Comment un musicien assoiffé de gloire s’est fait choper en voulant troller Discogs

Comment un musicien assoiffé de gloire s’est fait choper en voulant troller Discogs

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Par Chayma Mehenna

Publié le

Billy Yeager, un musicien inconnu du grand public, a acheté son propre album sur Discogs, une plateforme de revente de disques, afin de battre le record de l’album le plus cher. Ce n’est pas la première fois que cet homme, qui essaya de se faire passer pour le fils de Jimi Hendrix, fait n’importe quoi pour devenir célèbre.

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Discogs n’est pas qu’un catalogue recensant tous les labels existants, c’est aussi une plateforme de revente de disques. Le record sur ce site marchand était détenu par la vente d’un album de Prince excédant les 15 000 dollars. Cette semaine, ce record a failli être battu par un total inconnu.

Dix-huit mille dollars, soit peu près 17 000 euros. C’est le prix de vente sur Discogs d’une démo enregistrée en 1989 par un musicien inconnu au bataillon, un certain Billy Yeager. Généralement, ce genre de sommes excessives sont réservées aux grands noms. Celui qui essayait de vendre le disque 301 Jackson St  se cachait sous le nom de Southflamusic. Celui-ci vend encore de nombreux autres enregistrements du musicien, tous excédant les 3 000 dollars (2 800 euros).

Un employé de Discogs, Aaron Marquez, a trouvé tout ça plutôt louche. La transaction, d’abord approuvée par le site, s’est vue annuler à la suite d’une série d’enquêtes sur l’identité du vendeur et de l’acheteur : la radio américaine NPR a ainsi fini par révéler que l’acheteur et le vendeur n’étaient qu’une seule et même personne.

Billy Yeager, originaire de Floride, a toujours rêvé de notoriété et de gloire, sauf que sa carrière de musicien, vieille de 37 ans, n’a jamais vraiment décollé. Pourtant, The Miami Herald expliquait en 1996 qu’il avait été découvert par le pianiste et chanteur Bruce Hornsby au début de sa carrière. Après avoir écouté l’une de ses démos, il avait présenté le jeune musicien à Capitol Records, lui affirmant qu’une grande carrière l’attendait. Malheureusement, ce n’est pas vraiment ce qu’il s’est passé…

Cette opportunité vite passée sous son nez, Billy Yeager ne perd pas espoir. Il s’est occupé seul de sa promotion autant qu’il s’est attaché à redoubler de créativité pour accéder aux unes de la presse internationale et se faire connaître. Il avait ainsi réussi à convaincre une télé et un hebdomadaire qu’il était Jimmy Story, le fils de Jimi Hendrix, et qu’il était en possession de vinyles rares perdus. Il s’était pour l’occasion peint le visage et teint les sourcils en noir pour masquer ses origines suédoises. Il avait été jusqu’à falsifier un livret de famille. C’est avec cette machination qu’il a séduit une Espagnole qui a voyagé jusqu’en Floride pour le rencontrer. Elle est devenue sa femme et l’accompagne désormais dans chacune de ses aventures.

Cette course à l’écriture de sa propre légende ne s’arrête pas là : de nombreux produits et vidéos portant le nom de Billy Yeager pullulent sur Ebay, YouTube, Discogs et Etsy. Tous ont en commun leur prix extravagants. L’une de ses planches de surf était en vente pour 14 000 euros, l’un de ses enregistrements (sur lequel il est accompagné du mythique bassiste Jaco Pastorius) était mis en vente par un vendeur dénommé “South Florida Rare Collectables” pour la somme de 99 000 dollars, tandis que l’une de ses guitares était vendue par un certain Vonweinberg (retenez bien ce nom) pour 250 000 dollars… Sur YouTube, une seule vidéo montre ses compétences. C’est peu pour juger de ce talent qui génère de telles spéculations.

Depuis l’épisode Jimmy Story, qui a fait la une de nombreux journaux, il semblerait que le faux fils de Jimi Hendrix vit de petits jobs. Les lettres de rejet des labels s’accumulent dans les tiroirs de sa petite baraque dont les murs sont recouverts de planches de surf. Avec l’aide de sa femme, il a réalisé des films et s’est lancé avec “son producteur” dans la création d’un documentaire sur sa vie comprenant des interviews de membres de sa famille, Jimmy’s story.

Selon son site Web, son attaché de presse se nomme Chris Von Weinberg. Il est aussi crédité en tant qu’auteur, producteur et réalisateur du documentaire. Celui-ci a systématiquement refusé toute discussion avec les journalistes qui ont tenté de prendre contact avec lui. John F. Stacey, un journaliste s’étant penché sur le musicien dans un article du Broward Palm Beach New Times datant de 1997, explique à NPR être en contact avec de nombreux faux producteurs de Billy. Chris Van Weinberg en fait partie.

Sur une fausse page Wikipedia intégrée au site de Billy Yeager, on apprend que Prince l’a nommé “le guitariste le plus funky qu’il ait jamais connu”. La source de cette info est un article du Malibu Beach L.A. Magazine. En faisant quelques recherches, on apprend que celui-ci a été créé en 2007 par une certaine Helena Von Weinberg (tiens, tiens, encore ce nom). Sa page Wikipedia, très fournie, regorge d’inexactitudes et de sources qu’il a directement créés.

Une chose est sûre, Billy Yeager est parvenu à ses fins en faisant parler de lui. Malheureusement pour lui, tout le brouhaha qu’il a provoqué s’attache plus à conter ses manigances qu’à étaler son talent de musicien ou de réalisateur.