Entre néo-soul et R’n’B contemporain, Enchantée Julia bouscule la scène française

Entre néo-soul et R’n’B contemporain, Enchantée Julia bouscule la scène française

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Dans Warm up, on réalise un focus sur des artistes dont vous allez (sûrement) entendre parler dans les mois à venir.

Il aura suffi de deux featurings aux côtés de Tengo John et de Prince Waly pour qu’Enchantée Julia retienne notre attention. Digne héritière du R’n’B des années 1990 et 2000, la jeune femme reprend le flambeau avec brio, multipliant les influences et offrant une version moderne et futuriste d’un style souvent décrit – à tort – comme désuet. En résulte le superbe morceau “Montreuil-Chapelle”, accompagné d’un clip tout aussi convaincant, où la suavité de sa musique s’accompagne de très bonnes références.

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Elle revient aujourd’hui avec un tout premier projet, un sublime EP intitulé Boucle, qui navigue quelque part entre Claude Nougaro et Kali Uchis. La découverte vaut clairement le coup : nous sommes allés à la rencontre de la jeune artiste pour parler de ses inspirations, de son parcours et de ses futurs projets. Qui a dit que le R’n’B céfran était mort ?

Konbini | Hello Enchantée Julia ! Qui es-tu ?

Enchantée Julia | Hello Konbini ! Moi c’est Enchantée Julia et je suis chanteuse. Je fais de la chanson française, mais un peu particulière puisque c’est sous forme de R’n’B. C’est la chanson pop du futur !

D’où viens-tu ?

Je viens d’un petit village qui s’appelle Oppède le Vieux, que vous ne connaissez probablement pas. C’est situé entre Aix-en-Provence et Avignon, et je suis née pas très loin, à Cavaillon, le pays des melons. J’ai grandi avec mes parents et mes sœurs là-bas, avant de rejoindre Paris pour faire de la musique.

Qu’est-ce que tu faisais avant la musique ?

J’ai fait une école de musique, puis une licence d’anglais. Ensuite j’ai travaillé dans la mode, et j’ai vendu des pianos. C’était cool, ça me permettait de rester dans le domaine musical. Après, j’ai eu l’opportunité de devenir intermittente du spectacle et j’ai surfé sur la vague. Petit à petit, en me trouvant en tant que femme et artiste, j’ai eu envie d’écrire certaines choses et de les exprimer. Et c’est pour ça que je suis là aujourd’hui. Même si j’ai mis un peu de temps [rires] !

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Comment as-tu commencé la musique ?

J’ai grandi dans une famille où on écoutait beaucoup de musique. Mon père était féru de classique et de jazz, et ma mère est sicilienne donc j’ai entendu beaucoup de chansons napolitaines, et de la chanson française. Ma sœur m’a fait découvrir très jeune le hip-hop, le R’n’B et la soul. Elle allait souvent aux États-Unis et nous ramenait des CD, des K7, avant que ce soit sorti en France. Genre tous les disques de la West Coast. Ça m’a trop marquée, j’avais envie d’être la chanteuse qui faisait les refrains. Mon père, lui, était pote avec Claude Nougaro, donc j’ai eu cette chance très jeune d’assister à des opéras, des concerts de classique, de jazz, etc. La musique s’est imposée naturellement. Pourtant, j’étais très mauvaise en solfège – je me suis fait virer du conservatoire [rires]. Ça ressemblait trop aux maths, je ne captais rien aux partitions, donc je faisais tout à l’oreille.

Quels instruments ?

Pas mal de piano, mais ma vocation première, c’est vraiment la voix.

Est-ce que tu as eu différents projets artistiques auparavant ?

J’ai eu un projet avec mes deux meilleures amies, Connie Bidouzo et Nkia Asong, qui s’appelait The Berets. On était un trio vocal et on a fait une publicité pour Chanel avec Jean-Paul Goude. C’était trop sympa de bosser avec lui et puis c’était une jolie pub. On a également fait quelques événements pour Hermès, Cartier, etc. On était un “groupe de l’amitié” et en même temps, ça nous rapportait un peu de thune.

Dans tes crédits, il y a “La Chapelle Gang”. De quoi s’agit-il ?

C’est l’association d’Anne-Caroline Lecurieux-Durival, Paloma Pineda et moi. En fait, on habite toutes les trois à La Chapelle et c’est notre deuxième clip ensemble. On trouvait ça rigolo de venir du même coin, et puis on avait aussi envie de le revendiquer. On a fait ce clip toutes les trois et ce n’était pas facile ! On a vraiment déplacé des montagnes.

Tu t’occupes du stylisme aussi dans tes clips. La mode, c’est une passion ?

