À la rencontre de la SuperWakClique, le collectif suisse qui remue le rap francophone

À la rencontre de la SuperWakClique, le collectif suisse qui remue le rap francophone

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©capture d’écran “Hit A Lick”

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Par Sophie Laroche

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Une Maroquinerie réussie, une tournée des festivals les emmenant sur les mêmes scènes que Gucci Mane… aujourd’hui rien ne semble pouvoir arrêter Di-Meh, Makala et Slimka, trois membres fougueux et audacieux de la SuperWakClique. Alors qu’ils sont en pleine ascension, on les a rencontrés pour évoquer ensemble leur parcours, leurs origines et leur philosophie.

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Si depuis quelques années, le rap se popularise voire se “variétise”, le genre fait toujours preuve d’une force émotionnelle à toute épreuve. Porté aujourd’hui par les jeunes générations, il dispose encore à l’heure actuelle d’une énergie fiévreuse qui parvient à nous marquer profondément.

Le 16 juin dernier, les Xtrm Boyz – de passage à Paris – se sont produits sur la scène du 20e arrondissement pour offrir à leur public le spectacle de l’année, la catharsis absolue. Ça a peut-être duré deux heures (sans compter la première partie assurée par Gracy Hopkins). Deux heures d’une rare intensité durant lesquelles les trois hommes ont enchaîné morceaux en solo ou featurings, se backant à tour de rôle, en communiquant leur transe et leur énergie à un public déchaîné, jusqu’à transformer la petite salle de La Maroquinerie en un véritable four qui prenait parfois les traits de l’enfer tant les trois rappeurs semblaient possédés.

Ces diables qui ont enflammé la salle ne sont autres que : Di-Meh, Makala et Slimka, trois jeunes rappeurs suisses, ayant entre 22 et 24 ans, qui mènent chacun des carrières solo ascendantes grâce à des projets solides, des collaborations internationales et une réputation de bêtes de scène. Ils ne forment cependant pas un trio de studio. Ce qui les lie, c’est un collectif qu’ils composent avec plusieurs artistes (rappeurs, vidéastes, designers… ) au sein duquel ils incarnent sur scène les Xtrm Boyz. Ce collectif, c’est la SuperWakClique, avec qui on a échangé avant leur concert.

Ceci est un test.

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SuperWakClique : mode d’emploi

Leur rap est hybride. Bien que produisant des morceaux aux sonorités différentes, les trois rappeurs montrent une certaine aisance à naviguer entre boom-bap et trap. Leurs références sont nombreuses et diverses. Et s’ils s’illustrent principalement dans l’egotrip, ils savent aussi se servir des mots autrement. Ensemble, ils sont animés par une même vigueur ainsi qu’une même volonté d’afficher un style propre sans se soucier des autres, l’esprit tourné vers le futur qu’ils construisent avec leur clique.
 
Une clique nommée SuperWak qui fonctionne comme un collectif composé de représentants de divers domaines artistiques (rappeurs, designers, vidéastes) qui a été créée il y a de cela trois ans et qui fait souffler depuis un vent de fraîcheur sur le rap francophone. Selon Makala, c’était une histoire d’aéroport et de déclic.
Makala : “J’appelais un pote. Je lui ai parlé de l’idée de SuperWak, je pensais à tout un délire, un état d’esprit, à comment je vivais dans ma ville. J’étais assez prêt pour changer quelque chose. Je me suis dit qu’avec ce crew et cette manière de penser, on pourrait se développer. Avec mon pote, c’est tout de suite parti. Lui il chante, Slimka rappe depuis un petit moment et on avait la même vision comme avec Di-Meh. C’était logique. Tout s’est greffé naturellement. C’est la passion qui nous a réunis, l’envie de dire la vérité. Qu’on soit le plus vrai possible avec nous-même dans nos lives, nos musiques, notre manière d’être.”
 

