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Rencontre : Deen Burbigo nous fait déguster Grand Cru, son premier album

Rencontre : Deen Burbigo nous fait déguster Grand Cru, son premier album

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Par Sophie Laroche

Publié le

Pour aboutir à un grand cru, il faut du temps, du travail et des bonnes bases. Il est peut-être là le secret de Deen Burbigo. À 29 ans, le rappeur, qu’on avait découvert lors des Rap Contenders, présente son premier album. Le MC a pris le temps de nous parler de ce projet très attendu par ses fans et les amateurs de rap hexagonal.

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Tout vient à point à qui sait attendre. Après un début de carrière effréné – rythmé par les freestyles, la sortie de deux EP, et un album avec L’Entourage – Deen Burbigo a décidé de prendre le temps qu’il lui fallait pour produire son premier album : Grand Cru. Un projet quasi millimétré, qui a pour vocation de marquer les esprits et d’asseoir son autorité dans un rap hexagonal déjà bien dominé par quelques-uns de ses camarades, comme Nekfeu.

“Si je dois m’arrêter là, il faut que les gens se soient pris une belle gifle, qu’ils se disent que c’est dommage qu’il se soit arrêté là”, affirme l’artiste.

Pour expliquer ces trois années de maturation, beaucoup d’éléments entrent en compte. Outre un disque dur brûlé, il y a d’abord les conditions d’écriture. Si le rappeur spécialiste des punchlines mémorables est du genre prolifique, il n’hésite pas à évoquer sa difficulté à atteindre une certaine disposition d’esprit propice à la création. L’artiste fait aussi preuve d’une grande minutie dans le traitement de ses morceaux. Car pour aboutir à un grand cru il est nécessaire d’arriver à une cohérence dans son exigence :

“Là je pense que je le tiens. Il y a un an je n’y étais pas, je n’étais pas content. Il y avait des morceaux qui étaient déjà là et qui étaient bien, mais j’avais pas encore le truc.”

Un premier album coloré

Avec ce premier album, les méthodes de Deen Burbigo ont changé, tout comme ses ambitions. La technicité, le rappeur la possède et n’a plus à le prouver. Ainsi, la densité du rap de ses débuts s’est allégée, remplacée par un débit plus lent et des parties chantées plus nombreuses, qui offrent à cet album des morceaux plus aérés et persuasifs :

“Quand je me déplaçais sur les morceaux de mon premier EP, je trouvais que ça rappait du début à la fin. Ça manquait de respiration, de parties musicales ou chantées. Le fait qu’il y ait du relief, ça met d’autant plus l’accent sur les raps – qui sont un petit peu plus courts que ce que j’avais l’habitude de faire mais qui, du coup, sont beaucoup plus calibrés.”

Le travail de production a lui aussi bien évolué. Partant des monolithes old school basés sur le travail du sample, le rappeur a su élargir son horizon en travaillant avec différents beatmakers afin d’enrichir la palette de son rap. Le résultat est étonnant dans tout ce que ce terme recèle de positif. En effet, durant les 15 morceaux qui constituent Grand Cru, on navigue à travers différents styles qu’on pensait étrangers au rappeur. Si l’album conserve une trame cohérente – due à la présence du producteur En’Zoo, qui a travaillé sur la plupart des productions –, on n’échappe pas à quelques surprises à tendance trap (“Coupe le son” et “Là Gamin”), voire reggae (“Freedom”).

“Je n’ai pas de couleur que j’ai inventée ou développée, qui soit à moi. Jusqu’a ce que j’arrive à la trouver, je vais essayer d’être le plus éclectique possible. Travailler avec plusieurs beatmakers, c’est aussi s’assurer d’avoir la pépite de chacun.

Entre rêve et réalité

S’il sait manier l’egotrip, Deen ne pratique ni l’exhibition de richesse, ni la fiction et sa plume ne fait pas l’impasse sur les années de galère. Ainsi, bien que regardant vers l’avenir, il se remémore souvent le passé en évoquant ses différents boulots ou le manque d’argent – auquel il consacre un morceau : “Fauché”. Parler du labeur, pour celui qui participait aux Rap Contenders en même temps qu’il révisait ses partiels d’histoire, devient une manière de donner encore plus de valeur à ses réussites actuelles. Un accomplissement en tant qu’artiste qui a l’air de le surprendre encore et qui lui permet de conserver une forme d’enthousiasme face à certaines expériences :

“Ces dernières années, on a eu accès à plein de choses, certaines dont on rêvait, certaines dont on ne soupçonnait pas l’existence. J’arrive encore à être étonné, à me dire ‘Putain c’est vrai ce qui m’arrive’.”

