Voici pourquoi “Jenny from the Block” de J.Lo est un chef-d’œuvre du sampling

Voici pourquoi “Jenny from the Block” de J.Lo est un chef-d’œuvre du sampling

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Par Brice Miclet

Publié le

Sample Story #35. Un titre peut sampler un morceau samplant déjà un autre titre. Le sampling à plusieurs étages, qui permet de traverser les genres musicaux, est la base de travail du duo de producteurs The Trackmasters pour composer le hit “Jenny from the Block” de Jennifer Lopez en 2002.

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Lorsque l’on a vécu dans la rue à ses 18 ans et que l’on devient, quelques années plus tard, l’une des plus grandes stars de l’industrie musicale et cinématographique au monde, on peut vite avoir le tournis. Il faut garder la tête froide, ne pas oublier d’où l’on vient.

Jennifer Lopez est bien placée pour le savoir, à tel point que cet état d’esprit lui inspirera l’un de ses plus gros tubes, “Jenny from the Block”, sorti en 2002 sur son troisième album, This Is Me… Then. Un hit redoutable qui est pourtant bien plus chargé en histoires et en anecdotes que ce qu’il peut laisser croire.

Une réponse aux paparazzis

À l’époque, Jennifer Lopez est au sommet. Surtout, elle reprend le contrôle de sa musique, elle qui s’était grandement concentrée durant la seconde moitié des années 1990 sur sa carrière d’actrice. Elle est bien plus impliquée dans la genèse de ce nouvel album, et cela va changer beaucoup de choses.

Alors, certes, elle s’entoure de pointures comme Scott La Rock, le duo de producteurs Poke and Tone (qui a notamment façonné les plus gros tubes de Will Smith) ou encore Andre Deyo. Du beau monde à la confection d’un disque qui atteindra les sommets commerciaux, mais surtout d’un tube qui résonne encore aujourd’hui dans de nombreuses soirées.

“Jenny from the Block” est le single principal de This Is Me… Then. À l’époque de la sortie de l’album, il s’avère que la chanteuse vient tout juste de se fiancer avec l’acteur Ben Affleck. Une relation que les paparazzis ont scrutée jusqu’à l’indécence, baptisant le couple Bennifer, et qui a imprégné les textes de l’album.

Le contexte est à la fois people et musique et, dans ces cas-là, il ne faut pas se planter. Pour ce faire, les producteurs mobilisés sur la confection de “Jenny from the Block” vont non seulement trouver un beat et une accroche mélodique lourde (qui donnera lieu à une autre controverse, on y reviendra), mais vont surtout user de samples chargés en symbolique.

L’hommage au Bronx natal de J.Lo

En introduction du morceau, il y a cette voix qui chante : “Children grow and women producing/Men go working, some go stealing/Everybody’s got to make a living.” Une façon de dire que chacun tente de se sortir de la pauvreté avec les moyens dont il dispose. Tout n’est pas noir ou blanc : selon J.Lo, il y a aussi du gris.

Mais cette phrase n’est pas d’elle. Il s’agit d’un sample piqué dans l’introduction d’un titre de 1975 des Anglais de 20th Century Steel Band, “Heaven and Hell Is on Earth”. Ce groupe éphémère s’est formé suite à un télécrochet britannique, et n’aura existé que durant deux années, jusqu’en 1977. Le temps de sortir ce titre, deux albums très inégaux et une poignée de singles.

Jennifer Lopez a grandi dans le Bronx, à New York. C’est le berceau du hip-hop, le quartier qui l’a vue naître dans les années 1970. Alors, forcément, la fierté d’en provenir est forte. Parmi les nombreux groupes qui en sont issus et qui ont durablement marqué l’histoire du rap, on trouve Boogie Down Productions, dont faisait partie KRS-One.