La Suisse

Pour faire partie de la SuperWakClique, il n’y a pas forcément de critères géographiques ou territoriaux. Cependant, le noyau du mouvement, incarné par les Xtrm Boyz, s’est formé en Suisse. À Genève plus précisément. Les trois rappeurs se sont d’abord rencontrés dans leurs quartiers respectifs avant toute forme d’initiative musicale collective.

Depuis, ils incarnent – bien que produisant des sons différents – un mouvement de rap national qui existait avant eux mais auquel ils ont donné une impulsion nouvelle grâce à leur son moderne, leur fureur scénique et leurs connexions avec les rappeurs européens (Deen Burbigo, Caballero, Nekfeu), devenant les ambassadeurs d’un rap suisse à l’étranger.

Cette étiquette de “rap suisse”, qui tient surtout à une énergie incroyable, ils ne la subissent pas. Ils en sont même fiers. À Paris, quand Di-Meh porte un maillot du PSG, c’est un drapeau suisse qu’il regarde s’étendre au loin dans la salle, porté fièrement par ses camarades.

Makala : “Je pense qu’on est fiers de représenter la Suisse. Je suis vraiment content que ce soit nous”.

Di-Meh : “Je suis très très très fier. Plus les semaines passent, plus le mouv’ grossit en fait, c’est ça qui est cool. Plus les gens se rendent compte et réalisent – même nos parents. On est super fiers parce que ça ne se passait pas aussi bien avant. Il y a une porte qui s’est ouverte, on est fiers de ça aussi, d’amener la Suisse le plus loin possible.”

La clique

La scène

Le collectif, c’est aussi la scène, une expérience qui les lie énormément, eux qui ne mènent pas de carrière de groupe. Chacun à sa manière l’évoque dans ses paroles comme un lieu à la fois bouillonnant et maîtrisé. Ainsi, Di-Meh nous prépare au “pogo de (notre) life” dans “Focus” quand Makala explique dans “Lazer Malvo” que “la scène pour Xtrm Boyz n’a plus aucun secret”. Ensemble, ils s’y expriment dans un échange fusionnel entre eux, le public, qu’ils rejoignent souvent ou qu’ils incitent à pogoter, et leurs potes qu’ils invitent pour rapper, filmer ou les aider à chauffer la salle. Un joyeux bordel où chacun y trouve sa place et son compte presque naturellement, intuitivement.
“Di-Meh : Quand on est sur scène, il y a une sorte de connexion qui fait que même si on a les yeux fermés, on peut ressentir la vibe comme l’autre. L’affinité qu’on a sur scène, c’est vraiment lourd. C’est d’autant plus cool que c’est pas des trucs qu’on travaille souvent, c’est du ressenti à 200 %. Makala : c’est vraiment une évolution, on comprend des trucs. Et Pink Flamingo, il fait des apparitions furtives entre nous trois.”

Une philosophie

SuperWak, c’est aussi une philosophie à laquelle ils croient “dur comme fer”, au point que Slimka ait tatoué le nom de sa clique sur son torse comme une preuve de dévotion ultime. Si on devait la résumer, elle tiendrait à cette injonction : être soi-même dans tout ce que cela implique. Ainsi “Wak” en anglais, c’est l’équivalent de “bizarre”, “affreux”, “paumé”, des adjectifs pas très mélioratifs, cependant tout l’esprit réside dans l’idée d’assumer. Et puis surtout, il y a “super” qu’il ne faut pas oublier. Ils l’expliquent mieux que nous :

Makala : “N’oubliez pas ‘super’, c’est très important. Car c’est le mélange des deux qui crée une force incroyable. Je tiens à le dire, c’est ça qui est important. Ce sont ces deux énergies qui se mélangent en fait. Ce qui peut paraître “wak” est super. “Super”, c’est positif, on se tire vers le haut. C’est ce mélange qui est important et qu’il faut s’assumer. Tu peux aussi être “wak” mais faut juste assumer, faut pas s’en cacher, apprendre à accepter le regard des gens. S’accepter soi-même, ses défauts, ses faiblesses, ses échecs pour transformer ces énergies en super énergie.”
 
