Du rock à l’électro : comment les Trans Musicales ont toujours su se renouveler

Du rock à l’électro : comment les Trans Musicales ont toujours su se renouveler

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Par Brice Miclet

Publié le

Pour sa 40e édition, le festival est parvenu à rassembler 58 000 personnes. À cette occasion, on a rencontré Jean-Louis Brossard, le fondateur et programmateur de l’événement.

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La Fraîcheur aux platines du festival Trans Musicales 2018.

La Fraîcheur lors des Trans Musicales 2018. (© Nicolas Joubard/Trans Musicales)

Avec Jean-Louis Brossard, fondateur et programmateur des Trans Musicales, on distingue les grands principes qui font la particularité des Trans Musicales, une nouvelle fois mis en pratique lors de cette édition 2018. Aux Trans Musicales, il n’y a pas vraiment de tête d’affiche. Il y a des concerts que l’on attend particulièrement, avec impatience, mais pas de nom plus haut que les autres. Même si pour cette quarantième édition, Disiz semblait être l’artiste bénéficiant de la plus grosse fan base en France, et du passé commercial le plus fort.

Pourtant, Jean-Louis Brossard, programmateur vitrine du festival rennais, l’affirme : “Je ne le connaissais pas avant… J’ai écouté le premier morceau de son nouvel album quatre fois d’affilée, j’ai adoré, je l’ai programmé. Point.

Ce qui pourrait passer pour de l’ignorance, tant le parcours du rappeur accompagne les amateurs du genre depuis bientôt quinze ans, n’en est en fait pas. C’est une mentalité qui reflète la manière dont Jean-Louis Brossard fonctionne : au coup de cœur, se foutant du CV de l’artiste et des tendances. On vient aux Trans Musicales pour cela.

Explorer les continents

Il fallait donc voir ce concert, premier de la tournée qui accompagne la sortie de Disizilla, avec un Disiz d’abord assez léthargique, comme souvent. La partie plus électronique de l’album est réservée pour la fin du set, qui part en gros bordel pas organisé, même si c’est encore tôt pour un jeudi soir. Pendant ce temps, il y a DJ Lag, fer de lance du gqom sud-africain, qui sévit hall 4, avec Elena Colombi qui attend son tour.

Une belle partie de danse, complétée plus tard par les sets ravageurs de La Fraîcheur ou de Ouai Stéphane, nous rappelant qu’il y a dix ans, les Trans Musicales programmaient bien plus de DJ qu’aujourd’hui.

“Pendant cette période, les gens ne voyaient que les noms des DJ sur les affiches, c’était comme ça partout. Résultat, ils disaient que les Trans étaient devenus un festival électro, alors qu’il y avait du rock, de la sono mondiale, du hip-hop…

Mais depuis, je m’intéresse de plus en plus à ce qu’il se passe en Afrique, en Amérique du Sud, au Japon, en Chine. Je ne suis pas bloqué dans les pays anglo-saxons. C’est mon rôle de montrer que ces musiques existent, de faire des croisements.”

D’où la présence de Pongo, qui représentait le kuduro angolais, dans le hall d’à côté.

Les Ougandais de Nihiloxica, et leur show de percussions incroyable qui les a même vus se vêtir de gilets jaunes à la fin de leur concert en soutien à vous-savez-qui ; l’énergie dingue d’Ajate, formation de dix musiciens japonais entre traditions musicales nippones et afrobeat ; l’instant magique des Arméniens de The Nagash Ensemble, mettant en musique des poèmes du XVe siècle de Mgrditch Nagash avec des instruments tradis et des chanteuses lyriques…

Jean-Louis Brossard brasse large, comme d’hab’ : “J’étais pas mal sur l’Afrique cette année, alors que je ne suis jamais allé sur ce continent. Il y a des Coréens, des Japonais, mais je trouve que ça manque quand même un peu d’Asie. Il se passe beaucoup de choses là-bas.

