Sample story #1 : “Bumpy’s Lament” de Soul Mann & The Brothers

Sample story #1 : “Bumpy’s Lament” de Soul Mann & The Brothers

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Par Brice Miclet

Publié le

Chaque semaine, on vous raconte un sample. Premier épisode avec une simple mélodie de guitare datant de 1971, passée entre les mains d’illustres artistes tels que Dr. Dre ou Erykah Badu et réinterprétée par une chanteuse R’n’B en 2018, Mahalia. L’histoire de la gratte de “Bumpy’s Lament” représente toute la complexité du sampling, entre techniques différentes, hommages et brouillages de pistes.

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Le 25 avril dernier, sur la scène parisienne du Badaboum, la jeune chanteuse anglaise de R’n’B Mahalia interprétait l’un de ses tout derniers titres, “No Reply”. C’est le producteur Maths Time Joy qui est à la manœuvre de ce morceau et, dès les premières notes, la petite mélodie d’orgue suivie d’une descente de cordes nous a dit quelque chose…

Première étape : la reprise

Mahalia, comme beaucoup d’artistes R’n’B de sa génération, se dit influencée par la boss de la nu-soul, Erykah Badu, qui est, entre autres, l’interprète des hits “On & On”, “Apple Tree” et “Honey” ou du refrain de “You Got Me” de The Roots. Entre autres on a dit, car sa carrière et sa réputation sont énormes.

En 2001, sur son deuxième album, Mama’s Gun, elle chantait le titre “Bag Lady”, à dominance acoustique. Pas le passage le plus marquant du disque, clairement, mais l’année suivante, elle sortait une nouvelle version de ce morceau, intitulée “Bag Lady (Cheeba Sac Radio Edit)”. Une belle tuerie.

La petite mélodie de guitare vous rappelle quelque chose ? C’est normal, c’est la même que sur “No Reply” de Mahalia (où elle est donc jouée à l’orgue), en plus rapide et plus haute. Rien de bien exceptionnel jusque-là, la jeune chanteuse anglaise s’étant contentée de faire un petit clin d’œil à l’une des prêtresses du genre qu’elle pratique, en reprenant l’un de ses riffs marquants. Sauf que.

Deuxième étape : le sample

Cette mélodie de six notes, on la retrouve aussi sur le titre “Xxplosive” de Dr. Dre, coproduit avec Mel-Man, et avec un casting fou en featuring : Kurupt, Nate Dogg, Six-Two et Hittman. Que du très beau monde. “Xxplosive” est l’un des nombreux singles de l’album culte du producteur américain, 2001, sorti en 1999, comme son nom ne l’indique pas. Dès le début du titre donc, le même riff.

La tonalité, le tempo, le fait qu’elle soit jouée à la guitare… C’est exactement la même interprétation que sur le titre d’Erykah Badu. Normal, il s’agit là d’un sample, l’empreinte sonore de “Xxplosive” ayant été échantillonnée par la chanteuse pour en faire une nouvelle chanson. Et c’est là que ça devient intéressant, car cette mélodie n’est pas non plus de Dr. Dre.

Elle vient en effet d’un titre de 1971, intitulé “Bumpy’s Lament”, présent sur la bande originale du film culte de la blaxploitation, Shaft, et interprété par Soul Mann & The Soul Brothers. Derrière ce blase se cache l’un des plus grands compositeurs, arrangeurs et chanteurs de soul music : Isaac Hayes. Le titre démarre donc sur ces six notes jouées à la guitare.

Beaucoup de sites spécialisés et de banques de données de samples, telles que WhoSampled.com, mentionnent que Dr. Dre a samplé ce morceau, qu’il en a échantillonné l’empreinte sonore. Ce qui est marquant ici, c’est que c’est à la fois vrai et faux. Enfin, surtout faux.

Explications : dans un premier temps, le producteur milliardaire a bien samplé “Bumpy’s Lament”. Il a isolé le riff de guitare et les éléments qui vont avec (la descente de basse, l’arpège de synthés, et une deuxième guitare discrète), puis les a mis en boucle. Il en a ensuite augmenté la vitesse de lecture, ce qui a pour conséquence d’en augmenter aussi la tonalité proportionnellement. On appelle ça un pitch.

D’ailleurs, lorsque l’on baisse la vitesse de lecture, la tonalité baisse également. D’où le fait que cette mélodie soit plus rapide et haut perchée sur la version de Dr. Dre que sur l’original.

Troisième étape : le replay

Cependant, en tendant bien l’oreille, on remarque que les attaques des notes de guitare sont légèrement différentes sur ces deux versions. À croire que ce n’est pas le même guitariste qui joue, que ce n’est pas un sample… Et pour cause, il s’agit en fait d’un replay.

Dr. Dre, après avoir bouclé et pitché la guitare de “Bumpy’s Lament” et construit son titre “Xxplosive” autour, l’a ensuite retirée du morceau et fait rejouer par des musiciens, à la hauteur et à la tonalité à laquelle il l’avait pitchée. Sampler, modifier le son, puis faire rejouer la boucle par des instrumentistes, ça ne s’appelle pas du sample, ni de la reprise, mais du replay.

Dans le hip-hop, c’était très courant à la fin des années 1970 et au début des années 1980, chez The Sugarhill Gang par exemple, avec leur replay de la basse de “Good Times” de Chic, pour en faire leur titre “Rapper’s Delight”.

Cette ligne de basse, tout comme d’autres éléments du morceau du groupe de Nile Rodgers, est rejouée par les musiciens de Positive Force (groupe de funk signé à l’époque sur le label Sugarhill Records). Les rappeurs du Sugarhill Gang ont ensuite posé leur voix dessus.

Cette pratique s’est rapidement perdue dans le hip-hop, pour finalement revenir en force dans la première moitié des années 1990, notamment via Dr. Dre. Sur son premier album solo, Chronic, en 1992, il était déjà coutumier du fait.

L’intérêt du replay pour le producteur est double : d’abord, cela lui offre un son plus propre, plus léché. Normal, lorsque l’on sample un titre, on en sample aussi les imperfections. Mais grâce à ce procédé, il n’a pas à payer les droits master de “Bumpy’s Lament”, relatifs à l’utilisation de l’empreinte sonore. Par contre, il doit toujours payer des droits d’auteur.

Si l’on récapitule, nous avons donc Mahalia qui, en 2018, fait une reprise d’une mélodie de guitare piquée à Erykah Badu, qui l’avait elle-même samplée chez Dr. Dre, ce dernier en ayant fait un replay de l’original d’Isaac Hayes. Vous suivez ? Il ne manque plus qu’à un producteur malin de sampler le titre de Mahalia pour continuer de faire vivre ce riff à travers les genres et les époques.