Muddy Monk, à la recherche de “la vie bonne”

Muddy Monk, à la recherche de “la vie bonne”

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Muddy Monk ©Hugo Comte

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Par Sophie Laroche

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Quelques mois après la sortie du court projet Première Ride, le suisse Muddy Monk dévoile son premier album : Longue Ride.

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Muddy Monk (© Hugo Comte)

“Les gens qui me connaissent ont vu les changements dans ma vie“, nous explique Muddy Monk alors que nous le retrouvons dans un café de Pigalle pour évoquer avec lui la sortie de son premier album, Longue Ride. “Le moi d’avant était beaucoup plus angoissé que [celui de] maintenant. Même s’il y a encore beaucoup d’angoisses, elles sont beaucoup plus maîtrisées, j’ai bien avancé.” Si l’artiste suisse, de son vrai nom Guillaume Dietrich, reste ce jeune homme un peu timide qui masque sa gêne et ses silences par le rire, on comprend effectivement qu’un bon bout de chemin à été parcouru depuis notre dernière rencontre, il y a de cela un an.

Cette mutation à la fois personnelle et artistique, le musicien l’a développée dans Longue Ride, une version étoffée du projet Première Ride, sorti quelques mois auparavant. Initié en 2015, l’album est le fruit d’un travail nocturne et patient. Doux mélange de chansons à textes imagées et d’expérimentations musicales, Longue Ride donne à Muddy Monk l’occasion de se dévoiler davantage.

Bien sûr, l’amour et la rêverie sont toujours présents, mais ici l’artiste s’affranchit un peu des reverbs brumeuses qui font sa signature habituelle. Délesté d’éventuels featurings, il affirme maintenant sa voix et se réalise seul.Après avoir expérimenté en solitaire pendant de nombreuses années, son évolution se concrétise aussi par ses débuts sur scène, effrayants mais prometteurs, ainsi qu’un départ pour Bruxelles. Dans une époque où l’urgence est à la réalisation personnelle, Muddy Monk a pris le temps de se construire et de se trouver avant de se lancer dans la course. Une démarche rafraîchissante qui semble payer. Après tout, tout vient à point à qui sait attendre et la ride ne fait que commencer.

Konbini | La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, il y a de cela presque un an, tu faisais très peu de scène, voire pas du tout. Depuis, tu as pu te produire au Montreux Jazz Festival ou au Pitchfork Festival. Quelles sensations te procure l’expérience du live ? Tu appréhendais la scène ?

Muddy Monk | Oui, c’est quelques chose que j’ai beaucoup appréhendé et que j’appréhende encore, même si ça va mieux. Je suis fier car monter sur scène, c’est affronter une énorme peur. Mais j’aime le challenge que cela représente. Au niveau de la prestation live, je commence à trouver des solutions qui me conviennent, même si je ne suis pas encore totalement épanoui dans cet exercice. Je n’ai pas encore trouvé l’équivalent de la création dans la performance live. Je suis plus à l’aise en studio que sur scène.

Comment traduit-on une musique qui tient tant de l’intime, de la rêverie et du fantasme dans la réalité du live ? 

Il y a eu beaucoup d’expérimentations et de réflexions sur comment faire un live. J’avais un problème par rapport à ma légitimité sur scène car je ne suis pas un musicien hors pair. Là où j’ai l’impression d’avoir quelque chose à offrir, c’est dans ce que j’appelle la “cuisine” et l’expérimentation musicale. Cuisiner des petites choses à la maison, chez moi, à force d’expérimentations, et non de virtuosité ou d’anticipation. Cependant, je ne me voyais pas faire de l’expérimentation sur scène. La solution qui me semblait être la meilleure consistait à transmettre un travail assez épuré et sincère afin de partager mes morceaux et les émotions dans ma prestation vocale. 

Quel est le plus grand enseignement que tu aies tiré de cette expérience de la scène ?

Affronter des peurs énormes et l’accepter. C’est une belle leçon que de découvrir que je peux affronter quelque chose qui est à ce point énorme pour moi. Ces premiers lives représentaient des mois d’insomnies, et réaliser que je peux ne pas craquer jusqu’à la date du show, faire le show, puis récupérer de toute cette fatigue et reprendre pour d’autres dates, c’est assez fort. Le live, c’est quelque chose de surréaliste, je ne crois pas que l’être humain, de façon naturelle, soit fait pour chanter devant plus de quatre personnes.

Te sens-tu quand même heureux quand tu sors de scène ? 

Je suis soulagé en tout cas. Il y a eu quelques concerts après lesquels j’étais vraiment content parce que j’ai ressenti un truc pendant le show. J’étais bien dedans. Réussir à me mettre dedans lors d’un spectacle, c’est encore un équilibre qui est dur à trouver pour le moment pour moi.

Tu sors ton premier album Longue Ride. C’est un projet que tu travailles depuis longtemps. Quelle est son ambition ?

Je ne sais pas si on peut parler d’ambition, mais ma mission avec cet album était de créer une œuvre pour moi. J’ai toujours créé pour avoir un CD. J’adore l’objet CD. Mon ambition, c’est de fixer la chose dans le temps, à un instant T, et là j’ai l’opportunité de pouvoir la partager avec beaucoup de monde. Je suis très fier de ce projet.

