Sample Story #4 : “Lemon” de N.E.R.D., quand le hip-hop se nourrit des vidéos YouTube

Sample Story #4 : “Lemon” de N.E.R.D., quand le hip-hop se nourrit des vidéos YouTube

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Par Brice Miclet

Publié le

Wait… Wait a minute ! Ceux qui ont écouté le dernier album de N.E.R.D., No One Ever Really Dies, et le titre Lemon, ont certainement eu cette phrase en tête. Ce n’est pas Pharrell Williams qui la prononce, mais le sénateur américain Arlen Specter.

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Nombreux sont ceux qui peuvent se souvenir d’où et de quand ils ont entendu le groupe N.E.R.D. pour la première fois. Du côté de la France, c’est surtout grâce au second album du duo, Fly or Die, sorti en 2004, et au single She Wants to Move, que l’histoire d’amour a commencé.

Pharrell Williams avait déjà les faveurs des initiés via son travail de producteur avec The Neptunes. Cette fois, les choses prenaient une autre dimension. Sauf qu’entre-temps, en 2014 plus précisément, Pharrell, alias l’homme qui ne vieillit jamais (à l’instar de Will Smith, chez qui ça commence quand même à se voir cela dit), est devenu une star internationale.

Les titres “Get Lucky des Daft Punk et Happy de Pharrell Williams sont passés par là et, pour le grand public, il s’agit d’un nouveau venu sur la scène musicale mondiale. Hérésie pour les fans de la première heure. Il fallait donc que N.E.R.D., l’ancien Pharrell, revienne et vite.

Un républicain dissident

Mais le duo n’est jamais vraiment parti : il sort un album en 2008 (Seeing Sounds) et un autre en 2010 (Nothing). Lorsqu’il sort un cinquième opus en 2017, No One Ever Really Dies, l’attente est tout de même énorme. Le morceau d’ouverture, Lemon, en duo avec Rihanna et produit par The Neptunes, est une boucherie dans le bon sens du terme. Au sein du beat, incorporé à la rythmique, on entend en boucle un homme dire : Wait… wait a minute !

L’homme qui prononce cette phrase se nomme Arlen Specter. Et si vous croyez qu’il s’est bougé jusqu’au studio de Pharrell Williams pour l’enregistrer, détrompez-vous. Il s’agit bien d’un sample, et Arlen Specter n’est en rien un inconnu. Sénateur américain républicain, il s’est plusieurs fois distingué en prenant des positions inhabituelles pour son bord.

En 2009, notamment, il soutenait l’Obama Care, contre l’avis de son parti, dérivant de la ligne directrice globale. Cela lui a certes coûté une élection et lui a non seulement attiré les foudres de ses collègues, mais aussi celles d’électeurs républicains purs et durs. Eh oui, c’est important de le mentionner pour comprendre ce sample.

Dieu se dressera devant vous, et il vous jugera

Le 11 août 2009, Arlen Specter est invité à Philadelphie, à la mairie, pour une réunion publique portant justement sur l’Obama Care. Un millier de personnes se présente à l’événement, alors que la salle a une capacité de seulement 250 sièges. Un joyeux boxon dans lequel Arlen Specter est franchement chahuté.

Au milieu de la réunion, un homme l’interpelle avec véhémence, ce à quoi le sénateur répond : Si vous voulez être mis dehors, vous êtes libre de partir. L’homme est légèrement bousculé, c’est là que Specter lance son Wait a minute, wait a minute…, et ce une bonne dizaine de fois.

Il donne le micro à son interlocuteur, qui part dans une diatribe, la voix chevrotante :

Je vais vous dire ce que je pense avant de partir, car votre équipe m’a dit que je pouvais le faire. J’ai appelé votre bureau qui m’a dit que je pourrai avoir le micro pour parler. Et on m’a menti, car je suis venu, préparé à prendre la parole, et au lieu de ça, vous ne laissez personne s’exprimer. […] Eh bien j’ai une nouvelle pour vous et vos amis du gouvernement, qui faites cela à longueur de temps.

Je ne suis pas un lobbyiste avec de l’argent à mettre directement dans vos poches pour que vous puissiez trahir les honnêtes citoyens de ce pays. Alors je vais partir, et vous pourrez faire tout ce qui vous chante. Mais un jour, Dieu se dressera devant vous, et il vous jugera pour cela, vous et le reste de vos amis.

Ambiance. D’autant que l’échange houleux passe en direct sur plusieurs chaînes de télévision majeures, et devient viral sur YouTube. Il n’en faut pas moins à Pharrell Williams et consorts pour se réapproprier ce passage.

Fox News toujours dans les bons coups

Les courts extraits de documentaires, de vidéos YouTube, d’interventions télévisées ou radiophoniques sont légion dans le sampling et ont explosé depuis 2008 en raison de l’augmentation des phénomènes viraux sur Internet. La pop culture passe par là, et le sampling hip-hop l’a embrassée depuis un bail.

Les exemples majeurs pleuvent ces dernières années. Lorsque Kendrick Lamar avait retourné la cérémonie des Grammy Awards 2016, il était apparu sur scène surmontant une voiture de police. La chaîne conservatrice Fox News n’avait pas manqué de souligner ce “vandalisme” et de citer ses paroles dénonçant les violences de la police.

La présentatrice Kimberly Guilfoyle lâche alors un Oh please… Argh, I don’t like it, que Kendrick incorporera à la toute fin de BLOOD., premier titre de l’album DAMN. Peu après, au milieu du morceau DNA., il extrait un autre passage de l’émission, dans lequel l’animateur adepte de sensationnalisme Geraldo Rivera dit :

This is why I said that hip-hop has done more damage to young african-americans than racism in recent years. (En français : C’est pour cela que je dis que le hip-hop a causé plus de tort aux Afro-Américains que le racisme ces dernières années.)

L’hommage de Queen B

Autre exemple phare, celui du titre Formation de Beyoncé. Au début du morceau, single de l’album Lemonade, on entend un homme questionner : What happened at the New Orleans ? Bitch I’m back, by popular demand !

L’homme en question est un youtubeur, Messy Mya, assassiné en 2010 à la Nouvelle Orléans. Il mêlait humour, excentricité, et dénonçait la violence des quartiers de sa ville natale. Dans une vidéo, il interpellait, à sa façon, le gouvernement américain sur la situation post-Katrina, thème dont Beyoncé s’est grandement nourrie pour son titre Formation.

Les samples de vidéos sont donc de plus en plus courants. Ils peuvent être une réponse cynique aux critiques comme chez Kendrick Lamar, un hommage engagé chez Beyoncé ou tout simplement une bonne punchline, comme chez N.E.R.D. En France, personne n’a encore essayé de sampler le : “Qu’est-ce qui est jaune et qui attend ? Jonathan. Et ça n’est pas plus mal.