On a parlé multiculturalisme, industrie musicale et rap US avec Lolo Zouaï

On a parlé multiculturalisme, industrie musicale et rap US avec Lolo Zouaï

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© Louis Lepron pour Konbini

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Par Eléna Pougin

Publié le

La franco-américaine s'est entretenue avec nous sur la récente effervescence que connaît sa carrière.

Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons Lolo Zouaï, phénomène de la musique urbaine. Celle-ci est connue à travers les océans depuis la sortie de son titre “High Highs to Low Lows”, qui a donné lieu à son premier album éponyme. Image millimétrée, prod’ signées Stelios Philli, voix suave et apaisante : voilà la recette que propose Lolo Zouaï, 23 ans, en passe de devenir l’une des futures icônes du R’n’B. Sa musique se veut multilingue, oscillant entre français, anglais, et même parfois arabe, à l’image du titre “Desert Rose”.

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Avec des rêves plein la tête, Lolo Zouaï est au cœur d’un succès grandissant, qui insuffle par son originalité une vague de nouveauté au R’n’B. Son histoire se fait l’écho de toute une génération d’artistes, qui revendique son indépendance au détriment des promesses des grandes maisons de disques. Elle incarne aussi une jeunesse multiculturelle, fière de ses origines et de son identité.

Lors de notre échange à We Love Green, la jeune femme, vêtue d’une jupe écolière bleue et d’une veste biker oversized, arborait fièrement de grosses barrettes sur l’ensemble de sa chevelure. Un look tout droit sorti des années 1990, précisément celles qui définissent son personnage. Alors que notre interview fut pensée en anglais, langue ou elle affirme être “la plus à l’aise”, Lolo Zouaï nous salue en français. Toutefois, imprégnée de ses années aux États-Unis, elle use de nombreux anglicismes, créant au fil de la discussion, son propre dialecte. 

Rencontre avec celle qui séduit aux quatre coins du globe.

Konbini | Hello Lolo Zouaï ! Ça fait deux mois que ton album est sorti, que s’est-il passé depuis ?

Lolo Zouaï | Je suis allée en tournée aux États-Unis ainsi qu’au Canada, 22 villes en peu de temps, c’est pas rien ! J’ai eu beaucoup de nouveaux fans sur les réseaux sociaux, ça a presque doublé sur Instagram. J’ai quand même pu souffler un peu le mois dernier. Je reste “very busy”, mais c’est un poil moins intense.

Tu évoques les réseaux sociaux, tu y es très active. Est-ce que cette présence virtuelle t’oppresse un peu parfois ? Angèle par exemple dénonce cette “pression” qu’on peut ressentir sur le web…

Des fois ça m’énerve un peu, surtout à mesure que ma communauté grandit, ça devient stressant. Je sais que je dois poster presque tous les jours pour ne pas être oubliée. Même si d’un côté j’adore partager avec ma communauté, c’est vrai que, parfois, quand je n’ai rien à publier et que je ne sais pas quoi leur montrer, ça m’inquiète un peu. Je ne passe pas énormément de temps dessus pour autant et je fais mon possible pour ne pas trop me comparer aux autres nanas. C’est là que ça pourrait vite devenir compliqué…

Ce que je fais surtout, et le plus sainement possible, c’est de comparer ma carrière avec d’autres, pour savoir où j’en suis et continuer à m’améliorer. Mais je ne suis pas sûre que ce soit un bon comportement non plus, puisque chacun va à son rythme et qu’on a tous notre voie, c’est bête de vouloir se prendre la tête avec ça finalement.

(© Grant Spanier)

Tu promeus une musique multilingue, à mi-chemin entre l’anglais et le français. En quoi cela pourrait-il aider à mieux accepter “les différences culturelles” ?

En réalité, on est nombreux à avoir baigné dans plusieurs cultures étant petits, et en grandissant on s’est posé pas mal de questions : est-ce qu’il faut choisir, est-ce que je suis normal, quelles sont mes origines, etc. ? Mélanger les langues, c’est pourtant quelque chose qui se fait très peu encore, en dépit de tous ces adultes qui ont évolué entre différents pays, différentes traditions. On voit ça au Canada de plus en plus, en Corée du Sud et surtout aux États-Unis, où la culture hispanique s’est véritablement importée. Je pense que le monde est prêt à se mélanger et que les gens sont davantage curieux à propos de leurs origines.

Mais il y a aussi une dimension plus personnelle, dans le sens où je parle mieux anglais que français, du coup quand je parle en français, je ne peux pas m’empêcher de glisser des mots anglais par-ci par là. Je me suis dit qu’en chanson, je pourrais m’amuser à faire l’inverse, avec l’idée de chanter comme je parle.

Quel regard portes-tu sur l’industrie musicale désormais ?

Quand je suis partie vivre à New York et que j’ai voulu faire de la musique sérieusement, de nombreux studios m’ont poussée à aller jusqu’à Los Angeles ou encore Miami pour faire des rencontres avec des producteurs. Ils m’ont vendu le scénario de rêve, ce que je raconte dans “High Highs to Low Lows”, mais ce n’était vraiment pas mon style…

Déçue, je me suis dit que j’allais tout recommencer, et qu’avec un peu de chance j’arriverais à avoir du succès sans ces gros labels. La suite, tu la connais sûrement : j’ai rencontré Stelios, mon producteur actuel. On bossait chacun de notre côté, on a pu se faire confiance. C’était une véritable chance pour moi ! Après ça, les labels du début m’ont contactée de nouveau, et je me suis dit : “J’ai une seule chanson, c’est trop tôt, je reste indépendante.”

