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Chester Bennington s’est envolé, et une partie de mon adolescence avec

Chester Bennington s’est envolé, et une partie de mon adolescence avec

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Par Louis Lepron

Publié le

Le chanteur de Linkin Park est mort ce jeudi 20 juillet. Retour sur un groupe qui aura marqué une génération, la mienne.

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J’avais 15 ans et aucune connaissance musicale poussée. Mon grand frère m’avait fait écouter les Muse, Smashing Pumpkins et autres Red Hot, à leur belle époque, mais ça ne me suffisait pas. Même si Californication et Showbiz me donnaient quelques frissons, je ne me sentais pas pleinement concerné.

Un été, à Paris, je suis tombé sur un disque de Linkin Park. On était à l’époque de la sortie de Meteroa, trois ans après celle d’Hybrid Theory (2000), premier album de la formation californienne et énorme carton mondial, à l’époque où l’industrie musicale vendait encore des disques bien physiques.

Les Adrenaline de Deftones, Significant Other de Limp Bizkit, Korn de Korn et Iowa de Slipknot avaient déjà ouvert la route d’un genre, celui du néo metal, qui connaissait depuis près de dix ans une popularité grandissante, aux États-Unis comme en Europe.

Retour à Paris. Je me rappelle cette scène au cours de laquelle mon cousin et moi, après un achat dans une Fnac quelconque, avions lancé le CD sur un lecteur qui traînait dans sa chambre. Il faisait jour, et pourtant la lumière s’était comme assombrie. Les guitares étaient lourdes, presque excessives, l’ambiance était pesante. On s’était regardé comme pour se dire “putain, c’est violent non ?” Et comme des vieux routards d’un genre, le metal, qu’on ne connaissait guère, on avait hoché de la tête l’air grave, comme pour dire “ouais”.

On trouvait de tout sur Meteora. Un morceau assumant une ambition hip-hop comme “Nobody’s Listening”, mais aussi rock avec “Figure.09”, ou électronique avec “Session”.

On n’avait clairement aucune culture musicale. On n’avait jamais écouté du “vrai” metal, même si un disque de Dream Theater, Six Degrees of Inner Turbulence, trônait sur une petite tour à albums du grand frère. iTunes, YouTube et MySpace n’existaient pas encore. Seul subsistait chez nous l’envie de laisser, quitter, mettre de côté ce que nous avaient transmis nos parents, comme pour mieux leur affirmer, du haut de notre immense savoir, que ce nous écoutions était d’une musicalité supérieure.

Et la voix de Chester Bennington de transpercer les murs, ponctuant d’une manière puissante les arrangements de la formation avec leur accessible “Numb”, de congeler la chambre de ses invectives tristes. Si les gosses des années 1990 ont eu le grunge de Nirvana et le rap de NTM, une bonne partie de ceux de la première moitié des années 2000 n’ont juré que par Linkin Park, Slipknot, Mudvayne, Korn, Limp Bizkit, 36 Crazyfists, descendants des Rage Against The Machine, Faith No More ou encore Anthrax. Une scène néo metal qui aura aussi eu ses représentants français, avec Pleymo, Enhancer, AqME, et leur fameuse Team Nowhere.

On était “Left Behind”, “Blind”, et surtout “Bored” :

“Forgotten ?”

Quinze ans plus tard, je sais que Linkin Park, la formation la plus emblématique et populaire de cette fameuse période musicale, n’était pas à mes yeux d’une grande valeur musicale, au-delà de Hybrid Theory et Meteora, leurs deux premiers albums.

Pourtant, je continue à avoir un immense respect pour leur courage, celui d’avoir associé, mixer les genres opposés qu’étaient le rock et le rap en incluant des paroles touchantes. Je me souviendrai d’un album de remix comme Reanimation, la place donné à un membre essentiel comme Mike Shinoda, des mots qui ont parlé à des centaines de milliers d’ados, une collaboration médiatique avec Jay Z, et des clips, comme celui de Breaking The Habit, qui auront marqué ma rétine.

“In the End”, je ne peux m’empêcher de penser que Linkin Park m’aura amené, progressivement, vers de nouveaux horizons musicaux, que ce soit le hip-hop de Kendrick Lamar ou le post-hardcore d’At The Drive-In. Chester Bennington représente aujourd’hui une génération qui ne jurait que par l’éclectisme, celle du début des années 2000, à cheval entre le CD et le MP3, MySpace et MSN, le player Yahoo Launch Music et YouTube.

Linkin Park avait déjà prévu l’ouverture musicale de ses auditeurs, quelques années avant l’explosion d’Internet et notre capacité, nous, nouveaux internautes, à avoir accès à des dizaines de genres, sans aucun jugement et sans passer par la dictature des radios et de la télé.

Et cette voix déchirante de Chester Bennington de se poursuivre, montant de plus en plus haut. Si leur aura s’est progressivement éteinte, au regard de la distance qu’ils prenaient avec leur identité musicale originelle, Linkin Park restera toujours pour moi le groupe d’une génération, prête à franchir un pas, celui du mélange. “Forgotten” ? Pas pour moi.