Warm Up : Oh Mu, ovni pop intrépide

Warm Up : Oh Mu, ovni pop intrépide

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Ohmu © Helen Tchen

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Par Sophie Laroche

Publié le

Dans WARM UP, on réalise un focus sur des artistes dont vous allez (sûrement) entendre parler dans les mois à venir. Alors que son EP est sorti en octobre dernier, retour sur Oh Mu.

L'artiste Oh Mu sur un canapé, fixant la caméra

Oh Mu (© Helen Tchen)

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La première fois que l’œuvre de la jeune suissesse Estelle Marchi s’est imposée à nous, ce fut par son travail d’illustratrice. Fraîchement sortie d’une école de BD à Bruxelles à l’époque, cette dernière exposait aux yeux d’Internet son univers riche fait de personnages complexes et de créatures protectrices qui traduisaient ses réflexions et ses doutes.

Force est de constater que, quelques années plus tard, les talents l’artiste ne se limitent pas seulement au dessin. Elle a aussi investi le champ de la composition musicale dans lequel elle s’épanouit désormais sous le nom d’Oh Mu. Productrice avant tout, cette autodidacte en quête de connaissances et d’expériences a réussi à concocter au fil des années une musique pop expérimentale unique dont les textes, courageux et fiers, explorent l’intime et s’épanouissent dans un univers fantaisiste foisonnant et poétique.

Alors que la jeune artiste s’exerce à l’expérience de la scène en enchaînant les dates depuis la sortie de son EP, qui porte son nom (dont elle a elle-même dessiné la pochette), Oh Mu s’est prêtée au jeu du Warm Up et a accepté de répondre à nos questions.

Qui es-tu ?

Oh Mu | Je suis Estelle Marchi aka Oh Mu. Je suis musicienne, productrice, j’écris mes paroles et je suis aussi illustratrice. J’essaie de mêler les deux pour créer l’univers Oh Mu.

D’où viens-tu ?

Je viens de Suisse. En fait, je suis Italo-Suisse. Toute ma famille a immigré en Suisse, et moi je suis née à Martigny, qui est une petite ville dans le canton du Valais.

Quand est-ce que tu as commencé la musique ?

J’ai commencé la musique quand j’avais 5, 6 ans. Mes parents m’ont inscrite au conservatoire. Je faisais du piano et du solfège et j’ai continué jusqu’à mes 19 ans.

Qu’est-ce que tu faisais dans la vie avant de te consacrer exclusivement à la musique ?

Je suis partie de la Suisse quand j’avais 19 ans. J’ai fait une école de BD en Belgique pendant trois ans et, il y a deux ans, je suis arrivée sur Paris, pas forcément dans l’optique de faire de la musique, mais petit à petit ça s’est développé.

Quelles sont tes influences musicales ?

La personne qui m’a le plus influencée quand j’avais 19, 20 ans et que j’ai commencé à faire mes petits trucs sur Garage Band, c’est Grimes. Elle m’a suivi spirituellement pendant plusieurs années. Il y a plein de choses dans le rap qui m’inspirent, dans la pop mais aussi dans l’électro instrumentale, et ce que je fais, c’est un peu un mélange des trois.

Quand j’étais pré-ado, vers 12, 13 ans, j’étais hyper fan de Bob Dylan et des White Stripes, j’écoutais tout le temps ça. J’aimais surtout ce qui se faisait entre 1950 et 1980, le rock et la cold wave, mais vraiment pas de trucs actuels. J’étais vraiment en mode “no mainstream” à part quand il s’agissait de Nicki Minaj et de Fergie. C’est en grandissant que je me suis ouverte dans mes goûts. Mon dernier coup de cœur, je dirais que c’est l’album de Grand Blanc, surtout leur chanson “Rêve BB rêve”.

As-tu d’autres influences non musicales ?

Il y a beaucoup d’influences non musicales dans mon travail notamment en ce qui concerne l’illustration, les clips vidéo, mais surtout dans ce qui tient de la performance artistique. J’apprécie tout particulièrement des personnes comme Marina Abramović. J’aime comment elle se met en danger dans son corps ou son mental, je me sens assez proche d’elle pour ça.

Quelle est l’importance de la scène pour toi ?

Mon but, quand j’ai commencé à faire de la musique, même dans ma chambre, c’était de faire des concerts. Quand j’écris une chanson aujourd’hui, c’est un peu comme si je la pensais déjà pour la scène. Je m’imagine déjà la chanter en concert. Je me sens de plus en plus à l’aise avec la scène.

C’est un exercice qui n’était pas du tout inné chez moi vis-à-vis de mon rapport à mon corps, de comment je me vois. C’est une mise en danger, tout comme ce que je dis dans mes paroles ou ce que j’ai envie de faire passer dans mes messages.