Cela fait partie de moi, j’ai toujours aimé l’univers de la seconde main. J’ai travaillé dans des fripes aussi, j’aime vraiment ça. La mode, c’est de l’art. Aujourd’hui, en 2019, tous les artistes adorent la mode, le visuel c’est aussi important que la musique. Étant une artiste indé, il a fallu que je me débrouille. Et finalement, ça me fait vraiment kiffer de travailler sur mes visuels, construire mon esthétique.

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Quelle est l’histoire de ton morceau “Montreuil-Chapelle” ?

C’est la correspondance entre Montreuil et La Chapelle, c’est-à-dire le métro Nation. C’est la relation entre la ligne 2 et la ligne 9. C’est une histoire d’amour, mais ça pourrait aussi être un gospel, un appel à Dieu. Il y a plusieurs niveaux de lecture, et chacun l’interprète comme il veut. Bon, le gospel, ça peut être un blasphème parce que je parle du chanvre, mais ça signifie l’encens aussi.

C’est une chanson un peu particulière parce qu’à la base, j’avais composé un truc vite fait avec des toplines et quelques mots. Je l’ai envoyé à Fils Cara – vous allez en entendre parler, c’est un rappeur de 24 ans signé sur Microqlima – et il m’a écrit une chanson absolument magnifique. Et ça a donné “Montreuil-Chapelle”. Puis j’ai produit la chanson avec Saintard – je suis toujours à la réalisation de la musique. Attention, par contre, c’est un deux-titres. J’insiste là-dessus [rires].

Il est également accompagné d’un très beau clip.

Le tournage s’est très bien passé, mais on avait seulement deux jours. C’était beaucoup de débrouillardise. Il y a tous mes potes dedans, dont Connie et Nkia pour les chœurs, Saintard qui est déguisé en prêtre…

Est-ce que ça te paraît essentiel aujourd’hui de proposer de jolis clips pour avoir de la visibilité ?

Oui clairement, ça peut faire la différence pour une chanson. Il y en a pour qui le clip est même plus important que la chanson. Des beaux clips, ça peut lancer des carrières. C’est devenu tellement facile que tout le monde en fait désormais. Il y a limite une overdose de clips maintenant, et c’est encore plus difficile pour les petits artistes, en indé, de sortir du lot.

Ton premier clip “Dunes” était déjà bien abouti.

C’est le premier morceau que j’ai publié. C’était une belle introduction de mon projet, sans que ce soit un single – à mon échelle. Ce n’est pas un morceau facile d’accès, mais j’avais besoin de marquer mon univers. Le texte est assez subtil, très poétique.

Même musicalement, on a l’impression qu’il y a une progression à chacune de tes sorties.

J’essaie à chaque fois de “stepper”. Dans ma façon de créer et de collaborer, je suis en évolution permanente. Je ne construis jamais de la même manière et avec les mêmes personnes. Pourtant, j’ai un entourage qui est toujours un peu semblable, il y a un truc assez biblique d’ailleurs. J’ai des frères, les frères de Terrenoire, il y a un fils, Fils Cara, et il y a un Saint, Saintard ! Peut-être que je devrais me convertir à la chrétienté [rires]. Plus sérieusement, en tant qu’artiste, je prends de plus en plus confiance en moi.

Quels sont tes axes de progression aujourd’hui ?

J’aimerais bien faire de la prod’ seule, chose que je ne sais pas encore faire. Je vais commencer une formation sur Ableton. On va également mettre en place le live, j’ai envie d’occuper la scène, de travailler les mouvements. Sinon, rien à voir, mais j’ai aussi fait une BO de film…

Tu as fait une BO de film ?!

Oui, c’est Raoul Taburin a un secret de Pierre Godeau, avec Édouard Baer et Benoît Poelvoorde. C’est un film familial, une adaptation de Sempé. Donc j’ai composé une chanson – en anglais – pour le film, et il se trouve qu’ils m’ont fait jouer dedans, avec mes amis de Terrenoire !

Tu as déjà fait des chansons en anglais auparavant, je pense au projet de Tengo John…

Oui, c’est vrai, l’outro de Hyakutake qui s’appelle “Mind” ! On s’est rencontrés grâce à SoundCloud, il y a deux ans. Il m’avait envoyé la chanson et il me voyait trop dessus. Je suis venue en studio, on a fait le truc, et bim-bam-boum. Je l’adore, il est incroyablement polyvalent.

Comment tu décrirais ta connexion artistique avec Prince Waly ?

C’est marrant, parce qu’on ne fait pas du tout la même chose, mais on a les mêmes références musicales. On a cette culture super marquée années 1990. On a fait ce morceau “45 tours” et, de fil en aiguille, il m’a invitée sur le morceau “Girl” de son projet BO Y Z. Puis là, il y a d’autres choses qui arrivent. On a écrit des trucs ensemble pour son futur projet. Je suis sur le morceau “Smoke” aussi, j’ai fait les arrangements des chœurs. On a une belle connexion et on se soutient mutuellement.

