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Interview : Maes, le professeur du rain-té

Interview : Maes, le professeur du rain-té

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MAES ©MEDDYZOO

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Par Sophie Laroche

Publié le

Quelques mois après le succès de Réelle Vie 2.0, Maes revient avec Pure, son premier album. Rencontre.

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MAES ©MEDDYZOO

Depuis son premier succès avec le titre “TMAX530”, il y a de cela un an, l’histoire de Maes, nouveau prodige de Sevran, est bien connue des amateurs de rap français. Bercé par Sniper et Salif, l’artiste, qui se décrit comme un gamin discret à l’époque, commence à rapper vers l’âge de 13 ans avec son premier groupe, MSR. “J’étais le plus faible, je n’avais pas les mêmes influences musicales qu’eux, j’étais déjà plus ouvert et plus persévérant” confie-t-il. Plus tard viendront le lycée, quelques conneries et la prison, pendant plusieurs mois.

Un parcours semé d’embûches et d’incartades sur lequel Maes n’a aucune difficulté à revenir. “Je n’ai pas de tabous concernant la prison“, m’explique-t-il. Il n’en est pas fier pour autant. Cette expérience lui fait mal, à lui, et sûrement plus encore à sa famille, mais elle reste fondatrice. En prison, Maes a eu du temps pour composer. “C’était la galère, j’étais encore debout vers 3h, 4h du matin. Il n’y avait rien à la télé, alors je mettais mes écouteurs pour écouter des prod’ sur YouTube ou checker celles qu’on m’envoyait puis, j’écrivais, je passais le temps.” Mais, aussi pour tirer quelques conclusions. “Aujourd’hui, je fais très attention à ce que je fais, à ce que ça va engendrer. J’en garde donc du bon“.

On l’aura compris, Maes en sort grandi, en tant qu’homme mais aussi qu’artiste, puisque cette expérience imprègne Réelle Vie 2.0, le projet qui l’a révélé ainsi que Pure, son premier album sorti aujourd’hui. Entre piano sombre et vibes latino, flow énervé et mélodies lancinantes, ce premier long format condense les goûts musicaux de Maes ainsi que ses ambitions. Faire un rap qui lui ressemble, qui fait la fierté des siens, de sa production LDS, de sa cité et sa famille, tout en touchant les autres. Une musique somme toute pure.

Konbini | Pourquoi ce titre Pure ? À quoi fait-il référence ?

Maes | Ça représente la drogue, mon ancien quotidien, comme il y a en beaucoup dans des cités mais ça me représente aussi. “Pure”, ça caractérise aussi mon caractère. Je reste moi-même et si je n’aime pas un truc, je le dis. Pas de maquillage, tout est naturel.

Ton projet précédent, Réelle Vie 2.0, avait reçu des critiques assez élogieuses. Est-ce que ça t’a mis la pression quand tu as préparé Pure ?

C’est motivant, ça me pousse. J’ai mis la barre haut sans le faire exprès. Ça me pousse à mettre la barre encore plus haute. Pure, je le trouve vraiment au-dessus de Réelle Vie 2.0. Je le considère vraiment comme son grand frère. Avec lui, j’espère m’installer en tant que rappeur et faire mon trou. J’espère que mes prochains projets seront encore au-dessus.

J’ai l’impression que tu as une certaine facilité dans l’écriture. Est-ce que tu mets beaucoup de temps pour écrire tes sons ?

J’essaye de montrer une certaine facilité, mais il y a beaucoup de travail dessus. Je ne mets pas beaucoup de temps à écrire un texte mais je passe beaucoup de temps à réfléchir sur les phrases que je vais construire. Quand j’en écris une, je sais que je m’engage dans la prochaine, ou celle d’après à suivre une rime par exemple. Je fais attention à tout. J’essaye de faire en sorte qu’aucune phrase ne soit là pour rien et que toutes les phrases que j’écris aient un sens, qu’elles ne soient pas là pour remplir des mesures. Le texte, pour moi, c’est la base.

Quelles sont les meilleures conditions pour écrire selon toi ?