Certains titres datent de 2015. Tu as pris le temps de construire un projet au sein d’une industrie qui va très vite. Comment appréhendes-tu le temps ?

Je n’y pense pas du tout. Je ne me mets aucune pression sur une potentielle productivité à avoir. Il y a des moments dans ma vie durant lesquels je ressens le besoin de créer quelque chose pour me compléter, pour combler un vide qu’il y aurait en moi, et à ce moment-là je vais créer une oeuvre qui va faire un bout de route avec moi. Une fois que je l’ai terminée, elle me remplit pendant un instant et je ne ressens plus le besoin de recréer avant un certain temps. C’est pour cela que je crée à un rythme “modéré”, on va dire. Je ne pourrais pas faire des journées de pur studio. 

Durant l’écriture de ce projet, y a-t-il eu des œuvres ou des artistes qui t’ont inspiré ?

Oui. Il y a d’abord eu Ichon qui m’a beaucoup inspiré en termes d’écriture et de philosophie. Lorsque nous nous sommes rencontrés, c’était la première fois que je pouvais me confronter à un artiste qui était à ce point fonceur. Pour lui, il s’agit de tout donner et de se dire : “On va le faire, on y va”, alors que moi j’ai plutôt tendance à être prudent.

Il y aussi l’album de Tame Impala (Currents) que j’ai adoré, et qui m’a beaucoup inspiré pour Longue Ride. Du côté des livres, il y a l’auteur Luc Ferry. Lors d’une conférence diffusée sur YouTube, il proposait une approche de la question : “Qu’est-ce qu’une vie bonne pour un mortel ?” Ça a été un moment très fort pour le début de Première ride, une grosse influence en termes de réflexion. 

Je crois que le cinéma est important pour toi. Quels sont les films qui ont façonné Muddy Monk ? 

Certains des films d’Emir Kusturica. Ce sont des films avec un désespoir très violent mais avec une joie dans le désespoir. Sinon, je pourrais citer La Vie aquatique de Wes Anderson. La dynamique du film est intéressante car elle est très lente et les personnages sont désenchantés.

Peut-on parler de Muddy Monk comme d’un personnage ? 

Je fais une musique qui est en quelque sorte thérapeutique pour moi. On n’est pas sur la création d’un personnage, d’une identité. J’aimerais faire cette séparation entre Muddy Monk et moi pour aller sur scène relax, mais non je n’y arrive pas.

Muddy Monk (© Hugo Comte)

Tu as commencé en composant des instrus et tu expliquais au début avoir peur des grands textes. Tous les titres de cet album sont des morceaux à textes. Tu n’en as donc plus peur aujourd’hui ?

Ça va mieux mais je reste prudent sur les grands textes. J’ai toujours peur qu’il y ait un passage qui soit faible, qui manque d’intensité. En fait, si je faisais un morceau trop complexe avec les armes que j’ai en musique, j’aurais peur de me perdre dans quelque chose qui ne serait pas homogène.

Tu mets beaucoup de temps à écrire un morceau ? 

Ça met du temps à sortir mais une fois que c’est là, en principe je ne reviens pas dessus ou très peu en tout cas. Ça se fait en une dizaine de passages sur le texte à partir du moment où il est écrit. 

La difficulté que tu t’imposes, c’est peut-être de ne pas écrire sur toi de manière factuelle mais de décrire des expériences et des émotions assez universelles.

C’est un truc qui me plaît trop et que je recherche à fond. J’ai horreur des textes dénonciateurs et trop explicites. J’aime quand il y a une place pour chacun et pour l’émotion surtout. Il y a un morceau que j’écoutais depuis un certain moment, il s’agit du titre “La nuit je mens” de Bashung. L’émotion que je ressentais en écoutant ce morceau était dingue. Je ne captais pas de quoi il parlait, je me disais que je devais manquer de références mais j’avais des images qui me venaient.

Après, j’ai appris que ce morceau avait été écrit d’une façon spécifique puisqu’un écrivain avait écrit un très long texte et que Bashung, lui, avait pioché dans les parties qui lui plaisaient en enlevant les éléments de compréhension, ce qui donnait un texte dont on ne pouvait situer le contexte, ni comprendre de quoi ça parlait. Mais l’émotion était bien là. Si on m’avait dit : “C’est un super concept !”, j’aurais dit “C’est de la merde” mais en fait, émotionnellement, c’était fort.

Quel est le texte dont tu es le plus fier ?

Je suis très content de “Baby”. C’est une petite chanson à texte et je suis assez content de ce qu’elle raconte. Il s’agit de la rencontre avec une fille, du moment où l’on est confronté à quelqu’un que l’on estime et que l’on admire. On se sent quelque part tout petit et enfant. Elle raconte l’histoire du passage du rêve de l’autre à la réalité. C’est une chanson heureuse.

Tes textes parlent énormément d’amour. Pourrais-tu écrire des morceaux qui ne soient pas des chansons d’amour ?

