Sample Story #12 : Comment Martin Luther King a inspiré “Mask Off” de Future

Sample Story #12 : Comment Martin Luther King a inspiré “Mask Off” de Future

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Marche de Selma – Creative Commons

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Par Brice Miclet

Publié le

Lorsque Future sample dans son gros hit hip-hop de 2017,”Mask Off”, le thème principal de Selma, comédie musicale écrite par Tommy Butler en 1976, pour rendre hommage au combat mené par Martin Luther King, il ne fait pas qu’emprunter quelques notes de musique… Il sample aussi un propos politique.

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Celui qui dit que le sample dans le hip-hop est mort depuis les années 2000 ne doit pas écouter beaucoup de rap. Certes, le pourcentage de morceaux contenant des extraits d’autres musiques a baissé depuis les années 1990, mais il n’y a qu’à écouter les albums de Kendrick Lamar, de Kanye West, de Jay Z, de J Cole, de XXXTentacion, d’A$ap Rocky ou encore d’Action Bronson pour constater que les beatmakers d’aujourd’hui continuent de puiser leur inspiration dans la musique de tous les pays et de toutes les époques.

C’est le cas de Metro Boomin, certainement le producteur le plus en vue actuellement. En 2017, il mettait la main sur un sample qui sera fredonné aux quatre coins du monde : celui de “Prison Song” de Tommy Butler.

Le “dimanche sanglant”

Pour bien comprendre ce morceau, il faut revenir 50 ans en arrière, aux États-Unis, en plein mouvement des droits civiques. À l’époque, l’Alabama est l’un des États américains où la ségrégation raciale est la plus forte et la plus rude. Amelia Boynton Robinson et son mari Samuel W. Boynton appellent à une grande marche, partant de leur petite localité, Selma, 27 000 habitants, direction la ville de Montgomery, à près de 70 kilomètres.

Le but est de protester contre les difficultés que rencontrent les populations noires pour s’inscrire sur les listes électorales dans plusieurs États du sud. Le 7 mars 1965, 700 marcheurs s’élancent. Ils sont rapidement et durement chargés par les forces de l’ordre. Bilan, 70 blessés, ce qui vaudra à cette manifestation d’être surnommée le “dimanche sanglant”.

Deux jours plus tard, une seconde tentative est organisée avec, cette fois, Martin Luther King présent dans les rangs. Mais seule la troisième marche du 25 mars arrivera à destination. Cet épisode majeur de l’histoire moderne américaine fera d’ailleurs l’objet d’un film, sobrement intitulé Selma, réalisé en 2014 par Ava DuVernay.

Une comédie musicale à succès

La ville de Selma est vite devenue un symbole du mouvement des droits civiques, jusqu’à envahir la culture populaire et donc, logiquement, la musique. Dès 1976, le compositeur Tommy Butler, très marqué par ces événements, écrit et met en scène une comédie musicale en hommage à l’action et à l’engagement de Martin Luther King : Selma.

Mêlant gospel et funk, le spectacle reçoit un accueil très positif, à tel point que la bande originale est enregistrée et commercialisée en vinyle en 1978, sous le nom de The Selma Album. On y retrouve le titre phare de la pièce, “Prison Song“, qui clôture ce beau témoignage musical par un thème répété en boucle par les chœurs, soutenus par un piano, une batterie, une basse, une guitare et des orchestrations de cordes.

Une flûte traversière, surtout, hante le morceau, en solo. Au début du titre, alors que les autres instruments ne sont pas encore montés en puissance, on l’entend assurer une mélodie qui est en fait une variante du thème récurrent de Prison Song. Une mesure qui sera donc samplée en 2017 par Metro Boomin, 23 ans au compteur et originaire d’Atlanta, à laquelle il ajoute un beat trap moderne, au son de caisse claire omniprésent et au kick drone.

Tout le morceau est habité par cette mélodie tirée de “Prison Song”, lui donnant un côté mélancolique pour faire écho aux problèmes de surpopulation carcérale abordés par le rappeur. Dans le clip de “Mask Off”, le rappeur fuit les gyrophares et les sirènes de police. Non seulement il sample la musique de Tommy Butler, mais il sample aussi, d’une certaine manière, l’engagement de Martin Luther King.

La flûte omniprésente dans le rap

Ce sample a donné lieu à ce que l’on a appelé le “Mask Off Challenge” : des anonymes (et quelques stars) se sont filmés en train d’interpréter la mélodie de flûte au saxophone, au violon souvent, en la chantant, ou en laissant leurs potes poser le refrain de Future par-dessus.

Avec ce morceau, le rappeur fait exploser les ventes de son album éponyme. Il devient numéro un des charts, mais le coup de force ne se limite pas à ça. Une semaine plus tard, il débarque avec un deuxième album consécutif, le sixième de sa carrière, intitulé HNDRXX, qui réitérera la même performance.

“Mask Off” est révélateur d’une chose : la flûte, qu’elle soit vraie ou imitée au synthé, est de plus en plus présente dans le répertoire du hip-hop moderne. Sur le phénomène “Broccoli” de D.R.A.M. (ft. Lil Yachty), sur “X” de 21 Savage & Metro Boomin, sur “Portland” de Drake ft. Quavo & Travis Scott, sur “Both” de Gucci Mane ft. Drake, sur “Tunnel Vision” de Kodak Black… À croire que la flûte est l’avenir du rap.