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De l’électro au hip-hop, ces musiciens contaminés par le nuage de Tchernobyl

De l’électro au hip-hop, ces musiciens contaminés par le nuage de Tchernobyl

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“Radioooooactiiiivityyyyy”, chantait Kraftwerk en 1975, avant d’updater la chanson en 1991, puis plus tard, pour évoquer les ravages des catastrophes nucléaires (Capture d’écran YouTube)

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Par Théo Chapuis

Publié le

“Radioactivity”, vraie-fausse indignation de Kraftwerk


Seize ans après la sortie originale de l’album visionnaire Radio-Activity en 1975, les pionniers Kraftwerk offrent une nouvelle version du titre presque éponyme pour l’album The Mix à l’orée des nineties. Toujours agrémentée du code en morse signifiant “Radioactivity” dans son intro, les paroles de cette deuxième mouture du hit signé Hütter/Schneider/Schult posent un regard critique sur l’atome et ses dangers – ce que la première version ne faisait pas. Le premier mot de la chanson ? “Tchernobyl”, justement.
Pirouette salvatrice car d’après Karl Bartos, “ex” de la bande des robots allemands, “Radio-Activity” ne serait né que du fruit d’un jeu de mots, trouvé lors d’une tournée aux États-Unis pour Autobahn en 1975. Il explique dans Gonzaï en 2013 :

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“On est tombés sur un papier de Billboard qui parlait de ‘radio activity’, à savoir le fait d’être joué à la radio. Emil Schult – ou Ralf [Hütter], je ne me souviens plus très bien – a alors eu cette idée de jouer avec l’association des deux mots, et c’est ainsi qu’est née la métaphore… On était donc loin du manifeste antinucléaire.”

David Bowie perd foi en l’humanité dans “Time Will Crawl”


N’en déplaise aux plus fervents admirateurs de Bowie, l’album Never Let Me Down (1987) incarne avec quelques autres des années 1980 et 90 ce qu’il convient d’appeler poliment une période creuse, artistiquement. Or sur cet album figure un titre aux paroles évoquant la catastrophe de Tchernobyl, porté par un tempo aussi catchy que ses paroles sont alarmistes.
“Time Will Crawl”, premier single de l’album, fait ouvertement référence aux ravages de la pollution et du nucléaire, notamment génétiques. Lisez plutôt :

“I saw a black black stream
Full of white eyed fish
And a drowning man
With no eyes at all
I felt a warm warm breeze
That melted metal and steel
I got a bad migraine
That lasted three long years
And the pills that I took
Made my fingers disappear”
“J’ai vu un torrent noir
Rempli de poissons aux yeux blancs
Et un homme se noyant
Avec plus d’yeux du tout
J’ai senti une brise tiède
Qui mélangeait le métal et l’acier
J’ai une sale migraine
Qui a duré trois longues années
Et les médicaments que j’ai pris
Ont fait disparaître mes doigts”

Du propre aveu du Thin White Duke, ce titre à haute teneur en millisieverts est resté jusqu’à sa mort un de ses préférés.

Avec “Can’t Run But”, Paul Simon déplore la réaction des gouvernements


Vétéran de la contre-culture lui aussi, Paul Simon traduit ses préoccupations d’un monde de plus en plus globalisé dans les influences world music qu’il embrasse dès l’album Graceland, en 1986. Juste après, sur The Rhythm of the Saints en 1990, il écrit “Can’t Run But”, brûlot antinucléaire qui accomplit le grand écart entre instruments folkloriques africains et évocation impressionniste de la menace de l’énergie nucléaire.
Dans son texte, l’ancien BFF d’Art Garfunkel dépeint les réponses inappropriées des gouvernements : il cite les “arbres et les parapluies” pour se protéger de la “nouvelle pluie” radioactive, la nourriture qu’on regarde en chien de fusil au lieu de la consommer (l’Ukraine était surnommé le “grenier à blé” de l’URSS) et l’eau qu’on fait naïvement “bouillir” pour la décontaminer du plutonium.

De Black Sabbath à Municipal Waste, un thème récurrent du metal


Quoi de plus evil que l’idée d’une extinction massive par le biais d’un hiver nucléaire ? Du metal originel de Black Sabbath avec “Electric Funeral” aux défricheurs du punk hardcore que sont Discharge avec “A Hell on Earth”, les musiques extrêmes se sont très tôt chargées de relayer le grand frisson de la bombe H – mais aussi du nucléaire civil. En 1988, les Anglais de Saxon entonnent “Red Alert” et racontent la panique vécue par la population civile.
Mais c’est surtout le nouveau souffle du thrash metal, dans la deuxième moitié des années 1980, qui plonge tête la première dans le thème de la menace atomique et fournit une véritable vague d’adorateurs de l’atome. Les pochettes d’albums de Megadeth, Nuclear Assault, Toxik, mais aussi Sodom, en Allemagne, montrent une passion, voire une obsession pour la thématique de l’hiver nucléaire. Il y a jusqu’aux chefs de la meute Metallica pour partager les préoccupations de leur cour avec l’abrasive “Blackened”, dont les premiers mots annoncent une sombre prophétie :

“Blackened is the end
Winter it will send
Throwing all you see
Into obscurity”
“Noircie est la fin
L’hiver enverra
Jetant tout ce que tu vois
Dans l’obscurité”

Battu en brèche par le mouvement dans les années 1980, le frisson de la menace nucléaire s’est offert une seconde jeunesse dans la deuxième partie des années 2000 avec le revival du thrash metal, grâce à des groupes comme Toxic Holocaust (“Nuke the Cross”) ou Municipal Waste et ses clips qui auraient de quoi faire péter un compteur Geiger et à qui l’on doit même la chanson “Wolves of Chernobyl”.

Larysa Kuzmenko, une pièce de piano éprouvante


Aux antipodes du grand guignol métallique, le monde de la musique classique rappelle que la catastrophe de Tchernobyl fut un évènement en tout point traumatisant : si une trentaine de personnes meurt le jour de l’explosion, les conséquences sanitaires sur le long terme sont dramatiques dans toute l’Europe, des populations sont déplacées et le gouvernement central entretient le secret sur les véritables risques.
En 1997, Tchernobyl inspire à la compositrice canadienne Larysa Kuzmenko une pièce pour piano intense – tant pour le pianiste que pour l’auditeur – sobrement intitulée “À la mémoire des victimes de Tchernobyl”. Souhaitant refléter “le son mécanique du réacteur nucléaire” et les particules radioactives se répandant sur l’Ukraine, Kuzmenko dépeint l’effroi en notes frappées. Sept minutes trente d’écoute éprouvante.

Example, ou quand le rap prend la parole sur Tchernobyl


En 2007, Example écrit le titre “What We Made”, issu de l’album du même nom. Décrivant la race humaine comme une espèce de “trous du cul destructeurs”, le Britannique livre un rap au vitriol dans lequel il regrette que progrès et sagesse n’aillent pas souvent de pair.
Mention spéciale pour le clip du titre, tourné à Pripiat, ville modèle de l’architecture soviétique des années 1970, située à 3 kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Désormais, c’est une ville fantôme.