Il paraît que tu lui apprends à chanter !

Je crois qu’avant qu’il ne me rencontre, il n’avait jamais pensé à chanter. Mais quand j’ai entendu son EP Junior – c’est comme ça que je l’ai connu –, j’ai entendu sa voix et je me suis dit : “Mais lui, il faut qu’il chante !” Parce qu’il groove tellement quand il rappe, il a un placement de sa voix hyper-musical. C’était un challenge pour lui “45 tours”, il n’était pas à l’aise au début. Puis il s’est laissé prendre au jeu, et il s’est mis à vraiment kiffer chanter. C’est un aspect de son talent qu’il va mettre en exergue sur son prochain projet.

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Est-ce que “Montreuil-Chapelle” est la suite du morceau “45 tours” ? Parce qu’à la fin du titre, Prince Waly dit : “J’ai la tête à l’envers et le cœur qui prend l’ascenseur”, alors que “Montreuil Chapelle” débute avec : “J’ai la tête à l’envers comme si je tombais du lit.”

Bien vu [applaudissements] ! Tu es le seul à l’avoir remarqué ! Il n’y a personne qui a grillé ! Il est dans le clip en plus, on reconnaît sa silhouette. Bravo Konbini, je vous félicite.

Comment est-ce que tu travailles lorsque tu composes ?

Ça change à chaque fois. Mais je n’écris jamais avant d’avoir la mélodie. Récemment, je me suis réveillée avec une mélodie et un texte dans la tête [elle chante]. Et je me suis dit : “P*tain, il y a un quelqu’un qui est venu dans ma tête cette nuit !” C’est souvent comme ça que ça se passe. Par exemple “45 tours”, c’est Raphaël de Terrenoire et Prince Waly qui ont coécrit, et Saintard et moi on s’est occupés de la musique. Tout se fait au feeling. Je pourrais être uniquement une interprète, mais je préfère toucher à tout. Pour moi la musique c’est le partage, il y a toujours un moment où j’ai super envie de collaborer.

Dans tes morceaux tu évoques Marvin Gaye, J. Cole et Pink Floyd. Quelles sont tes influences musicales ?

En chanson française, Claude Nougaro, je ne m’en lasserai jamais. Mais aussi Serge Gainsbourg et Matthieu Chedid. J’ai bien saigné Missy Elliott aussi. Toute la scène new soul des années 2000 qui groove bien. Biggie, Aaliyah, des choses très nostalgiques. J. Cole j’adore, le dernier album KOD est magnifique. Tu ressens le hip-hop sans artifice avec ce mec-là. Kendrick Lamar, Kali Uchis, Tyler, the Creator, The Internet, Childish Gambino, James Blake, Travis Scott.

Sinon, historiquement, Lunatic, les Sages Poètes de la rue, Oxmo Puccino. En rap français, Josman, j’adore le Colors qu’il a fait. Hamza aussi est trop fort, on dirait un cainri. J’aimerais trop le rencontrer. Je lui ai envoyé un message sur Insta un jour, il ne m’a jamais répondu [rires]. Sinon j’ai trop kiffé Varnish La Piscine. Et Loveni aussi, son EP est trop cool. On s’est dit qu’on allait faire une collab’ !

Comment tu décrirais ton univers artistique ?

Je dirais : enchanté. C’est de la pop du futur, pas que du R’n’B. C’est féminin, smooth, très sucré, mais pas que ! Il y a toujours une ambiguïté dans mes morceaux, et j’aime jouer avec ça. Mais là, j’ai plein de nouveaux titres plus personnels que vous pourrez découvrir sur scène.

C’est marrant de faire de la musique du futur avec des influences oldschool.

C’est la musique “back to the future”. C’est du revival mais tous les artistes sont dans le revival. C’est comme la mode, un éternel cycle.

Comment as-tu élaboré Boucle, ton premier EP ?

Cet EP a été élaboré dans mon salon, pour des raisons avant tout économiques [rires]. Je suis indépendante, j’ai monté ma propre structure pour pouvoir le sortir et je n’ai pas eu le plaisir de pouvoir tout enregistrer en studio. En revanche, j’ai eu la chance de travailler avec de fabuleux artistes producteurs que je chéris dans mon cœur aussi pour des raisons humaines (Filscara, Oscar Emch et Terrenoire). Il y a aussi des amis musiciens qui sont venus sublimer les productions, je tiens à ce mix entre l’organique et le produit : Ralph Lavital à la guitare, Elise Blanchard à la basse et mon acolyte Saintard aux claviers. Maxime Kozinetz et Kezo au mixage du projet.

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