Sample Story #16 : si Kanye West a samplé Daft Punk, Daft Punk samplait déjà un autre artiste

Sample Story #16 : si Kanye West a samplé Daft Punk, Daft Punk samplait déjà un autre artiste

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Par Brice Miclet

Publié le

Le sampling ne se limite pas au hip-hop. Toutes les musiques à dominance électronique ont été et sont touchées par le phénomène. En 2001, les Daft Punk sortaient le hit “Harder, Better, Faster, Stronger“, qui a été samplé plus tard par Kanye West, mais eux, déjà, samplaient un titre d’Edwin Birdsong de 1979.

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En 2007, Kanye West entreprenait de sampler le titre “Harder, Better, Faster, Stronger” de Daft Punk, sorti en 2001, sur son titre “Stronger”, en faisant un nouveau carton. Ce morceau de KW a certainement contribué à faire connaître le principe du sampling à une nouvelle génération d’auditeurs de rap. Le rappeur fou a cette manie : s’approprier les mythes, les intouchables (comme Nina Simone sur “Blood On The Leaves”, par exemple), se les accaparer sans vergogne. Le sample est grillé, tant pis. Puisque Kanye West est la pop culture, comme il le clame haut et fort, il peut faire ce qu’il veut d’elle. Jusqu’à faire en sorte que les Daft Punk apparaissent dans son clip. Alors oui, “Stronger” est un carton. Mais les critiques, elles aussi, pleuvent.

Taillée comme une bouteille de Coca

Kanye s’arrogerait le génie du duo français. Plusieurs critiques, observateurs et musiciens boudent ce qu’ils considèrent comme de la facilité : reprendre un tube pour en faire un autre, c’est easy, non ? Pas forcément. Mais on ne tranchera pas le débat ici. Avec cette récupération, Daft Punk gagne encore en notoriété à l’international. Leur talent de producteurs n’est plus à prouver. Cependant, ce que le public (français et autres) ne sait pas toujours, c’est que “Harder, Better, Faster, Stronger” a usé de l’exact même procédé.

La seule différence, c’est que ça n’est pas un tube que les Français ont samplé. Il s’agit du titre “Cola Bottle Baby” du chanteur américain Edwin Birdsong, sorti en 1979. Attention, pour ceux qui ne l’ont jamais entendu mais connaissent le titre des Daft, ça va faire drôle…

Deux versions, deux façons de sampler

La production de ce titre, qui n’a pas connu le succès escompté lors de sa sortie, est en grande partie due à l’originalité de la production, ce groove mené par l’orgue et la basse, très subtil. C’est savant, ça balance bien comme disent les jeunes, et cela donne un hommage funk aux formes féminines. “Cola, Cola bottle shape, baby / You’re freaking me out, girl”, clame le chanteur de 28 ans à l’époque. En fait, on a l’impression d’entendre un Roy Ayers qui aurait accéléré le rythme. Rien d’étonnant : Edwin Birdsong a participé à la réalisation de deux de trois de ses albums (dont l’excellent Vibrations en 1976).

Les Daft Punk reprennent les quatre premières mesures du titre d’Edwin Birdsong, l’accélèrent légèrement, le dotent d’un beat bien plus lourd et moderne, et accentuent le groove orgue basse à foison. Puis, ils posent dessus le leitmotiv de ce morceau. Une voix au vocodeur qui énumère “Harder, better, faster, stronger” et autres mots en “-er” en boucle. C’est ce passage que Kanye West va sampler sur “Stronger”. Enfin, sur la version radio. Car sur l’album, il sample cette voix, mais aussi le passage emprunté à Edwin Birdsong et son groove redoutable.

La tradition du sample à trois étages

Nous avons donc Edwin Birdsong samplé par les Daft Punk, eux-même samplés par Kanye West. Ces échantillonnages à trois niveaux sont très courants, notamment dans le hip-hop. “Bumpy’s Lament” de Soul Mann & The Brothers (1971) samplé sur “Xxplosive” de Dr. Dre (1999), lui-même samplé sur “Bag Lady” d’Erykah Badu (2001). Ou encore “Funky Worm” des Ohio Players (1972) samplé sur “Dopeman” de N.W.A. (1988) lui-même samplé par Drake sur “Talk Up” en featuring avec Jay Z (2018). Durant la seconde moitié des années 1980, plusieurs groupes comme les Beastie Boys, N.W.A. ou surtout Public Enemy avaient même l’habitude de sampler un artiste, par exemple James Brown, sur un de ses morceaux, puis de se re-sampler soi-même sur un autre. Le serpent qui se bouffe la queue. C’est ce qui fait le charme du sampling.

On entend souvent que le sampling permet à des artistes, lorsque leur musique est réutilisée par des musiciens récents, de retrouver le feu des projecteurs. Certains chanteurs de soul tombés dans l’oubli durant les années 1980 (lorsque le disco a pris mondialement le dessus) ont réussi à donner un second souffle à leur carrière parce qu’ils avaient été samplés. Cependant, Edwin Birdsong, n’a jamais retrouvé les faveurs du public. L’histoire retient bien plus ses collaborations avec Roy Ayers que ses albums solo. Alors qu’il a, indirectement, enfanté de deux tubes planétaires des années 2000, via le sampling. Pas mal pour un type qui n’a plus rien sorti de notable depuis 1981.