Être SuperWak c’est donc être soi-même mais surtout être “passionné”, un mot qui revient souvent lors de notre interview et qui explique pas mal de choses sur leur réussite actuelle. Di-Meh, Makala et Slimka (ainsi que les autres membres du collectif) sont des passionnés. Ils expliquent que c’est parce qu’ils sont “focus” depuis des années que cela paye aujourd’hui. Au point d’être en tête d’affiche à l’étranger (Paris) ou de faire les festivals les plus prestigieux de leur Suisse natale comme le Montreux Jazz Festival – en coplateau avec Gucci Mane et Lil Uzi Vert, chillant dans les coulisses avec Flatbush Zombies. Véridique.
Ainsi, les influences des trois jeunes rappeurs sont plutôt variées. Ils trouvent leurs inspirations aussi bien dans les nouvelles productions que dans les plus anciennes, qu’elles soient francophones ou américaines, ce qui explique peut-être leur faculté à alterner boom-bap et trap (“Envoie d’la trap ou du boom-bap, hein” scande d’ailleurs Di-Meh dans “Jabbawockeez”). Il y a aussi le rock, le reggae, la house et même la funk. Ils citent ainsi le Wu-Tang, Young Thug ou Hendrix (un des projets de Di-Meh se nommait Dimeh Hendrix), ce qui en dit long sur leur capacité à chercher l’inspiration ailleurs que dans le rap. Car on trouve aussi le cinéma. Un des morceaux phare de Slimka se nomme ainsi “Wes Anderson”, bien que le rappeur confesse qu’à ce niveau il s’agit plus d’une idée de Pink Flamingo. Enfin, le skateboard, qui tient à cœur à Di-Meh et dont les ponts avec sa musique sont nombreux.
Di-Meh : “Le skate m’a grave aidé par rapport à mon rap. La vision que j’ai du skate, c’est la même que celle que j’ai du rap. Je vois des rapprochements entre les deux. Par exemple, quand j’essaye un tricks, cela peut me prendre plusieurs essais comme quand j’écris un texte en plusieurs essais. Parfois, tu le fais one shot le tricks, comme des fois tu plaques ton texte one shot. Même cet esprit de voyager pour faire des connexions avec la musique. C’est le skate qui m’a donné cette vision.”

Une esthétique

Une idée d’identité forte qui s’applique aussi à leurs visuels. Tout d’abord leur style vestimentaire, force est de constater que la mode, qu’ils inventent ou réinventent, volontairement ou malgré eux, tient une place importante dans l’image qu’ils véhiculent :

“Di-Meh : C’est grave important visuellement.”

Slimka :” Mais quand on s’habille, on ne se dit pas qu’on va se différencier. On veut juste un autre look. Parfois, il faut oser. Tu ne te mens pas, tu sais que c’est ça que tu kiffes. Tu ne vas pas porter ça car les gens le font. On n’est pas dans les bails de moutons.”

Viennent ensuite les vidéos. Réalisés par leurs potes Natas3000 ou OG.2000, qu’on retrouve parfois sur scène avec eux filmant les shows au caméscope, leurs clips sont tous plus stylés les uns que les autres, naviguant encore une fois entre les mondes, le passé, le futur et leurs passions, pour le skate…
 
 
Au final, les trois jeunes hommes voudraient transformer cette énergie créatrice – rassemblée de manière informelle – en véritable plateforme de création pour les artistes issus de différents champs d’expression. Rappelons que pour être SuperWak, il “faut être passionné jusqu’à la moelle, faut se connaître, faire connaissance avec soi-même”. À les voir s’envoler comme ils le font, on est convaincus que c’est le modèle à suivre…