Un émerveillement qui explique sûrement l’usage important des références au rêve dans cet album, que ce soit dans son accomplissement (“Rêve d’ado) , mais aussi dans sa fugacité. C’est l’histoire du morceau “Me réveiller”, écrit à la suite d’une soirée hallucinée dans une villa, qui aborde tant les joies qu’apporte le succès que le risque d’un retour à une vie plus précaire. Un doute qui imprègne le travail de l’artiste.

T’es obligé d’y penser. Ça peut s’arrêter du jour au lendemain. Dans le morceau, il y a aussi le côté incroyable. Tu ne crois pas ce qui t’arrive et c’est quelque chose qui revient beaucoup chez moi. Chaque fois qu’il nous arrive des trucs de fou, je me demande quand est-ce que ça va s’arrêter, que la roue va tourner.”

Une cuvée un peu plus politique

C’est l’une des bonnes surprises de cet album. L’engagement est discret et se distille au détour de quelques phrases (“On érige des murs entre les gens, les médias en sont l’ciment”, balance-t-il dans “Pas une autre”), mais il est bien présent. Les trois années de maturation de ce projet ont été pour l’artiste une période de réflexion citoyenne. Face à une actualité saturée par les débats identitaires et les politiques sécuritaires, le rappeur confie le sentiment de honte qui l’a submergé et l’envie de partir qui s’est immiscée dans son esprit.

Face à ce constat, l’artiste (qui aime citer Aimé Césaire et Frantz Fanon) a choisi de ne pas abandonner. En plus de s’armer de sa carte d’électeur pour la première fois, Deen Burbigo a donc décidé d’investir son rap d’une parole plus engagée, l’érigeant en rempart à certains discours réactionnaires.

“Je me suis dit qu’il faut se battre, donc je vais m’intéresser un peu plus à ce qu’il se passe, qui s’approcherait le plus de ce qui peut me parler. […] L’idée, c’est qu’on va pas se barrer, on va rester ici et vous allez vous y faire. On a beaucoup à apporter au pays en terme de culture, d’économie. À tout point de vue, on gagne à assumer ce brassage.”

L’esprit de famille

S’il s’agit de son premier album solo, l’histoire du rappeur est collective. En effet, depuis les Rap Contenders, Deen opère notamment au sein du collectif L’Entourage – avec lequel il a déjà sorti un album, Jeunes Entrepreneurs, en parallèle à ses projets personnels. Une véritable famille qu’il n’hésite pas à mobiliser ou à rejoindre lors de freestyles ou de featurings, comme c’est le cas pour Grand Cru. Cet esprit d’équipe, il l’aborde d’ailleurs dans le morceau “Ma bande”, avec Jok’Air. Un choix qui peut paraître étrange à première vue, mais qu’il justifie par l’ancienne place de Jok’Air au sein du groupe la MZ, tout aussi “identifiée par le public” que L’Entourage.

L’album est aussi l’occasion de refaire appel aux artistes avec lesquels il a déjà fait ses classes. C’est le cas de Némir, qu’on retrouve déjà dans son deuxième EP (“J’résiste”), Deen Burbigo ayant en outre participé à certains projets de ce dernier (“Ailleurs”). Une association qui fonctionne et qui a le mérite de donner lieu à des sonorités complètement différentes et inédites d’une collaboration à une autre.

Au gré des morceaux, on retrouve d’autres noms familiers – comme Nekfeu et Eff Gee, ses camarades de L’Entourage –, mais aussi des noms moins connus, comme le Suisse Makala, le Belge Caballero ou encore Gros Mo, le backer de Némir. Une nouvelle génération que Deen voulait mettre en avant. Et puisque la famille est toute aussi importante, Deen Burbigo a aussi fait appel à son petit  frère Jehkyl, sur le morceau “Fils de riches”. 

 

La suite 

Pour Deen Burbigo, l’avenir s’annonce plutôt riche. Avec la création de son label Maison Grand Cru, Deen s’équipe afin de pouvoir continuer à faire sa propre musique dans les meilleures conditions. À long terme, il espère aussi produire d’autres artistes, lui qui est particulièrement sensible à la nouvelle scène rap française, de PNL à SCH en passant par Take a Mic ou Josman. Une scène dont il souligne la capacité à savoir faire des morceaux ne se contentant pas seulement de bien rapper.

Sa carrière, il l’imagine aussi très bien évoluer du côté de l’image et du cinéma. En effet, le rappeur (qui participe à la production et à la réalisation de ses propres clips), se verrait bien réaliser mais aussi jouer. Après Nekfeu, Médine et Sofiane, Deen au cinéma c’est donc peut-être pour bientôt. Concernant L’Entourage, rien de nouveau à se mettre sous la dent. Si on les avait aperçus ensemble au Mexique, Deen nous affirme qu’il ne s’agissait que de vacances. Affaire à suivre…

L’album Grand Cru est sorti le 17 mars. Deen Burbigo se produira au Bataclan le 6 avril prochain.