AccueilPop culture

Sample Story #28 : comment le rap a revisité le cultissime thème de Halloween

Sample Story #28 : comment le rap a revisité le cultissime thème de Halloween

avatar

Par Brice Miclet

Publié le

Du film d’horreur aux samples hip-hop : itinéraire d’une mélodie aussi stressante qu’entêtante.

À voir aussi sur Konbini

L’œuvre cinématographique et musicale de John Carpenter a influencé une grande partie de notre culture contemporaine, que ce soit grâce à Christine, ou à The Thing. Mais son film le plus notable est sans nul doute Halloween, sorti en 1977. Carpenter signe aussi la bande originale de ce classique du cinéma d’horreur, avec notamment un thème musical phare : “Main Title”. Rien qu’à l’entendre, les frissons arrivent, et ça, les rappeurs le savent pertinemment.

Lorsqu’en 1977 le réalisateur John Carpenter a amené la première mouture de son film d’horreur Halloween à sa productrice, Debra Hill, le verdict fut sans appel : le film n’était absolument pas effrayant. En fait, il lui manquait une chose cruciale, un élément indispensable à la tension et à l’ambiance macabre recherchée…

De la musique. En trois jours, le réalisateur américain, qui est aussi compositeur, écrit et enregistre la bande originale de Halloween, validant par la même occasion son bébé auprès de ses financeurs.

À la base, un simple exercice de piano

Pour parvenir à aller aussi vite, John Carpenter s’est associé à un homme : Dan Wyman. Un spécialiste des synthétiseurs et de leur programmation, qui sait en tirer le meilleur : s’il faut des cordes stridentes, elles sortent des synthés, s’il faut des chœurs mystérieux et brumeux, idem. Cumulant force créatrice et maîtrise technique, les deux hommes parviennent à enregistrer l’intégralité de la bande originale de Halloween avec les seuls synthés et un piano.

La version finale, celle sur laquelle des générations de spectateurs ont encore les dents qui claquent, est quant à elle enregistrée avec le Bowling Green Philharmonic Orchestra, pour plus de prestance. Mais parmi toutes les pistes enregistrées, la plus mythique reste très certainement la toute première, celle qu’on entend sur le générique d’ouverture : “Main Title”.

Le début du morceau est simple : une ligne de piano équipée d’une très légère rythmique de synthétiseur. Souvent, les mélodies les plus simples sont les plus flippantes. Rappelons-nous de la géniale musique de L’Exorciste, composée par Mike Oldfield…

Ou encore celle de Ring, par Kenji Kawai.

En fait, l’inspiration pour ce “Main Title” vient d’un souvenir. Enfant, John Carpenter a appris le piano avec son père, professeur de musique. Cette ligne mélodique, c’est un exercice qu’il lui faisait répéter. Et c’est cette même ligne que le hip-hop va se réapproprier.

Les samples, la solution de facilité ?

Ce qui est intéressant avec le “Main Title” de John Carpenter, c’est qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un sample clef en main. Une mélodie simple, avec très peu d’éléments autour, un tempo permettant aisément de découper les notes une par une, de modifier drastiquement la structure de l’extrait… Bref, une matière dont beaucoup de producteurs raffolent. Mais tout n’est visiblement pas si simple.

Car assez peu d’artistes vont réellement sampler cette ligne. Il y a bien le pionnier de la Miami Bass, MC ADE, en 1989, et son classique “How Much Can You Take”, qui flaire bon la TR-808…

Ou encore la patte de J Dilla, qui en 2001 terminait son titre en featuring avec Phat Kat – très sobrement intitulé “Featuring Phat Kat” – par un sample de “Main Title”. Rien de bien transcendant ici, le producteur se contentant d’émettre en buzz et de passer un faux coup de téléphone sur cette mélodie. Comme un moment musical de transition dans un premier album, Welcome 2 Detroit, qui fait aujourd’hui office de classique.

Le sample le plus notable est certainement à trouver chez les barjots du rap de Memphis, Three 6 Mafia. En 2007, avec déjà pas mal de bouteille, ils sortent l’ovni “Lolli Lolli (Pop That Body)”. Inutile de préciser sur quelle mélodie de piano est basée cette sorte de rap dance constituée de boîtes à rythme ultra brutes et de synthés presque kitsch.

Les replays, l’inventivité ?

Mais ce qui est le plus intéressant dans cette récupération de “Main Title” par le rap, ce sont les replays, ces samples certes échantillonnés (normal, ce sont des samples), mais ensuite rejoués. De nombreux producteurs se sont pliés à l’exercice, et de manière totalement différente à chaque fois.

Il y a Bilal Bashir qui coproduisait pour Ice-T le titre “The Tower” dès 1991. Ici, on a un replay qui se contente de ralentir le sample, restant très fidèle au son d’origine.

Mannie Fresh, le producteur des méconnus U.N.L.V., en propose une version plus originale qui reprend les notes de “Main Title”, mais avec un son de synthétiseur bien plus aigu et saccadé, semblable à du 8-bit, sur leur titre “Drag ‘Em “N” Tha River” sorti en 1996.

L’un des replays les plus intéressants, et certainement le plus connu de tous, est sans aucun doute le titre “Murder Ink” de Dr. Dre, en featuring avec Hittman et Ms. Roq. Ici, Dr. Dre fait rejouer la ligne de piano en ternaire avec un touché assez différent de celui de base, dont les notes sont bien plus liées. Deux claviéristes ont travaillé sur la plupart des titres de l’album 2001 du rappeur californien : la légende Scott Storch, et le méconnu Camara Kambon. Mais puisque la discographie du premier ne mentionne pas de travail sur ce titre précis, il pourrait s’agir d’une œuvre de Camara Kambon. Ou de Dr. Dre lui-même. À moins qu’il ne s’agisse de son ancien pianiste attitré, Chris “The Glove” Taylor, qui a coécrit le titre “Xxplosive”… Bref, il devait y avoir du monde en studio ce jour-là, et le mystère demeure.

Plus proche de la veine de U.N.L.V., il y a la prod de Don Juan pour l’excellent titre “Psycho Bitch” de Tech N9ne, sorti sur son album Anghellic en 2001. Une sacrée tuerie dans laquelle “Main Title” est totalement vidé de sa substance flippante pour être transformé en outil épileptique. De même, ce sont les sons aigus de synthés qui priment. Et qui défilent.

Presque comique de voir ce qu’en a fait Kaaris en 2012 sur “Un caillou sur la langue”. Tellement transformé, le son d’origine est ici un synthé massif qu’on croirait tout droit sorti d’un titre de synthwave, genre dont l’un des plus dignes représentants s’appelle d’ailleurs Carpenter Brut… Carpenter Brut, John Carpenter, vous suivez ? La patte de Therapy à la production est bien là, époque où il n’y avait pas encore d’embrouille avec Booba. Tout allait bien, et peu importe si on fait dans le sur-produit et qu’on massacre (dans le bon sens du terme) la bande-originale d’un classique du film d’horreur.

En somme, il est tout de même surprenant de voir à quel point la plupart des producteurs ayant samplé ou rejoué la boucle de ce “Main Title” de John Carpenter ont su globalement balayer cette musique de sa signification et de son contexte d’origine. Alors que l’on pourrait s’attendre à une volée de titres centrés sur la peur, la menace, faisant écho à la nature horrifique d’Halloween, c’est plutôt une diversité d’ambiances qui est recensée ici. Car en fait, peu importe la provenance d’un sample, les beatmakers en font ce qu’ils veulent. Et c’est ce qui crée la richesse du sampling, et aussi du rap en général.