J’aime bien écrire le matin quand je viens de me réveiller, quand je suis tranquille chez moi, en solitaire. Quand je suis en studio et que la prod me plaît, j’écris aussi sur place et j’essaye de faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de perturbateurs autour. Après, les gens comprennent direct que je suis en train d’écrire et ils sortent d’eux-mêmes.

Est-ce qu’il y a des œuvres ou des artistes qui t’ont inspiré dans l’écriture de cet album ?

Je ne suis pas un grand lecteur mais j’essaye de me renseigner quand j’écris. Si je travaille sur un thème précis, si je veux parler de guerre ou d’armes, je vais essayer de trouver des reportages sur le sujet pour pouvoir mieux en parler, essayer de m’instruire, ne pas être autour du sujet mais dans le sujet. En prison, j’ai lu un livre qui s’appelle Nouveaux Bandits. Après les parrains, les caids. C’est un reportage qui parle du banditisme, de représailles, de politiques, des années 1920 jusqu’aux problèmes des cités d’aujourd’hui. J’aime beaucoup l’histoire en général mais aussi l’histoire religieuse. J’y trouve des conclusions qui m’aident à m’orienter dans mes choix de vie.

Je ne regarde pas trop de films si ce n’est Scarface, comme tout le monde, Les Affranchis et aussi Un Prophète. Ce film m’a beaucoup marqué. Je l’ai vu avant la prison, pendant, et je peux encore le regarder aujourd’hui car c’est vraiment un film de ouf. La première fois que je l’ai vu, j’étais intrigué par cet univers de la prison. J’ai toujours été un peu trop curieux, je voulais savoir comment ça se passait. Malheureusement, mon souhait a été un peu trop fort par moments, et il s’est exaucé. C’est vraiment compliqué pour lui, mais à la fin, le personnage principal s’en sort bien malgré ses pertes.

MAES. © MEDDYZOO

En parlant d’histoire, il t’arrive aussi de l’aborder dans certaines phases. Dans “Fumer”, tu dis par exemple, “il me faut des souvenirs par milliers, je pleure le sang de mon continent, celui dont personne n’a pitié“.

Je parle de mon continent mais je peux aussi parler d’autres continents où il se passe des choses terribles et pour lesquelles personne n’a pitié parce que les gens sont bien dans leur coin. Moi le premier, je dors sous un toit, je vis bien. Tout le monde n’a pas cette chance et quand j’écris cela, j’essaye de faire passer un message même si je ne suis pas le plus apte à parler de révolution, j’essaye de donner un peu de force.

Tu te vois écrire plus de textes de ce type ?

Oui parce que quand tu es rappeur, ou juste quand tu es connu, tu as une certaine force. Quand tu vas dire quelque chose, beaucoup de gens vont t’écouter. J’essaye de dire des choses qui peuvent toucher les gens même si je ne vais pas changer le monde. Ce n’est pas ma guerre, peut-être plus tard quand je serai dans l’associatif. Pour l’instant, j’essaye juste de faire des petites parenthèses et d’envoyer un peu de force.

On parle souvent de ta capacité à te diversifier dans tes flows. L’homogénéité de ton projet vient donc surtout du fond, des paroles et d’une atmosphère très sombre même si tu te révèles plutôt optimiste ( “Les mauvais jours d’hiver me rappellent qu’il faut y croire” – “Zipette”). Dans la vie de tous les jours, tu es quelqu’un de plutôt mélancolique ou d’optimiste ?

Je vois le verre à moitié plein, pas à moitié vide. Je suis optimiste et faut pas oublier que ça reste du rap. Cette phase de “Zipette” le montre bien. Je me rappelle que l’hiver dernier était difficile. Réelle vie 2.0 n’était pas sorti mais il y avait un engouement au niveau des freestyles. Cependant, les vues et la vraie vie, ce n’est pas pareil. Aujourd’hui, dès que je vois que ça marche, je suis fier. Je ne te dis pas que tout va bien mais grâce à Dieu, on a franchi un palier, on peut faire les courses tranquillement.

Tu as toujours cru qu’une carrière dans le rap était possible ?

