Sample Story #17 : le morceau le plus samplé de l’histoire n’est pas un titre de James Brown

Sample Story #17 : le morceau le plus samplé de l’histoire n’est pas un titre de James Brown

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Par Brice Miclet

Publié le

En 1969, le groupe soul et funk américain The Winstons sortait le titre “Amen Brother”. Une face B tombée dans l’oubli, avant que le hip-hop puis les musiques électroniques ne se chargent de la remettre au goût du jour. Jusqu’à en faire le morceau le plus samplé de l’histoire.

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Il y a un débat qui anime le hip-hop depuis que ce genre a commencé à s’imposer massivement par rapport aux autres styles musicaux : quel est le morceau le plus samplé de l’histoire ? Un casse-tête, tant la masse de références est gigantesque. Plusieurs choses sont certaines cependant. L’artiste le plus samplé, c’est James Brown, il n’y a pas photo.

La batterie de son titre “Funky Drummer” est sûrement celle que le hip-hop a le plus utilisée pour façonner ses beats. Mais il n’y a pas que le hip-hop qui use de l’échantillonnage. Si l’on élargit aux autres genres musicaux, la réponse n’est pas la même. Le morceau qui arrive en tête, c’est “Amen Brother” de The Winstons.

5,2 secondes de légende

Une chanson hyper énergique, presque funk, datant de 1969. Elle sort à l’origine en face B d’un autre titre, “Color Him Father”. Pas franchement un hit à l’époque. Mais au fil des ans, et surtout à mesure que le rap prend de l’ampleur durant les années 1980, “Amen Brother” est dépoussiéré et fait le bonheur des beatmakers.

Encore une fois, c’est la batterie qui les intéresse le plus. 5,2 secondes effrénées (à partir de 1 m 25 sur la vidéo), battues à 137 bpm par Gregory C. Coleman, décédé en 2006 dans l’indifférence la plus totale. Pourtant, sa rythmique folle a traversé les âges, les genres et les techniques musicales.

Petit retour en 1986 : cela fait déjà 17 ans qu'”Amen Brother” est sorti. Le sampling dans le hip-hop vient de connaître une révolution technique avec la mise en pratique du microsampling par Marley Marl (il parvient à isoler les éléments d’une batterie, la caisse claire, la grosse caisse et le charleston, et les rentre dans une boîte à rythmes pour les rejouer à sa guise). L’avènement de l’échantillonnage est proche.

Le DJ new-yorkais Louis Flores prend l’initiative de répertorier, au sein d’une série de vingt-cinq compilations appelées “Ultimate Breaks and Beats”, les meilleurs morceaux pouvant être samplés par les producteurs hip-hop, leur mâchant une bonne partie du boulot. La plupart des titres compilés deviendront des samples cultes, utilisés pour certains des centaines voire des milliers de fois. Parmi eux figure “Amen Brother” de The Winstons.

L’avènement de l’Amen break par le hip-hop

En fait, Louis Flores a fait mieux que de se contenter de mettre ce titre dans la playlist : lorsque le break de batterie joué par Gregory C. Coleman arrive, il le ralentit, créant un décalage rythmique en plein milieu du morceau. Grâce à cela, les beatmakers peuvent en isoler les éléments plus aisément que s’il était joué à sa vitesse normale.

Dès cette même année 1986, deux poids lourds du rap vont l’utiliser : Salt-N-Pepa sur “I Desire”, et Steady B sur “Stupid Fresh”. Sauf que ces derniers rejouent le motif rythmique, ne l’échantillonnent pas réellement. Tout comme les Ultramagnetic MCs sur “Watch Me Now”, tiré de leur album culte Critical Beatdown. À la prod’, Ced-Gee, l’un des beatmakers les plus sous-estimés de l’histoire du rap américain.

Le nombre d’artistes et de formations qui vont s’emparer de ce que l’on appelle désormais l'”Amen break” donne le tournis. Les Geto Boys, N.W.A. (ne cherchez plus d’où vient la batterie de “Straight Outta Compton”), Heavy D, Kool G Rap & DJ Polo, Janet Jackson, NTM, DJ Shadow, Eric B. & Rakim, Brand Nubian, Assassin, Sens Unique, House of Pain, Tyler The Creator, Jay-Z, Lupe Fiasco, The Game… Ce sample fera partie de toutes les époques du hip-hop, et de tous ses sous-genres.

Une collecte pour rendre justice

Mais la force de l'”Amen break”, c’est aussi d’avoir su dépasser les frontières du hip-hop, massivement. En fait, cette rythmique est extrêmement semblable à celle qui sert de base à la drum and bass. Les plus grands noms du genre vont donc logiquement l’utiliser, à l’image de Goldie ou de Roni Size.

Mais d’autres artistes qui chérissent les sonorités électroniques vont contribuer à sa légende : Mantronix, Carl Cox, The Prodigy, Noise Factory, LTJ Bukem, Skrillex, Neneh Cherry, Aphex Twin, Amon Tobin, Asian Dub Foundation, Skunk Anansie… On pourrait continuer de la sorte durant des pages et des pages.

Le problème, c’est que ni le batteur Gregory C. Coleman, décédé en 2006, ni l’arrangeur et compositeur d'”Amen Brother”, Richard Lewis Spencer, n’ont bénéficié de cette postérité unique. Résultat, en 2015, un producteur et DJ anglais du nom de DJ Martyn Webster a décidé de réparer cette injustice en lançant une cagnotte sur la plateforme GoFundMe.

L’objectif : récolter 1 000 euros pour les reverser à la famille du batteur et à l’arrangeur. Les internautes, ayant pris conscience de l’importance d'”Amen Brother” dans l’histoire de la musique moderne, se sont bougés, et pas qu’un peu. La cagnotte dépassera finalement les 25 000 euros. Justice est presque faite.