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Pourquoi la rave party du Nouvel An en Bretagne a-t-elle fait autant de bruit ?

Pourquoi la rave party du Nouvel An en Bretagne a-t-elle fait autant de bruit ?

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©Instagram/Free.rave/@christian.gogl

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Au delà des gros caissons passant frénétiquement de la techno, l'événement a confronté l'opinion publique sur plusieurs points.

C’est peut-être l’actualité française qui a le plus marqué les esprits en ce début d’année 2021 : la rave party de Lieuron. Dans cette petite commune de Bretagne, véritable terre de teuf rappelons-le, pas moins d’une quinzaine de sound systems ont été réunis du 31 décembre au 2 janvier pour célébrer la nouvelle année au son aussi assourdissant qu’addictif de la techno.
Autant dire qu’avec un tel matériel, il y avait du son à s’en péter les oreilles. Et après des mois de confinement, reconfinement, couvre-feu, attestation, amendes et port du masque obligatoire, il apparaissait déjà plus qu’évident que cette fête sauvage allait rassembler en grand nombre une jeunesse en mal de fête, comme en atteste l’âge des quelques personnes soupçonnées d’avoir organisé l’événement, “nées en 1998”.
Mais comment cette rave party, une parmi tant d’autres finalement, a-t-elle pu dégénérer à ce point ? Comment cet événement est devenu depuis quelques jours un sujet politique ? Explications.

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Un contexte sanitaire difficile

L’été dernier, les Français pouvaient encore profiter de la souplesse de l’exécutif concernant les mesures sanitaires. Après un premier confinement éprouvant, les chiffres de contamination ont été revus à la baisse et étaient plutôt rassurants quant à la situation sanitaire sur le sol tricolore. Au mois d’août, un immense teknival ayant rassemblé plus de 10 000 personnes a même été organisé en Lozère, sans pour autant que des violences n’éclatent entre participants et forces de l’ordre mobilisées.
Les autorités ont d’ailleurs encadré l’événement, pour s’assurer que la fête ne se transforme pas en cluster et ont dressé les habituelles contraventions pour usage de stupéfiants et alcoolémie. Notons qu’à ce moment-là, les mesures en place interdisaient les rassemblements de plus de 5 000 personnes.
Ensuite sont arrivés avec la rentrée des cas de coronavirus toujours plus nombreux et des chiffres de contamination records sur le territoire français, puis le retour des attestations, la mise en place d’un couvre-feu et enfin le second confinement ainsi qu’un nouveau couvre-feu. Le gouvernement a dû s’adapter à la situation sanitaire semaine après semaine et durcir les restrictions, y compris pour les fêtes de fin de l’année.
L’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne a d’ailleurs rappelé samedi 2 janvier dans un communiqué que ce rassemblement “présentait un très fort risque de diffusion du Covid-19″. Les autorités ont invité les fêtards à “observer sans délai un isolement à domicile strict de sept jours” et à se faire dépister dans les sept jours, ou encore à rester isolé dans l’attente des résultats. C’est une des raisons qui explique le battage médiatique autour de la désormais célèbre teuf de Lieuron, malgré un nombre de participants bien plus faible qu’en août dernier, mais ce n’est pas la seule.

Un véhicule de gendarmerie incendié

Il s’agit du tournant de cette rave party. Le traditionnel jeu du chat et de la souris qui s’est mis en place entre les fêtards et la gendarmerie pour la tenue de l’événement a été, sans grande surprise, remporté par les teufeurs – les gendarmes s’étant trompés sur le lieu choisi par les organisateurs. Les forces de l’ordre, malgré le déploiement d’un hélicoptère, d’unités mobiles et de herses, n’ont donc pu empêcher l’installation du matériel sonore dans les deux hangars désaffectés ainsi que le début de cette immense fête. “On n’arrête pas un peuple qui danse”, a-t-on l’habitude d’entendre dans ce milieu que nous avons déjà pu fréquenter.
Cependant, la tension monte rapidement et des heurts éclatent entre participants et forces de l’ordre, numériquement bien inférieures. Des jets de projectiles (bouteilles, pierres) ont lieu, blessant légèrement trois officiers. Mais surtout, un véhicule de gendarmerie est alors incendié au cours de cette rave party, milieu dans lequel l’idéologie “ACAB” (“All cops are bastards”) est assez largement répandue, faisant passer la violence à un cap supérieur. Une mallette de gendarmerie est également dérobée à ce moment.
Cet incident, relativement isolé dans l’histoire récente des free parties, va automatiser une réponse forte de la part du gouvernement et des forces de l’ordre, notamment portée par une pression médiatique puisque l’information est relayée par la presse nationale. L’événement devient à ce moment un sujet politique. Et c’est, à n’en pas douter, la plus grosse erreur des teufeurs présents, du moins pour une partie d’entre eux. Pour faire simple, quand une teuf passe sur BFM TV et CNews, c’est le signe que l’incident occupe désormais le devant de la scène. Si on a un peu de second degré, on pourrait presque y voir une forme de ressort comique : des gendarmes qui se font repousser par des mecs qui prennent des calmants pour chevaux, c’est quand même quelque chose.