Oui. J’y ai toujours cru. Par exemple, je me suis toujours mis dans la tête que jamais je n’irais en boîte à part pour faire un show case. Aujourd’hui, je peux aller en faire. J’ai atteint mon objectif. Je suis resté fidèle à moi-même, à mes principes, mes idées. C’est bon de réussir comme ça.

L’évolution entre le Maes d’il y a un an et celui d’aujourd’hui est importante dans tes clips.

Oui, on essaye de montrer l’évolution et de montrer autre chose aux petits qui m’écoutent. Si tu leur montres que des gars en jogging, ils pensent que c’est comme ça que tu t’en sors alors que ce n’est pas vrai.

Il est aussi question du temps qui passe. Dans “Fumer”, tu écris : “J’ai la montre mais j’ai plus le temps”.

Aujourd’hui, il y a de l’argent mais je n’ai plus le même temps qu’avant, malheureusement. Je n’ai plus le même temps pour aller voir ma mère tous les jours, je vais la voir deux fois par semaine. Pareil pour mon père, mes petits frères. C’est un mal pour un bien. Je ne suis pas encore overbooké mais ça a changé, c’est plus le même temps qu’avant.

D’ailleurs, un personnage très important dans ton univers et dans cet album, c’est ta mère. C’est un gros soutien dans ta musique aujourd’hui ?

Je ne suis pas trop le type de personne qui parle à cœur ouvert. Je ne vais pas lui envoyer des messages, je ne vais pas l’appeler pour lui dire que je suis désolé pour ce que j’ai fait. J’ai du mal avec ça alors je lui dis différemment, via mes chansons. Je lui ai fait écouter le titre “Mama”, que le refrain car les couplets sont un peu vulgaires. Ma mère regarde un peu tout ce que je fais, mes interviews, tout. Elle me dit d’ailleurs d’arrêter de parler d’elle car ça lui met la pression. Elle préfère rester dans l’ombre.

Quelle est la chose la plus importante qu’elle t’ait transmise ?

Le respect. Elle ne m’a jamais dit de tendre l’autre joue. Si quelqu’un m’embête, je dois répliquer même si ce n’est pas forcément le bon truc à faire. Après, elle sait que je ne suis pas comme ça, que je ne cherche pas la merde et que, si je dois mettre un coup, c’est seulement pour me défendre.

J’ai l’impression que tu es très fidèle à ton entourage. Pour toi, le succès est collectif ?

Oui, carrément. Aujourd’hui, je ne les vois pas tous les jours, mais quand on se voit, on s’encourage. Le succès, c’est collectif. On ne s’enterre pas tout seul comme on ne réussit pas tout seul. Si je réussis, je fais la fierté de ma famille, de ma cité, de ma production [ndlr, LDS]. Et si je fais la fierté de ma production, je ferai la fierté de leur famille, de leur cité et ainsi de suite. C’est l’effet boule de neige, c’est important.

Tu parles beaucoup de Salif et du rap du début des années 2000. Est-ce que tu te sens bien dans ton époque ?

La musique était incroyable à cette époque. J’aurais aimé vivre un peu avant, être né en 1980 et vivre ma jeunesse dans les années 1990-1995. En 2000, j’aurais été vraiment un grand, j’aurais l’âge que j’ai aujourd’hui. 2010 j’aurais été papa. C’est une autre époque. J’ai l’impression qu’il y avait plus de souvenirs, moins d’écrans, plus d’humain.

Quelle est la plus grande chose que tu aimerais accomplir ?

J’aimerais acheter un terrain, bâtir une maison et vivre avec toute ma famille, mes frères, ma mère, ce serait lourd.

Est-ce que Maes est heureux ?

Je vais dire que je suis moins malheureux. Heureux, c’est un grand mot. Je suis heureux quand je vois que d’autres le sont moins que moi. Je vois des gens qui sont en dessous et je me dis hamdoullah, je suis là.

Pure, le premier album solo de Maes est disponible depuis le 30 novembre 2018. Le rappeur se produira à la Machine du Moulin Rouge le 13 février prochain.