Comme c’est leur métier, ils veulent s’attacher à ce qui marche j’imagine, et sont prêts à signer n’importe quel artiste pourvu qu’il y ait du bénéfice à la clé. À vrai dire, j’ai eu peur qu’ils changent ma musique selon ce qui les arrangeait. Je me suis donc donnée un an pour enregistrer mon album, prendre le temps de tâter l’envers du décor de mon côté, et c’est seulement quand j’ai été prête que j’ai commencé à réfléchir pour signer quelque part. C’est important de ne pas se précipiter je pense.

Là, pour la promotion de l’album, je viens d’officialiser un partenariat avec Because en France et RCA dans le reste du monde… J’avais déjà tout fini en revanche, la cover, un clip pour lancer l’album… Mon conseil, ce serait de commencer par se faire confiance, faire confiance à sa musique, avant de vouloir faire confiance aux autres pour gérer son œuvre. 

Maintenant que tu sembles prête pour ces propositions de labels, envisagerais-tu de travailler avec d’autres gens ?

Une chose est sûre, je ne me vois pas me séparer de Stelios pour l’instant. On travaille beaucoup plus vite, avec moins d’angoisse. On a pris nos marques et on sait comment l’autre fonctionne, ce qui nous laisse une grande marge de manœuvre. On a également appris à être plus productifs. Je ne saurais pas dire si j’aimerais travailler ou non avec d’autres, mais je suis au moins ouverte pour essayer, on ne sait jamais après tout…

Cette connexion artistique avec Stelios, comment tu la définirais ?

Je parle souvent d’âmes sœurs musicales, et je crois que ça n’a pas changé depuis la première fois que j’ai employé cette expression. Il comprend ma vision, me soutient et m’aide à écrire. Il accepte aussi que je produise de mon côté et que j’apporte des suggestions à ses instrumentales.

Justement, il me semble que tu as déjà écrit des chansons pour d’autres noms comme H.E.R, et que tu envisageais même à une époque de produire des sons pour des rappeurs. C’est encore un projet que tu te vois mener en parallèle de ta carrière perso ?

Je me vois faire plein d’autres choses à côté de ma carrière de chanteuse, c’est facile à dire, mais j’espère que je ne m’en tiendrai pas seulement à cet horizon-là. Les rares moments où je rentre à la maison par exemple, je me surprends à me dire : “Allez, je tente ça, je n’ai plus rien à faire.” C’est absolument faux évidemment, mais je pense que je finirais par faire ça dans ma vie, du moins j’en ai l’envie. 

© Grant Spanier

Et auprès de qui aimerais-tu travailler là-dessus ?

Il y a ce duo de producteurs, Take A Day Trip, ils ont fait la grande chanson de Sheck Wes notamment. Ils m’ont contactée pour travailler avec eux sur des titres de rappeurs, alors à voir… Il s’agirait de co-productions pour commencer. Disons que ça ce serait mon “side hustle”, un rêve que je me donne sans vraiment le prendre au sérieux… En tout cas, si ça venait à arriver, ce sera avec des rappeurs de Soundcloud, car je trouve ça trop stylé cet univers underground du hip-hop.

Rap américain du coup ?

Plutôt du rap américain oui. Je connais peu de rappeurs francophones malheureusement. En loges tout à l’heure je parlais avec Hamza, on pensait faire une collab’ bientôt. On est chauds, il ne reste plus qu’à savoir si ça se fera vraiment. Il est très fort, je l’adore.

Qui t’attires actuellement sur la scène rap et R’n’B américaine ?

À vrai dire, je suis plutôt “old school”. En ce moment, j’aime bien Nav même s’il est canadien, Gucci Mane ou encore YG qui a sorti un album canon… Offset vient de lâcher un très bon disque aussi. 

Et travailler avec des femmes ?

Pourquoi pas ! J’apprécie beaucoup ce que certaines font pour le R’n’B aux États-Unis. À We Love Green, ma loge est proche de celle de Kali Uchis, FKA Twigs et Rosalia, je respecte énormément leur travail. En revanche, je pense qu’une collaboration doit se faire naturellement, et qu’on ne peut pas la forcer, donc si on s’entend bien, pourquoi pas.

Je pense qu’il faut quand même savoir dire “non”, plus souvent que “oui”. Surtout quand on débute, histoire de créer sa propre marque de fabrique et son univers musical. Ça peut vite devenir très flou pour les auditeurs d’avoir quelqu’un qui s’éparpille en multipliant les collaborations. C’est l’avantage d’être à New York aussi, loin de ce monde-là, ça me permet de créer ma propre sauce.

Par exemple, Billie Eilish, son succès est lié au fait qu’elle se soit entourée d’une petite équipe et qu’elle travaille surtout sur sa musique avec son frère. C’est un peu pareil pour moi, Stelios peut tout faire et ça me plaît, je ne vois pas pourquoi je voudrais échanger ça contre autre chose. 

Quelle importance a eu le featuring avec Myth Syzer dans ta carrière ?

Ça m’a apporté un peu de visibilité en France, mais ça n’a pas tout fait. La presse m’a aussi beaucoup supportée dernièrement, il faut l’avouer. Mais je crois que c’est ma musique avant tout qui est responsable de cette effervescence. Je ne dis pas que le titre ne m’a rien apporté, parce que j’ai dû gagner un nouveau public avec “Austin Power”, mais les gens qui m’écoutent ne le connaissent pas parfois. C’est important de ne pas avoir peur d’être fier de ce qu’on fait.

(© Grant Spanier)