La fête vue par les forces de l’ordre

Plus sérieusement, dans la foulée, d’importants moyens sont déployés. Une centaine de militaires du Psig (Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie) est mobilisée sur place pour tenter de mettre fin à la rave party et débusquer les responsables. Cependant, une fois l’événement installé, il est extrêmement dur de le démanteler et de remonter aux organisateurs, puisque ceux-ci sont extrêmement nombreux et ont des degrés d’implication plus ou moins importants.
Comme le montrent les arrestations de deux conducteurs, détenteurs de matériel de sonorisation et d’un groupe électrogène, qui ont ensuite été relâchés, les forces de l’ordre doivent faire face à une difficulté juridique sur le sujet. Et même si les lois anti-rave ont été renforcées ces derniers mois – bien avant l’arrivée du Covid-19 – il est toujours aussi compliqué de démontrer l’implication des organisateurs. Alors les gendarmes font avec les moyens dont ils disposent pour répliquer : alcoolémie, stupéfiants et non-respect des consignes sanitaires.
Ainsi, plus de 1 600 verbalisations sont dressées. Dans le détail, les gendarmes ont établi “1 225 infractions Covid (masques-rassemblement-couvre-feu)” et “420 infractions diverses, dont 225 en lien avec les stupéfiants”. Des chiffres à faire valoir au moment du bilan, pour montrer que l’État ne s’est pas laissé faire et a répliqué avec fermeté face à la violence d’une partie des participants. Ainsi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin peut se réjouir d’une telle masse d’amendes sur Twitter et faire valoir la réponse répressive du gouvernement. 

La fête vue par les participants

Du matériel sonore, qui vaut un petit pactole, a également été saisi. Du côté des participants, c’est toujours la même rengaine. Le caractère illégal du rassemblement provient du fait qu’ils ne bénéficient pas d’autorisation de la part des préfectures. Or, pour ce type d’événements musicaux, elles ne sont jamais délivrées et les rave parties se déroulent toujours dans un cadre illégal. Et ce malgré le souhait contraire des organisateurs, qui aimeraient souvent inscrire leurs fêtes dans une démarche autorisée et sans devoir face à la police systématiquement.
L’ampleur prise par cette fête est aussi la conséquence du refus systématique des préfectures pour de tels événements, là aussi, bien avant l’arrivée du Covid-19. Cette free party du Nouvel An est donc l’occasion de pointer du doigt une faille, puisque les organisateurs ne disposent pas d’un cadre autorisé pour mettre en place de telles activités. Or, ne pas leur accorder de terrain sur le plan légal, c’est aussi refuser de pouvoir l’encadrer et laisser évoluer les teufeurs sans réelles limites. D’autant que l’envie de fête est encore plus présente après des mois faits de privations.
Pour les participants, c’est le même mécanisme qu’avec la drogue : on n’empêchera jamais une personne qui veut se droguer de le faire. Alors quitte à la laisser faire, autant la contrôler et la sécuriser du mieux possible. Pour la teuf, c’est pareil. On pourrait également dresser le parallèle avec les amateurs de rodéos sauvages, à qui l’on refuse d’offrir des espaces pour exercer leur passion. Car la fête, en particulier la free party qui connaît une recrudescence ces dernières années, a un rôle social particulièrement important et sert de défouloir émotionnel à toute une frange de la population. Et ce, même si le milieu continue de souffrir de préjugés plus ou moins fondés.