Je pourrais traiter d’autres thèmes, mais actuellement je ne me sens pas à l’aise de le faire. Je n’ai même pas essayé. Il y a peu de chansons que j’aime qui parlent d’autre chose que d’amour. Je serais tenté de faire des morceaux qui développent certains thèmes philosophiques, mais je pense que la musique doit être un espace réservé à l’évasion et aux rêves.

Un des titres de l’album se nomme “Junko Tabei”. Il s’agit d’une alpiniste japonaise. Comment as-tu connu cette femme et pourquoi te fascine-t-elle ?

J’avais d’abord écrit ce morceau qui parlait d’une femme forte, aventurière et qu’on ne pouvait ni contenir ni posséder puis, après coup, il fallait lui trouver un titre. J’ai cherché pendant longtemps des titres et c’est à cette période que je suis tombé sur le nom de Junko Tabei, qui est la première femme à avoir escaladé l’Everest. Je trouvais l’image jolie : une alpiniste femme qui a gravi l’Everest.

Il s’agit de la première femme à avoir franchi les sept sommets. Quelle est la plus grande chose que tu aimerais accomplir ?

J’aimerais trouver un équilibre, trouver ma place, ma vraie place. Je pense que c’est ça la grande chose à accomplir.

Tu expliquais que pendant longtemps, tu as travaillé dans l’éducation en parallèle de ta carrière. Est-ce que ces deux activités se nourrissaient l’une l’autre ? 

Complètement! Le meilleur équilibre que j’ai eu jusqu’ici, c’est quand je bossais dans l’éducation. Je faisais trois jours dans l’éducation puis deux jours dans une ferme et à côté, je faisais ma musique le soir en rentrant. Toutes ces activités se nourrissaient les unes les autres. La musique nourrissait le job que j’exerçais avec les enfants car je me sentais épanoui. C’est super important quand on travaille avec des enfants d’être épanoui. Si on est frustré, ce n’est pas un service qu’on rend aux plus jeunes car on leur transmet une image angoissée de l’avenir. Quant à la ferme, elle nourrissait ma musique car c’était un travail au jour le jour dans lequel on accomplit des choses concrètes. C’était un bon équilibre.

Alors que tu avais trouvé un équilibre, comment vis-tu le fait d’être désormais lâché dans la création pure. Ce n’est pas angoissant de se dire qu’on a le temps ?

C’est très dur car il n’y a plus de cadre. L’être humain a beaucoup de peine à faire des choix et là, il faut en faire tous les jours. Mais en même temps, ça permet plein de nouvelles choses. C’est rare qu’on puisse tout re-structurer à ce point dans sa vie. Je le prends autant comme une aubaine que comme un nouveau challenge.

Comment arrives-tu à construire une dynamique de création dans ce quotidien sans cadre, toi qui explique ne pas forcer la création ?

Pour le moment, je n’ai pas vraiment d’équilibre. Je prépare principalement le live, ce qui me donne un rythme de travail. À coté, je n’ai pas abordé une nouvelle phase de création car je n’en ai pas forcément envie. Je pense qu’une fois que j’aurais trouvé un équilibre, quelque chose de nouveau naîtra.

Te sens-tu bien dans ton époque ? 

J’ai tendance à parler en mal de notre époque. Cependant, je suis partagé : je ne sais pas s’il faut dire que c’était mieux avant ou que ce sont les réseaux sociaux qui sont mauvais.

Qu’est ce qui te déplaît dans cette époque ?

Ce qui me déplaît, c’est un certain manque de valeurs ancrées et partagées par tout le monde. Avec davantage de valeurs, les gens seraient un peu moins perdus, ils ne vivraient pas constamment dans la convoitise de l’autre et je pense qu’à ces sujets, les réseaux sociaux font du mal. On vit dans une époque où tout est possible mais dans laquelle tu n’apprends pas trop à faire de choix. Il y a une pression sociale monstre, une pression à se réaliser.

J’étais confronté à ça en partant pour Bruxelles. Je pars et les gens se disent : “C’est trop bien, il va se réaliser en tant qu’artiste, il doit être trop content”, sauf que moi je quitte aussi les miens. Il y a un dilemme qui se pose, je vais me réaliser en tant qu’individu mais dans la globalité, j’ai quand même besoin d’être auprès des miens. Qu’est-ce que c’est la vraie vie ? Ça fait partie de la réflexion sur “la vie bonne”.

Tu dis avoir acheté une moto en partie pour la prise de risque que symbolisait cet objet. Quel est le plus gros risque que tu aies pris dans ta vie d’artiste ?

Mon installation à Bruxelles il y a deux mois représente un gros saut, mais elle s’est faite de façon évidente donc ce n’était pas un saut trop dur à faire. Mon premier live, c’était bien plus violent à affronter.

C’est quoi une bonne ride ?

Celle dans laquelle on passe par tous les stades, par des joies et des peurs, une ride où il y a des vagues. 

Un bon album, c’est une bonne ride ?

Oui c’est un beau voyage, c’est sûr.

Longue Ride est disponible depuis le vendredi 9 novembre 2018.