On a visité l’expo sur le Velvet Underground avec La Femme

On a visité l’expo sur le Velvet Underground avec La Femme

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Par Théo Chapuis

Publié le

Avec quel autre groupe visiter l’expo sur le Velvet Underground que La Femme ? Par le biais de l’intense carrière du groupe new-yorkais, on a discuté avec eux des chanteuses, du conservatoire, de la banane de Warhol et de l’avenir du rock.

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“Le premier album du Velvet Underground s’est vendu à 30 000 copies lors de ses cinq premières années. Je pense que chaque personne qui en a acheté un a monté un groupe”, aurait un jour dit Brian Eno. Et s’il n’a sans doute pas tout à fait raison, il n’a certainement pas tout à fait tort non plus. C’est peu dire que l’influence du Velvet Underground sur le rock est immense. Primordiale, même.

Sans la bande montée par John Cale et Lou Reed, pas de Sonic Youth, pas de U2, pas de New York Dolls, pas de Smiths… Et aujourd’hui, pas de La Femme non plus ? “C’est une grande influence”, raconte Marlon, l’un des deux maestros qui tirent les ficelles du groupe français, sensation de l’année 2013 avec l’album Psycho Tropical Berlin.

Avant même qu’on aborde l’exposition rétrospective consacrée au Velvet Underground à la Philharmonie de Paris, il ajoute : “C’était mon groupe préféré quand j’avais entre 17 et 19 ans, quand je l’ai découvert. J’ai d’abord écouté ‘Femme Fatale’ et ‘Sunday Morning’, puis j’ai acheté le disque à la banane et je l’ai beaucoup écouté”, dit-il.

Sacha, son alter ego au sein de La Femme, connaissait déjà plus jeune, grâce à sa mère, qui “kiffait beaucoup”. Lui a vraiment découvert quand il a commencé à “plonger dans le rock et écouter des trucs à l’ancienne”. Il remarque aussi “les gros solos, comme celui de “What Goes On”, le côté pur de certaines mélodies mais aussi celui très expérimental, avec un son parfois très englobant”. Pas de doute, La Femme aime les auteurs de “Femme Fatale”.

L’exposition commence par une mise en contexte dans la contre-culture américaine avec la beat generation d’Allen Ginsberg, William Burroughs et Jack Kerouac, mais aussi Bob Dylan. Atmosphère. Très vite, on s’introduit dans la pièce consacrée aux personnages qui ont fait le Velvet, à commencer par John Cale et Lou Reed, les deux véritables ego du groupe. Tiens, un peu comme Marlon et Sacha de La Femme, non ? “C’est cool d’être deux parce qu’à plus de membres, c’est plus compliqué de composer. On travaille parfois ensemble, mais surtout chacun de notre côté. Quoi qu’il arrive, on confronte nos idées et on retravaille tout ensemble”, explique Marlon.

Au conservatoire, “des robots qui lisent des partitions”

Si Sacha a appris la musique seul, tout comme Lou Reed, Marlon partage avec John Cale une éducation musicale : sa mère l’a mis au conservatoire quand il avait 7 ans… et il n’en chérit pas le souvenir : “Le conservatoire c’est strict, ils te formatent. Beaucoup ne tiennent pas le choc et deviennent juste des robots qui lisent des partitions”, explique-t-il.

On laisse les garçons déambuler doucement entre les costumes exposés, les vidéos d’époque et les bandes d’enregistrement inédites. De quoi se rappeler que le Velvet c’était évidemment des disques, de la musique, du rock… mais aussi une recherche constante de s’inscrire dans un univers artistique a priori pas vraiment taillé pour les blousons noirs.

Inspiré par les bourdons soniques expérimentaux de La Monte Young et s’acoquinant avec la joyeuse troupe arty d’Andy Warhol et son pop art, le Velvet Underground est l’exception qui confirme la règle : il a beau être une influence déterminante sur la culture punk, il n’en partageait pas le dégoût pour les beaux-arts. Les gars de La Femme non plus, qui se verraient comme des poissons dans l’eau dans leur propre Factory, ambiance Paname 2016 :

“Presque tous les gens qu’on côtoie sont dans le milieu artistique. Ils sont musiciens, stylistes, costumiers, performers, dans le cinéma aussi, d’autres écrivent… On aurait bien aimé choper un grand espace de 200 mètres carrés sur Paris pour pouvoir fédérer tous ces gens, plus ceux qu’on rencontre de par le monde quand on voyage, et puis les inviter. Pas forcément un squat d’artistes, seulement un lieu où tu restes deux ou trois mois, tu chilles et tu fais des trucs avec les autres.”

Marlon s’attarde alors un peu sur le rapport entretenu entre les membres du Velvet et le mentor Warhol : “Ça m’a fait marrer dans l’extrait qu’on regardait, ils disaient qu’ils étaient en conflit avec leur label mais que grâce à Andy Warhol ils ont pu faire tout ce qu’ils voulaient…” Puis il ajoute : “Et il a vendu une banane sur une pochette à un gros label.” Ça les fait ricaner comme des lycéens qui ont fait une bêtise.