En 1986, en réponse au titre “The Bridge” de MC Shan (ode à la scène rap de Queensbridge), la formation sortait “South Bronx”, un hymne. Alors lorsqu’il s’agit de faire démarrer le beat de “Jenny from the Block”, rien d’étonnant à ce que le passage où le crew s’écrie “South Bronx, South, South Bronx” soit samplé.

Au milieu du morceau de J.Lo, il y a une coupure. Là encore, on entend le sample de “South Bronx” des BDP, mais avec cette partie de cuivres culte, histoire d’asseoir l’hommage.

Pour la petite histoire, cette ligne était déjà un sample pillé dans le titre “Get Up Offa That Thing” de James Brown (situé à la vingtième seconde du morceau pour être exact). Nous avons donc J.Lo qui sample les Boogie Down Productions, qui samplaient eux-mêmes James Brown. Le sample à plusieurs étages, ça peut emmener loin, parfois.

Sur une idée originale de The Beatnuts

Ces deux samples n’ont donc rien d’anodin. La team de producteurs est parvenue non seulement à les rendre pertinents musicalement, mais aussi symboliquement. Souvent, lorsque la démarche symbolique l’emporte sur la démarche artistique, il y a des déceptions quant au résultat final. Pas ici.

Le plus gros de la production de “Jenny from the Block” a été réalisé par Poke and Tone, aussi connus sous le nom de The Trackmasters. La ligne d’accords et la mélodie de flûte, c’est leur idée. Mais une idée, ça peut se voler. Pour le prouver, il suffit d’écouter le titre “Watch Out Now” de The Beatnuts, sorti en 1999.

On est très proche du copier-coller. Les Beatnuts n’ont pas été samplés par Poke and Tone, puisque le duo de producteurs a rejoué presque tous les éléments compris dans “Watch Out Now”. Sans autorisation, d’ailleurs. Le groupe s’insurgera contre cette pratique : “Chaque personne étant familière de notre musique et qui entendait ‘Jenny from the Block’ savait que c’était un beat des Beatnuts. Il n’y a pas de débat. C’est du vol pur et dur. C’est la même batterie, la même flûte, le même tempo… C’est notre idée.”

Reprises et sampling à plusieurs étages

Il se murmure qu’un arrangement aurait été trouvé pour calmer un tant soit peu la colère des Beatnuts. Mais si Poke and Tone n’ont pas été plus inquiétés que cela, c’est que le beat de “Watch Out Now” repose lui-même déjà sur un sample. La flûte en question provient du tout début du titre “Hijack” d’Enoch Light, sorti en 1975.

Ce compositeur avait l’habitude de s’entourer de groupes interprétant ses reprises de titres disco/funk. Et la reprise ici est celle du titre “Hijack”, donc, de la formation espagnole Barrabás, paru en 1974.

Si l’on résume, nous avons donc le groupe Barrabás qui sort la chanson “Hijack” en 1974, qui sera reprise l’année suivante par Enoch Light avec l’aide de The Hustle, la mélodie de flûte de cette reprise étant ensuite samplée par The Beatnuts sur “Watch Out Now” en 1999, instru que reprendront enfin Poke and Tone pour façonner “Jenny from the Block” de Jennifer Lopez en 2002. Vous suivez ?

“Jenny from the Block” est donc une histoire de samples et de reprises à plusieurs étages. Mais c’est aussi l’histoire d’un clip, qui est en grande partie réalisé du point de vue des paparazzis, qui à l’époque épient les moindres faits et gestes du couple Bennifer. On voit donc Jennifer Lopez et Ben Affleck bronzer sur un yacht, prendre de l’essence, faire du shopping, etc. Les deux stars se mettent en scène.

J.Lo essuiera de nombreuses critiques estimant qu’il est indécent de sa part de se plaindre de sa situation, alors même qu’elle évoque ses moments difficiles dans le texte du morceau. Une polémique qui n’empêchera pas ce titre plus complexe qu’il n’y paraît de devenir un classique des années 2000.