Rock en Seine est-il toujours un festival de rock ?

Rock en Seine est-il toujours un festival de rock ?

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Par Brice Miclet

Publié le

Il y a de moins en moins de rock à Rock en Seine. Cette année, le festival parisien s’est illustré en programmant PNL, ce qui a fait grincer pas mal de dents. Véritable pari ou simple besoin de suivre la tendance ? Un peu les deux, nous disent ceux que l’on a interrogés.

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Que les choses soient claires : la programmation de Rock en Seine cette année en a surpris plus d’un. PNL dans un festival de rock ? Une ineptie pour beaucoup. Stefflon Don ? Post Malone ? Blackstar ? C’est quoi leur problème à Rock en Seine ? En fait, la question à se poser est la suivante : qu’est-ce qu’un festival de rock en 2018 ? Et surtout, Rock en Seine est-il toujours un festival de rock ? Sur trois jours, on a donc pu voir ces têtes d’affiche rap au milieu de Liam Gallagher, Idles, Fat White Family, Carpenter Brut ou encore Wolf Alice et Belako.

“Effectivement, le nom du festival, c’est Rock en Seine, constate Ruddy Aboab, coprogrammateur du festival. Il a été axé rock il y a une dizaine d’années, mais l’époque évolue, les manières d’écouter la musique aussi. Un gamin n’écoutera pas que du rap ou que du rock. Je crois que c’est une vision assez rétrograde que de dire qu’il y a des fans de rock ou de rap. Ça n’est pas leur faire confiance. Le type qui est venu voir Macklemore peut kiffer son concert d’Idles, celui qui est venu pour Idles a peut-être adoré le live de Post Malone. On prend ce pari. Rien que ça, c’est une posture rock.”

Pourtant, le public rock n’est pas un mythe. Il existe. Il était là devant le concert survolté d’Idles. Ce groupe anglais est clairement la sensation rock du moment, et sa folie sur scène se voit notamment lorsqu’il joue son titre phare, “Mother”. Des bons déglingos comme on aime. Ce public était aussi là lorsque la Fat White Family a livré un concert qui, comme à son habitude, était puissant et habité – l’un des moments forts du festival, à n’en pas douter.

Des artistes entre deux eaux

Mike Shinoda était l’une des têtes d’affiche du vendredi soir. Le guitariste de Linkin Park et frontman de Fort Minor défendait son premier album solo, Post Traumatic, traitant du deuil de son ami Chester Bennington – le chanteur de Linkin Park qui s’est donné la mort l’an dernier.

Dans un live inégal, il a mêlé ses influences rock et rap, tombant parfois bien trop dans le mélo. Mais il faut dire que ses fans étaient nombreux, aisément reconnaissables dans la foule. Marqué par le signe du pathos, son concert avait son importance.

D’ailleurs, programmer Mike Shinoda n’est pas anodin. On l’a dit, le rap et le rock se rencontrent dans sa musique, depuis toujours. On dirait ainsi que Rock en Seine avait tenu à inviter des artistes pouvant faire la jonction entre les deux publics. Les Sud-Africains de Die Antwoord (et leur live qu’on n’a pas l’impression d’avoir vu évoluer depuis des lustres) en font partie, tout comme Macklemore (qui pour le coup tendait bien plus vers la pop sirupeuse). Le début de son concert était rempli de ses chansons les plus convenues, et son show n’a réellement démarré qu’avec le titre (moyen, soit dit en passant) “Willy Wonka”.

En fait, Rock en Seine s’ouvre musicalement depuis plusieurs éditions. D’ailleurs, Ruddy Aboab défend l’idée que le rock n’est pas juste une musique, mais aussi une attitude : “Ça n’est pas juste guitare-basse-batterie avec pleins d’amplis. On voit au-delà.”

Rock en Seine prisonnier de son nom ?

L’ouverture va donc jusqu’à programmer PNL en clôture du premier soir. Il faut avouer que c’était courageux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas foule ce vendredi. À une poignée de kilomètres de là, le Paris Summer Jam réunit Kendrick Lamar, N.E.R.D et IAM à l’U Arena (qu’il faut désormais appeler “Paris La Défense Arena”) de Nanterre. Résultat : tout le monde se tire dans les pattes et fait un four. Heureusement, Rock en Seine va très largement se rattraper les deux soirs suivants.