“Un délire un peu techno-psych”

Cette banane, justement, quelle banane ! Quel emblème plus largement célèbre évoquant le Velvet Underground ? Ce fruit à jamais mûr, recelant, d’après la légende, une dose de trip sur les premiers pressages annonce le moment de parler psychédélisme avec Marlon et Sacha, eux qui ont dévoilé un premier extrait de leur deuxième album, “Sphynx”, qui exhale des parfums de LSD sous les synthés ronflants :

“C’est venu avec le Psych Fest à Austin, on voulait faire du psyché mais pas traditionnel, on voulait éviter le revival, apporter un peu d’électro, et un délire un peu techno-psych”, dit Marlon. Au fond, c’est quoi le psychédélisme ? “C’est se laisser aller, être fluide. Tu laisses aller tes ressentis…”

Et les substances qui y aident, ça joue pour créer de la musique ? “Se laisser aller, ça joue, oui”, ajoute-t-il. Au tour de Sacha d’intervenir :

“C’est pas spécialement un outil pour composer. L’héroïne a mauvaise presse pour notre génération : tout ce que nos parents nous ont dit, les histoires, les films avec des overdoses… tous ces groupes de rock qui ont mal fini. Et puis, Renaud c’était le Ricard, Marley les joints, le Velvet l’héro… mais Georges Brassens fumait la pipe et pour moi sa musique est tout aussi ouf. Les gens sont fascinés par la drogue, mais c’est une légende qui s’auto-alimente.”

Quoi qu’il en soit, pendant l’expo, pas besoin de gueudro pour triper. Marlon est posé sous une structure en bois qui s’élève dans la seconde grande pièce. Elle est conçue pour que chacun puisse s’y allonger et regarder des projections du groupe et de sa troupe, tranquillement. Sacha le rejoint vite et ils y resteront la majorité du temps de la visite, les yeux capturés par ce shoot visuel à la mémoire d’un groupe fascinant. “Y’a de l’histoire, des projections photo, des extraits de films d’Andy Warhol…”, nos deux compères sont aux anges : la vidéo, ils adorent ça. Il n’y a qu’à voir le soin tout particulier accordé à chacun des clips de La Femme, qu’ils ont presque tous réalisés eux-mêmes. 

“On a toujours été touchés par l’image, on est des artistes avant d’être des musiciens, donc on a appris à s’exprimer aussi par l’image. On tripe juste avec des trucs beaux, on ne veut pas se bloquer à une catégorie. Quand on a fait un trip, on l’a fait et on veut passer à autre chose.”

“C’est juste un album de musique des années 2013”

C’est pas un peu casse-gueule d’être à la fois yéyé, à la fois surf, à la fois électro ? “Forcément si tu tapes dans un style y’a les puristes qui vont pas kiffer, se défend Sacha. Psycho Tropical Berlin c’est pas surf, c’est pas yéyé, c’est pas électro : c’est juste un album de musique des années 2013.”

Reste que “le rock en France est en train de se perdre” au bénéfice de l’électro et du rap d’après Marlon, lui qui voit du bon et du mauvais dans la muséification du rock qui s’opère à pleine vitesse depuis le début des années 2000. Mais il ne désespère pas : le rock reviendra. “Il se retrouvera sans doute, c’est un élan qu’il lui faut. Regarde, en Amérique du sud, en ce moment, le rock est super développé et au Mexique tout le monde écoute ça, tu vois des rockers partout dans la rue”, explique-t-il.

Nico, Clémence et les autres femmes

Le Velvet Underground a enregistré son premier album avec une chanteuse extérieure, Nico, imposée par Andy Warhol. Évidemment, ça nous rappelle encore La Femme, un groupe qui se conjugue au singulier mais qui chante au pluriel, avec notamment Clémence Quélennec : “On n’a pas vraiment eu de voix qu’on aimait pour toutes les chansons […] Dans le prochain album, il y aura à nouveau plusieurs chanteuses.” Mais ils admettent qu’en tant qu’auditeur, on puisse tomber amoureux d’une voix, et d’une seule :

“Au début j’étais un peu triste de voir que Nico ne chantait que sur cet album parce qu’elle a une voix magnifique, ça cadre super bien avec le Velvet. C’était un peu comme le yéyé et c’est aussi ce qui nous a influencé avec La Femme : on voulait des mélodies simples avec des voix de femmes.”

Les rayons du soleil se font obliques et la conversation s’achève. Au moment de se quitter, en pleine poignée de main, Marlon lance, sur le ton de l’anecdote potache :

“Ah, au fait, on a donné notre disque à Lou Reed, à New York, en 2011. Il faisait un tout petit concert dans un club, on devait être à peine cinquante, cent maximum. Je lui ai filé le disque à la fin du concert et il a rien dit. Il l’a filé à une meuf derrière, sa manageuse. Elle m’a assuré : ‘Il l’écoutera, il l’écoutera !’ Mais lui, il est parti, il a rien dit. Voilà c’est tout.”