La fête vue par les organisateurs

“Je trouve cela très exagéré. Nous avons simplement organisé une fête ! Nous ne sommes ni des assassins ni des terroristes”, explique l’un des nombreux organisateurs de la rave party de Lieuron, dans une brève interview accordée au Télégramme. “On a été obligés de multiplier les collaborations justement pour diluer la responsabilité et les risques individuels. Certains ont amené une aide logistique ; d’autres, une aide organisationnelle. En ouvrant une information judiciaire, le procureur de la République réagit à la pression gouvernementale et médiatique”, développe-t-il.
D’après lui toujours, des mesures avaient été mises en place pour assurer la sécurité de chacun. “Nous avions prévu des masques et du gel hydroalcoolique. Nous n’avons pas fait n’importe quoi”, même si “il est de la responsabilité de chacun de porter son masque et de tenir ses distances avec les autres personnes. Les hangars étaient ouverts aux quatre vents, le site était grand… Les gens ne se touchaient pas. Il y a déjà eu plusieurs rave parties depuis le coronavirus. Il y a eu des rassemblements dans la Nièvre, la Loire-Atlantique, la Lozère. L’ARS n’a jamais évoqué le moindre cluster”, poursuit-il. Une version corroborée par les organisateurs de la fête dans une tribune pour Libération parue ce mardi 5 janvier.

La fête vue par la justice

Côté judiciaire, le parquet de Rennes a ouvert une enquête notamment pour “organisation illicite d’un rassemblement festif à caractère musical”, “mise en danger de la vie d’autrui”, “violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique”, “travail dissimulé”, “tenue illicite de débit de boissons” ou encore “infractions à la législation sur les stupéfiants et notamment la facilitation de l’usage”.
Une personne a d’ores et déjà été arrêtée et mise en examen. “Les investigations permettent d’indiquer qu’il n’est pas le seul organisateur de cette free party”, selon Philippe Astruc, le procureur de la République de Rennes, qui semble donc tout ignorer du fonctionnement des free parties. “Les éléments recueillis ont permis de confirmer le caractère payant de la manifestation sous la forme d’une contribution et la présence importante de produits stupéfiants à l’occasion de cet évènement”, a-t-il expliqué plus tard dans un communiqué.
On peut préciser qu’il s’agit ici d’un système de donation à l’entrée, free party signifiant “fête libre” et non “fête gratuite”. Cependant, personne n’est obligé de donner et chacun donne ce qu’il veut avec ce qu’il a : argent, boisson ou autres. Un moyen d’afficher sa solidarité avec les organisateurs qui assument les frais, sans pour autant que l’événement n’ait la moindre ambition économique, bien entendu. En attendant, les différents organisateurs risquent jusqu’à dix ans de prison.

La fête vue par l’opinion publique

Cette actualité a quelque peu scindé l’opinion publique entre deux camps : “C’est inacceptable, surtout dans ce contexte, il faut sanctionner” et : “Ce sont des jeunes qui s’amusent et en plus ils ont moins de chances de mourir du Covid”. On peut donc légitimement se demander si la fête, au sens large du terme, est devenue un crime au vu de la situation actuelle ?
Si oui, qu’est-ce qui caractérise ce crime ? Le fait d’être imprudent et/ou irresponsable avec les risques de contamination ? À moins que cela soit le simple fait d’écouter de la techno qui soit dangereux ? Il est important de se questionner soi-même avant d’émettre le moindre jugement. A-t-on tous rigoureusement respecté les consignes sanitaires ces derniers mois ? Absolument pas. Alors que les clubs, salles de concert et festivals ont dû rester portes clauses, le besoin de décompression est considérable pour des jeunes en manque de sensations, mais aussi pour le reste de la population.
Ainsi, ceux qui s’enferment avec leurs amis dans leur appartement pour un before, une soirée ou un after, ceux qui ne portent pas le masque dans les lieux clos, ceux qui ne respectent pas les consignes élémentaires de sécurité dans les transports en commun, sont tous autant coupables que les teufeurs de Bretagne qui se sont joints à cet événement en plein air. Alors, jeunes qui s’amusent ou délinquants qui bravent la loi ? La vérité réside souvent dans la nuance.