Accompagner les groupes locaux

En 1979, les Trans Musicales naissaient avec un ADN rock bien trempé. l’ADN, ça reste, même à quarante ans. C’est le rock qui a su fournir deux des concerts les plus jouissifs de cette édition 2018 : Bodega, et ce rock hybride pop-noise (oui c’est bizarre) tendance punk (encore plus bizarre), et les Français de Psychotic Monkeys. Une lourdeur dingue pour ces quatre boys qui montent tranquillement, et que l’on ne peut que vous conseiller d’aller voir en concert dès que l’occasion se présente. D’ailleurs, Jean-Louis, Rennes n’était-elle pas la capitale française du rock à une époque ?

“La scène rennaise a toujours bougé, c’est indéniable. C’est une grande ville étudiante, avec des gens qui viennent de toute la France. Cette année, on a quatre artistes rennais programmés : Atoem en électro, Pras pour la pop, Initials Bouvier Bernois pour le jazz sixties, et RexRegis pour la chanson plus rock. L’an dernier, c’était plus hip-hop avec Columbine et ABD. On a eu les Juveniles, HER, les Popopopops, Kaviar Special, etc. Il y a une superbe scène, très variée. Certaines villes sont concentrées sur un genre. Mais ici, comme à Caen, ça va dans tous les sens.”

La force de Jean-Louis Brossard, c’est aussi de parvenir à établir avec les artistes une relation forte, parfois même paternaliste. Aux groupes (notamment rennais) que les Trans Musicales parrainent, il prodigue des conseils, fournit des lieux de résidence (l’Ubu), et peut influer sur la formation elle-même.

“J’appuie toujours là où ça ne va pas. Si tu dis que c’était super et que ça ne l’était pas, ça ne fait pas avancer les choses. Je ne cherche pas forcément un concert clé en main. C’est à l’instinct. Il y a même deux groupes que j’ai poussés à changer de chanteuse : Concrete Knives et Inüit. Ce sont eux qui ont décidé bien sûr, mais j’ai mis le doigt sur un truc qui ne collait pas.”

Ces quarante ans de Trans Musicales sont parsemés de concerts mythiques. Il y a eu ceux de Lenny Kravitz, de Portishead, de Nirvana… Mais aussi de formation un poil obscure qui n’ont jamais réellement percé derrière : The Aloof, Lionrock, Dust In Vegas… “Le public n’est pas forcément passé à côté, mais les médias oui. D’ailleurs, la grande question, chaque année, c’est : “Quelle va être la révélation des Trans cette année ?” Mais personnellement, j’en sais rien, et je m’en fous.

Créer des live inédits

Sur les cinq dernières éditions, l’un des moments les plus mémorables fut sans hésitation la révélation des Sud-Africains de BCUC, peu après celle des Malgaches de The Dizzy Brains. On pourrait se mettre à parier quel passage de cette édition restera dans les annales. Underground System ? Al-Qasar ? Komodo ? Peut-être que la réponse ne se trouve pas dans la moiteur des grands hangars du parc des expositions, mais à quelques encablures, au chaud, au théâtre de L’Air Libre.

C’est ici que, chaque année, les Trans Musicales présentent une création originale jouée par un artiste cinq soirs de suite. Par le passé, le label Kütu Folk, Benjamin Clementine ou encore Stromae, tous alors méconnus, s’y sont révélés aux yeux du grand public. Cette fois, c’est Aloïse Sauvage, 25 ans, livrant un spectacle entre musique et accro-danse d’une beauté délirante, qui tient peut-être la palme. L’avenir nous le dira, elle travaille actuellement sur un album et des dates parisiennes qui seront de vrais tests.

C’est l’heure du bilan : 58 000 festivaliers, 118 concerts dont 26 premières dates françaises et 33 pays représentés. En quarante éditions, cela porte le nombre total de groupes programmés à 3 840. “Mon rêve, c’est de réussir à avoir programmé tous les pays du monde, avoue Jean-Louis Brossard. J’en suis à la moitié.” Il a encore du temps avant de passer la main.