Mais pour le moment, et avec une bonne demi-heure de retard (ce qui laissait le temps d’aller voir ce grand fou de Carpenter Brut distiller son show darksynth), les deux gars de Corbeil-Essonnes débarquent sur scène, sortant de sous la scène, avec leurs poses de boys band travaillées, sous les cris de l’assistance étonnamment clairsemée. D’ailleurs, ce terme de boys band n’est pas inapproprié.

C’est simple : si l’on prend en photo les premiers rangs des concerts des Beatles en 1964, de Prince en 1987, des Worlds Apart en 1995 et de PNL en 2018, on obtient des clichés similaires. N.O.S balance des regards de braise à la jeune gent féminine, qui le lui rend bien en hurlant. C’était déjà la même chose lors de leurs deux dates à l’AccorHotel Arena, mais ici impossible de rééditer la même scénographie incroyable. Logique. Tout de même, PNL est parvenu, malgré des interactions parfois risibles avec le public entre les chansons, à offrir l’un des temps forts de cette 16e édition de Rock en Seine.

“Quand on a annoncé PNL, c’est comme si on avait insulté l’esthétique rock, se rappelle Ruddy Aboab. Ça a focalisé l’attention sur le fait que subitement, parce qu’ils étaient en tête d’affiche et en clôture de la grande scène vendredi, Rock en Seine n’était plus Rock en Seine. Les gens sont focalisés sur PNL, mais il y a quatre ans, Young Thug donnait l’un de ses premiers concerts à Paris chez nous, et je n’ai pas entendu grand monde crier au scandale. Si on s’intéresse à la programmation dans le détail, l’esthétique rock est toujours présente. The Limiñanas, Fat White Family, King Gizzard & The Lizard Wizard, Idles, The Regrettes, MNNQNS, Belako, Liam Gallagher…”

Liam Gallagher, justement, de retour au festival neuf ans (déjà !) après son clash historique en backstage avec son frère, qui annonçait la séparation d’Oasis. Malgré sa voix un peu plus fatiguée qu’à l’accoutumée et des difficultés à choper les notes hautes, il y a toujours la magie de ses compositions et l’efficacité de la pop anglaise.

La chasse aux petites scènes

Rock en Seine joue donc la carte de la diversité, au risque de froisser une partie de son public historique. “On en déroute peut-être certains, on fait plaisir à d’autres qui seront eux-mêmes peut-être déroutés de venir sur un festival, ajoute Ruddy Aboab. Je ne pense pas que les amateurs de PNL ou de Post Malone aient cette habitude, par exemple. Il faut surprendre les gens. Si un historique de Rock en Seine n’ose plus venir parce qu’on ouvre le festival à des musiques qui sont extrêmement écoutées aujourd’hui, que les gens ont envie de voir sur scène, je lui conseille de venir quand même : je pense qu’il sera agréablement surpris.”

D’autant qu’il y a quand même de quoi faire, notamment sur les plus petites scènes. Sacré coup de cœur pour le kif communicatif de Djam, et leur guitariste de ouf qui nous rappelle qu’un peu de tapping ça ne fait pas de mal, de temps en temps. On a aussi été surpris par les jeunes de Sein, sur qui on ne misait pourtant pas un centime. Sans oublier Ezra Furman, qui a su nous transporter dans son très beau live rock.

Anna Calvi, Octavian, Nick Murphy (ce bassiste…), Blackstar… Il y a eu un paquet de beaux moments. Parmi eux, la clôture du festival assurée par Justice, qui remporte très haut la main le prix de la meilleure scénographie. C’est simple : avec autant de lumières, on se serait parfois cru en plein jour (ou sous LSD, au choix). Il y a aussi eu des déceptions, comme Stefflon Don (qu’on avait pourtant validée depuis bien longtemps), ou Fang The Great… Mais les festivals qui font des sans-faute, ça n’existe pas. Comme le dit Ruddy Aboab, se rendre à ces événements, c’est aussi prendre le risque d’être conquis, déçu, surpris… Aux publics rock et rap de le comprendre désormais.