 2015, puis un deuxième la même année avec Le Motel. À partir de 2019, c’est là qu’on s’est dit qu’on voulait faire ça de manière un peu plus sérieuse.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?

Alban | Ça nous a toujours touchés plus que certaines personnes je pense.

Yvan | C’est venu de toutes les musiques qu’on écoutait depuis gosses. On a toujours trop kiffé ça, découvrir de nouveaux artistes. Parmi eux, il y en avait certains qui nous touchaient tellement fort que je crois qu’on a eu l’envie de reproduire ça. Voir si nous aussi on pouvait réussir à toucher les gens avec notre musique. Reproduire les mêmes émotions qu’on ressentait.

Alban | C’est fou le nombre de musiques que je découvrais en me disant qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui allaient aimer ou ressentir les mêmes choses. J’ai toujours eu l’impression de plus ressentir la musique que la plupart des gens de mon entourage.

Vous étiez déjà des diggers très jeunes ?

Yvan | À fond. Avec notre pote Le Motel – on était voisins – qu’on connaît depuis vingt ans, on passait des journées entières à découvrir de nouveaux artistes.

Alban | On a un troisième frère qui nous a aussi fait découvrir plein d’artistes confidentiels. On s’est rendu compte qu’il y avait plein de trucs inconnus, mais qui étaient incroyablement bien. Tellement mieux que ce qu’on pouvait entendre à la radio. On passait nos journées sur SoundCloud à trouver de nouvelles choses.

Surtout que Le Motel est un très gros digger.

Alban | À fond. Quand t’entends les sonorités qu’il met dans ses chansons, tu vois que c’est le plus digger de nous tous. C’est un peu lui qui nous a donné le goût de découvrir de nouveaux sons.

Qu’est-ce que vous faisiez avant ?

Yvan | J’ai fait des études de graphisme et j’ai fini en 2014. Pendant trois ans, j’ai travaillé en tant que graphiste indépendant, puis on s’est vraiment mis à la musique.

Alban | J’ai fini mes études de comptabilité il y a seulement un an et demi. Rien à voir avec le milieu artistique [rires]. Mais ça m’a toujours laissé du temps à côté pour développer le projet.

Comment avez-vous été découverts ?

Yvan | Grâce à LeFtO. C’est un DJ qui est un pilier musical.

Alban | Il est hyper reconnu en Belgique. Pendant quinze ans, il a eu une émission sur Studio Bruxelles, qui est une grosse radio en Belgique, durant laquelle il mettait plein de nouveaux artistes en avant. Il créait des événements dans toute la Belgique. Tout le monde le connaît.

Yvan | C’est un peu la référence musicale chez nous. Il nous a invités dans son émission après être tombé sur une track qu’on avait faite avec Le Motel. On l’avait d’ailleurs partagée sur Facebook, à l’époque où ça fonctionnait bien [rires]. On a fait un live dans son émission et c’est à partir de là que ça a commencé à prendre. Ça devait être en 2014.

Comment vous décririez votre univers artistique ?

Yvan | C’est un mélange de styles.

Alban | Très axé sur l’amour dans les paroles, relativement chill de manière générale.

Chill et un peu complexe quand même.

Yvan | Oui, avec toutes les influences que l’on ajoute dedans. Si on part sur un morceau électronique, on va rajouter un truc jazz, puis on va se souvenir d’un passage d’un morceau trop bien et on va vouloir le rajouter, etc. On essaie d’avoir plusieurs mélanges de styles, mais surtout que ça reste harmonieux.

Comment est-ce que vous composez ?

Yvan | Ça dépend. On a cet avantage d’être entre frères et de se comprendre directement durant toute la phase de création. On connaît parfaitement l’identité musicale de l’autre. On y passe du temps, mais souvent, on se laisse guider par la spontanéité.

Alban | Surtout avec Yellockdown, où c’est quasiment que ça, même si on a pas mal travaillé sur les petits détails.

Vous revenez justement avec Yellockdown Project. Comment vous avez procédé ?

Yvan | L’idée est arrivée suite au stress provoqué par toutes les annulations des lives. On avait un calendrier qui commençait à se remplir avant la crise sanitaire, et il fallait absolument que l’on trouve quelque chose de créatif. On a décidé de faire ce projet avec des collaborations sur chaque track via FaceTime. À chaque fois, on trouvait une idée de boucle de drum, puis la mélodie, puis l’artiste nous envoyait sa partie et on faisait le mix.

Alban | On partait toujours d’un truc très simple, en choisissant à chaque fois le premier truc qui nous venait en tête. On s’est mis le défi de faire un morceau par jour.

Yvan | Tous les artistes dans le monde se sont retrouvés dans la même situation avec un maximum de temps pour pouvoir créer, ce qui est assez rare finalement. On n’avait plus d’excuse.

Il y a des featurings pour chaque titre. Comment vous choisissez vos collaborations ?

