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Sample Story #7 : quand Dr. Dre dénichait le sample le plus mythique de la West Coast

Sample Story #7 : quand Dr. Dre dénichait le sample le plus mythique de la West Coast

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Par Brice Miclet

Publié le

S’il ne fallait garder qu’un seul morceau symbolisant le son rap West Coast, ce serait sans nul doute Nuthin’ But a ‘G’ Thang de Dr. Dre feat. Snoop Dogg, sorti en 1992. Composé autour d’un sample de soul culte, il est une recette qui a été maintes fois copiée, faisant de la Californie l’épicentre du hip-hop américain pour quelques années.

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Si vous avez encore des doutes sur le fait que Dr. Dre a changé la face du hip-hop en moins de trois ans et qu’il a définitivement placé la Californie sur la carte du rap mondial, c’est qu’il faut que vous lisiez cet article. Au tout début des années 1990, Dr. Dre est progressivement en train de s’échapper du groupe N.W.A. qu’il forme avec Ice Cube, MC Ren, Eazy-E, Arabian Prince et DJ Yella.

Il part en solo et a la particularité d’avoir à la fois su percer comme rappeur, mais aussi de s’être imposé comme l’un des producteurs les plus importants de sa génération. Il y a déjà eu son travail avec le groupe, oui, mais aussi, entre autres, celui qu’il a effectué avec les excellents Above the Law. Bref, en 1991, Dr. Dre est à quelques pas du sommet du rap US.

Le contraste violence/sensualité

Il prépare alors son premier album solo qui doit sortir l’année suivante, The Chronic. Déjà, avec le dernier album en date de N.W.A., Efil4zaggin, Dre s’était essayé à de nouvelles sonorités, samplant allègrement la scène P-Funk incarnée notamment par George Clinton (Parliament, Funkadelic…). Des techniques de productions novatrices, une oreille neuve…

Andre Young de son vrai nom est en train d’opérer un virage très abrupt dans son beatmaking, qui marquera à jamais l’histoire du hip-hop. À cette époque, Los Angeles est en proie à des émeutes violentes qui feront 53 morts et des milliers de blessés. Ce son mielleux, suave et sensuel tranche terriblement avec les textes qu’il écrit, en réaction à l’ambiance de sa ville. Le contraste est parfait, et les samples y sont pour beaucoup.

En fait, Dr. Dre est peu à peu en train de se réapproprier une technique utilisée sur les premiers enregistrements de hip-hop de la fin des années 1970-début 1980 : le replay. On sample un extrait de morceau, on le boucle, puis on le fait rejouer par des musiciens en studio. La pratique s’était perdue durant la décennie précédente, mais Dre ne fait rien comme tout le monde.

Alors certes, le replay devient sa marque de fabrique, qui domine dans The Chronic, mais il est loin de délaisser le sampling plus traditionnel, dans lequel il excelle. Il pose son dévolu sur un titre de 1975, I Want’a Do Something Freaky to You. Un morceau à l’intitulé bien coquin, qui a, à sa sortie, connaît un relatif succès dans les charts R&B. Il est le principal fait d’armes du chanteur Leon Haywood, décédé en avril 2016.

L’importance du MiniMoog

Leon Haywood est loin d’être le soulman le plus intéressant des années 1970. Une discographie en dents de scie, quelques bons scores par-ci par-là, une disparition des écrans radars en plein milieu des années 1980. Son parcours est celui de dizaines et de dizaines de chanteurs noirs américains.

Mais sur ce titre, dès les toutes premières secondes, il y a une perle : une batterie, deux guitares, point barre. Ça dure une mesure, c’est simple, et ça groove terriblement. Le potentiel n’a pas échappé à Dre qui boucle cette unique mesure, sans toucher au tempo ni à la tonalité. C’est simplissime, et ça fonctionne.

La force d’un producteur hip-hop, c’est de savoir sublimer un sample en studio. Dr. Dre fait venir un bassiste pour densifier la ligne de basse, rajoute quelques effets de percussions, une grosse drum hip-hop, et surtout une mélodie de Minimoog. La mélodie aiguë qui hante le morceau, terriblement entêtante, c’est du Moog. Dr. Dre chérit ce synthétiseur analogique sorti en 1970. D’immenses pianistes l’ont utilisé avant lui, comme Herbie Hancock, Chick Corea ou George Duke, mais aussi beaucoup de groupes de rock psyché ou prog tels que Pink Floyd, Manfred Mann, Frank Zappa ou Yes.

La recette du son West Coast

Cette association de samples mielleux et de Moog, combinés au sein d’une rythmique drastiquement ralentie, est là base du sous-genre que Dr. Dre est peu à peu en train de créer : le G-Funk. Cette musique ne naît réellement qu’en 1993 avec le premier album de Snoop Dogg, Doggystyle. Mais les bases sont là. Et ce sample de Leon Haywood, surmonté de la géniale mélodie de Moog, forment à eux deux les principaux éléments de ce qui deviendra LE titre référence de l’histoire du gangsta rap : Nuthin’ But a ‘G’ Thang.

Le succès est énorme, mais il est surtout l’occasion de voir éclore Snoop Dogg aux yeux du grand public US. Le morceau est vraiment partagé entre les deux artistes. Les rappeurs qui se renvoient la balle, la dualité dans l’ego trip, une boucle simple très peu retouchée, un sample connu… La recette sera reprise bien des fois par presque tous les rappeurs West Coast de l’époque. Surtout un : Warren G.

Une affaire de famille

En 1994, ce dernier est la recherche du hit qui fera décoller enfin sa carrière. Pourtant, il est bien aidé dans le milieu puisque son demi-frère n’est autre que… Dr. Dre. Pour son morceau Regulate, qui donnera son titre à l’album, il boucle très sommairement la première mesure du morceau I Keep Forgettin’ de Michael McDonald (ex-Doobie Brothers), sorti sur son premier album solo If That’s What It Takes en 1982.

À part la mélodie de Moog, la recette de Nuthin’ But a ‘G’ Thang est reprise à la lettre. Y compris le fait que ce soit un featuring. Et puisque tout se fait visiblement en famille, Warren G invite le cousin de Snoop Dogg sur le titre, Nate Dogg. L’alchimie entre les deux est tellement bonne, la mélodie vocale si efficace, que Regulate n’a même pas besoin de refrain.

Tout ce délire incestueux pose, en à peine deux ans, les bases de ce que le rap californien deviendra jusqu’à la fin des années 1990. Et ce même si le son new-yorkais, qui à l’inverse se noircit et se durcit, revient en force dès 1993 avec le Wu-Tang notamment. Encore aujourd’hui, le sample de I Want’a Do Something Freaky to You par Dr. Dre reste l’archétype du son West Coast, comme la définition de la vague hip-hop californienne. Oui, rien que ça.