Existe-t-il une distance dans tes morceaux ou t’inspires-tu uniquement de ta propre expérience ?

Il s’agit majoritairement de mon expérience, mais il y a quand même un peu de fiction et des fantasmes car Oh Mu, même si c’est pas mal moi, est un personnage. Il va donc s’exprimer plus honnêtement et de manière peut-être plus forte sur les choses que je ne le ferais dans la vraie vie.

Quelles sont les caractéristiques de ce personnage ?

Je pense qu’Oh Mu est une personne qui a hyper confiance en elle, c’est un personnage que j’ai créé pour m’exprimer sur des sujets que je n’oserais pas aborder dans la vraie vie. Il me permet de créer un univers dans lequel existent mes propres règles. Il y a une idée de liberté et d’expression de soi qui est beaucoup plus présente avec ce personnage.

Comment abordes-tu l’écriture ?

Ce n’est pas facile pour moi. Il y a des gens qui s’imposent une discipline créative du type “je vais écrire tant de mots par jour”, mais je ne suis pas du tout dans ce cas. Même lorsqu’il s’agit d’illustration. J’agis toujours par pulsions. Je fais une illustration car j’ai envie de dire telle chose à un moment donné et c’est pareil au niveau de l’écriture.

Souvent, j’écris au milieu de la nuit car j’ai une idée qui m’obsède mais elle est rarement précise. C’est en écrivant que l’idée émerge et qu’à la fin je me dis que c’est exactement ce que je voulais dire mais ça, je ne le savais pas au début.

Et comment es-tu venue à la production ?

Je me qualifie de productrice car je fais mes prod et j’estime que c’est important de le rappeler. Je n’ai pas envie qu’un jour on parle de moi comme “Oh Mu la chanteuse” et qu’on coupe toute la part production de mon travail, qui est très importante. Je passe plus de temps à faire des prods qu’à écrire des chansons, donc c’est hyper important pour moi de le rappeler.

J’ai toujours voulu faire de la musique, mais à chaque fois, je me disais qu’il fallait être dans un groupe. En découvrant Grimes ou d’autres productrices, je me suis dit que je pouvais tout faire toute seule alors j’ai commencé à apprendre à utiliser Garage Band puis Logic Pro puis Ableton et là, je suis en coproduction avec Antoine Gaillet qui fait le mix avec moi, mais toutes les étapes précédentes sont le fruit de mon travail. C’est important pour moi de garder cet espace à moi. C’est un peu ce que je préfère dans tout le processus de création d’une chanson.

Tu as cité Grimes parmi les femmes qui produisent leurs sons. Pourquoi, à ton avis, il y a si peu de femmes productrices ?

C’est complètement lié au sexisme et au fait que, quand tu es plus jeune et que tu veux être dans un groupe de musique, il faut être la chanteuse et non la bassiste ou la guitariste car il y a toujours ce cliché de la meuf qui est juste là pour l’image et pour incarner une sorte de personnage de chanteuse. Aujourd’hui, il faut passer à autre chose et à d’autres modèles.

Pour l’instant, c’est hyper timide, les productrices que je connais sont soit des productrices pour elles-mêmes, soit pour des potes qui sont chanteuses mais je n’ai pas l’impression de connaître beaucoup de meufs qui font des prod pour des gars. Il y a pour l’instant beaucoup d’exclusivité masculine à ce niveau-là.

Mais aujourd’hui, on cultive de plus en plus l’idée que les gens peuvent être polyvalents, et je pense que ça va amener plus de meufs à s’épanouir dans la production. J’aimerais qu’il y ait des femmes qui fassent des prod pour des rappeurs. En tout cas, c’est dans mes projets, je pense que ça se fera.

Quelles seraient les meilleures conditions pour écouter ta musique ?

De manière générale, j’écoute de la musique quand je marche dans la ville. C’est comme si je laissais mon esprit divaguer juste en écoutant la musique. Je pense que c’est une des meilleures conditions pour écouter mon EP.

Comment définirais-tu ton projet ?

Je pense que cet EP, c’est comme si je présentais de manière hyper directe, brute et concise ce qu’est Oh Mu. C’est comme une sorte de cri qui dit : “Voilà ce que je suis et si ça vous plaît, tant mieux et si ça vous plait pas tant pis.” C’est quitte ou double, c’est une présentation du personnage.

Oh Mu d’Oh Mu est disponible depuis le 26 octobre 2018. L’artiste se produira le 18 janvier 2019 à la Lune des Pirates à Amiens avec le groupe Agar Agar.