Les radios en colère contre le durcissement des quotas de chansons francophones

Les radios en colère contre le durcissement des quotas de chansons francophones

photo de profil

Par Théo Chapuis

Publié le

Ce qui crée des tubes et permet de vendre des disques, c’est la répétition des diffusions […], le meilleur moyen de faire découvrir une nouveauté à un auditeur, c’est de l’intercaler entre des tubes. Casser cette mécanique, c’est déséquilibrer tout le système. Si vous enchaînez trois ou quatre chansons qu’il ne connaît pas, l’auditeur décroche.

À voir aussi sur Konbini

Pourtant, c’est précisément à cette répétition à outrance que renvoie la Sacem : dans un communiqué, elle dénonce les radios qu’elle accuse de mauvaise volonté :

Entre 2007 et 2014, les programmations francophones chutent de 24%, soit 228 titres en moins ! Pour les créateurs et les artistes, c’est la double peine : moins d’exposition, moins de diversité. Et pour le public, c’est une vraie déception : 70% des 15-34 ans pensent que la programmation n’est pas assez diversifiée.

#ALaRadioJEcouteCeQueJeVeux

“Ingérence”, “atteinte à la liberté éditoriale”… c’est peu dire que les radios sont furieuses : elles considèrent ce durcissement des quotas francophones comme “liberticide”. A tel point qu’habituellement rivales, les antennes des groupes Lagardère, NRJ, RTL ainsi que les radios indépendantes du Sirti se sont liguées dans un même communiqué pour défendre leur droit à programmer ce que bon leur semble.
Et personne n’hésite à montrer les dents : outre un hashtag dédié plutôt suivi (près de 10 000 tweets), , certaines antennes ont diffusé le numéro du standard de Matignon et encouragé leurs auditeurs à harceler la ligne du Premier ministre en faveur des radios.


Mais dans les mots, la défense des ondes musicales tient sur deux arguments : pour commencer, elles estiment que cette restriction les empêche d’offrir à leurs auditeurs ce qu’ils demandent, et ce à toute tranche horaire de la journée.
Deuxièmement, elles déplorent surtout un autre problème : elles jugent ces quotas difficiles à respecter “dans un contexte d’effondrement de la production française (-66% d’albums francophones entre 2003 et 2014, -62% de nouveautés musicales en France en 2014, 83% de la production française qui n’est pas en français)”.

Do you speak french ?

Jean-Eric Valli, président du groupement des “Indés Radios”, interviewé sur Voltage FM, dénonce un amendement “un peu vengeur” qui ne va que dans le sens des majors et pas des labels indépendants : en effet, selon lui, les musiciens qui ne sont pas signés sur de grosses maisons de disques chantent “surtout en langue anglaise”.

Les maisons de disques produisent moins d’artistes francophones ; et encore pire : sur 100 artistes qu’elles produisent, 83 sont en langue anglaise. Résultat, elles ne produisent pas ce qui est nécessaire [au fonctionnement] et nous demandent de passer ce qui n’existe pas.

La réponse du berger à la bergère : si on envisage ce genre de mesures, autant les appliquer également aux maisons de disques en leur imposant à elles aussi des quotas de chansons francophones. Et toc.

Streaming contre radio

En fait, derrière ce plafonnement des rotations encore un peu plus contraignant pour les acteurs de la FM, le spectre du streaming et de la musique en ligne exaspère les radios. La contrainte des quotas est une spécificité aux radios de France qui ne touche ni Deezer, ni YouTube, ni Spotify et consorts. Pour Roberto Ciurleo, de Virgin Radio, ce n’est pas juste.
Il partage son inquiétude auprès de Libération :

Notre média a encore de beaux jours devant lui, mais les radios musicales vieillissent. Si on veut pouvoir se battre à la loyale avec ces nouvelles offres musicales, il faut assouplir la législation.

Dans une tribune publiée par Le Monde en février 2014, Emmanuel Rials, le directeur général de OÜI FM estimait déjà qu’il était “urgent de réformer la loi sur les quotas” radio :

Selon un sondage présenté par la Sacem à l’occasion du Midem de Cannes 2014, 2 Français sur 3 écoutent de la musique sur Internet, dont 86 % sur YouTube et seulement 49 % sur les sites des radios. Le législateur ne peut ignorer que ces nouveaux acteurs du monde digital sont exemptés de toute contrainte ; ils ne sont pas tenus de respecter des quotas.

Dans sa tribune, il exhortait également l’organe législatif à prendre en compte les réalités du milieu : si les artistes français des années 90 chantaient majoritairement en français, qu’en est-il aujourd’hui de Daft Punk, Phoenix, Shaka Ponk, Skip The Use, etc. ? “La loi de 1994 doit évoluer pour tenir compte de cette transformation majeure”, martelait-il. Il semble qu’il n’ait guère été entendu.