Yvan | On a envoyé des propositions à beaucoup d’artistes qu’on kiffait. La plupart ont répondu positivement. Comme ça s’est fait au tout début, il y avait encore cette excitation d’un truc nouveau. Il y en a certains qu’on n’a jamais rencontrés et pourtant, ça s’est fait hyper naturellement. On ne s’attendait pas à ce que ça marche aussi bien, c’est que du positif. Je me suis même dit que c’était une aubaine ce confinement.

Alban | C’est fou parce que ça sort sur les plateformes, on fait de la promotion, alors qu’on n’avait aucune idée de ce dans quoi on se lançait. On ignorait le nombre de tracks qu’on allait avoir. On a été beaucoup plus créatifs et productifs qu’en temps normal.

Vous avez sorti un premier projet cette année, Goldress, avec le soutien de Red Bull. Comment ça s’est passé ?

Alban | On avait déjà été dans les Red Bull Studios avant, à Berlin et à Amsterdam.

Yvan | Ça a été dealé par un manager exceptionnel [rires]. On a eu un prix en 2014 aussi, et à partir de là ils ont continué à nous soutenir.

Alban | On a vraiment une bonne relation avec eux, et ça nous permet de bosser dans des studios incroyables.

Il y a eu un avant et un après votre passage chez Colors ?

Yvan | Oui, clairement. Surtout au niveau international, et c’est ce qu’on cherchait aussi depuis le début. En Belgique, c’est cool, mais on sentait qu’on allait forcément être limités à un moment dans le style de musique qu’on fait. C’était vraiment le meilleur moyen de se propager un peu plus à l’international, même pour démarcher des labels ou des éditeurs par exemple.

Vous vous êtes mis à chanter en français pour Yellockdown Project. Pourquoi ce choix ?

Alban | Ça bloque un petit peu de chanter en anglais, mais le fait d’essayer le français maintenant va d’office débloquer des trucs en France. Nos influences, c’est quasiment que de la musique anglophone.

Yvan | On a senti la différence aussi, de passer ce cap de chanter en français. Avant on était en mode : “Non, c’est mort. Interdit.” On n’a pas trop de références en musique française. On ne savait pas écrire un morceau en français, choisir les bons mots, on a dû tout reprendre à zéro. Et, là aussi, le confinement a aidé, on a eu le temps de s’entraîner. On a abordé ça avec zéro pression.

Est-ce que le succès du rap belge permet de mettre la lumière sur d’autres registres musicaux ?

Yvan | Clairement. Les gens n’avaient pas les yeux rivés sur la Belgique niveau musique. Là, avec des artistes comme eux, les gens sont de plus en plus intrigués. Petit à petit, ça donne de la valeur.

Alban | Il y a pas mal de gens qui nous ont découverts grâce à Morale de Roméo Elvis.

Yvan | Puis il y a la Coupe du monde de football aussi. Ça a l’air con dit comme ça, mais ça a permis de parler de notre pays et de nos actualités, notamment musicales.

Comment abordez-vous la scène ?

Yvan | C’est un peu le meilleur moment. Tu bosses en studio des sons, et là, c’est la consécration de ce que tu as créé. Le contact avec les gens, d’avoir des retours physiques plutôt que virtuels.

Alban | Totalement. C’est là où ça prend une autre ampleur.

Même avec des gens assis à un mètre de distance ?

Yvan | Je suis curieux de voir. Ça a l’air spécial.

Alban | Ou alors il faut jouer sur le côté intimiste du spectacle. Je pense qu’on pourra adapter avec des trucs un peu plus chill.

© François Dubois

Vous êtes signés sur quel label ?

Alban | On a monté notre propre label, Haliblue Records. Une petite structure modeste.

Yvan | On est distribués par Believe en Angleterre. On a signé avec eux l’année passée, juste après Colors.

Selon vous, quels sont vos axes de progression ?

Yvan | En vrai, il y a plein. Musicalement, dans l’organisation…

Alban | Se professionnaliser en vrai, on est encore en apprentissage.

Quelles seraient les meilleures conditions pour écouter votre musique ?

Alban | Canapé, bougies.

Yvan | Petite ambiance détente. Il y a un article où ils avaient écrit “à l’occasion de siestes crapuleuses”. Ça résume plutôt bien.

Si vous deviez convaincre les gens d’écouter votre musique, vous leur diriez quoi ?

Alban | C’est quelque chose d’assez atypique.

Yvan | Une découverte de sonorités dont vous n’avez pas forcément l’habitude. Avec toute la musique qui a été faite dans l’histoire, c’est pas évident. C’est toujours le défi.

Vos futurs projets ?

Alban | On bosse sur un nouvel EP pour 2021. On travaillait dessus avant Yellockdown, qui a été un peu comme une parenthèse.

Yvan | Puis après, un jour, l’album. La douce consécration.

Le mot de la fin ?

Yvan | Streamez Yellockdown. Il faut soutenir les artistes, surtout dans cette période compliquée.

© Baudouin Willemart