Le vinyle ne connaît pas la crise, mais les disquaires… si ?

Le vinyle ne connaît pas la crise, mais les disquaires… si ?

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Photo : Valentin Després

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Par Valentin Després

Publié le

On est allés discuter avec des disquaires indépendants pour savoir s’ils tiraient vraiment profit du fameux "boom du vinyle".

C’est une chanson médiatique que l’on commence à connaître par cœur. Tous les ans, entre les sujets de journaux télévisés sur les premières neiges et ceux sur le chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens, la France a droit à son reportage sur le “retour du vinyle”. Il faut dire qu’à l’ère du streaming tout-puissant, l’insolente vitalité de la “galette” a de quoi étonner.
En 2020, malgré la crise sanitaire, les confinements et autres couvre-feux à répétition, le chiffre d’affaires du support a augmenté de plus de 10 % selon le dernier rapport du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP). Aujourd’hui, plus d’un disque vendu sur quatre est un vinyle : une part qui a plus que doublé en trois ans. De quoi faire les choux gras des disquaires ? Konbini a mené l’enquête.

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Quand les gros réinvestissent

Depuis que le vinyle a repris des couleurs, les disquaires indépendants ne sont plus les seuls à se partager le marché. Philippe Soissons, gérant de la boutique Crocodisc dans le Ve arrondissement de Paris, se souvient de la (re)montée en puissance des rayonnages vinyles dans les grandes surfaces culturelles :

“Dans ma boutique, nous n’avons jamais arrêté d’en vendre, y compris à la période la plus sombre des ventes, dans la deuxième moitié des années 1990. Nous étions presque les seuls à continuer. La courbe a commencé à s’infléchir à partir de 2007. Jusqu’en 2010, il n’y avait toujours pas grand monde pour en vendre. Et petit à petit, les gros dinosaures ont commencé à rouvrir de plus en plus de rayons.”

En 2020, un disque vendu sur quatre était un vinyle. (© Valentin Després)

“Le dernier disque d’AC/DC est symptomatique d’une politique que nous regrettons. En fin d’année dernière, Sony a vendu tous ses stocks à la Fnac. L’album ne se trouvait donc nulle part ailleurs. Ce sont des pratiques anormales que rien ne vient encore réguler, contrairement au secteur du livre où des choses ont été faites pour qu’un produit soit disponible sur l’ensemble du territoire et des enseignes.”

La force des grandes surfaces réside dans leur capacité à commander de gros volumes de disques et à faire baisser les prix. “Ceux qui vendent du neuf vont être particulièrement sensibles à cette concurrence, explique le patron de Crocodisc. Les grosses machines peuvent être beaucoup plus rudes en négociation et vendre quasiment à prix coûtant. Il n’y a pas que pour les paquets de Petit Beurre ou le litre de lait que c’est la guerre ouverte. Les disquaires indépendants n’ont en revanche pas cette possibilité-là.”
Cette politique de gros volumes et de petits prix permet à la Fnac de régulièrement proposer des opérations vinyles à 10 euros. “Ils font peu d’argent avec le vinyle, ça devient un produit d’appel pour eux, au même titre que les piles, compare Julie David. Nous, c’est notre cœur de métier. Comment voulez-vous ensuite qu’on explique à nos clients que le prix d’un disque se situe plutôt aux alentours de 20 euros ? Ça perturbe la lisibilité des tarifs.”

Disquaires en ville et disquaires d’ailleurs

L’un des atouts majeurs de Crocodisc ? Sa localisation en plein cœur du Ve arrondissement de Paris. (© Valentin Després)

Le décès du CD

Comment les chiffres du vinyle peuvent-ils être aussi enthousiasmants sans que les disquaires n’en retirent un profit significatif ? Selon Maxime Barré, vendeur chez Born Bad Records dans le 11e arrondissement, l’explosion du vinyle est “un mythe qu’il faut déboulonner”.

“Pendant longtemps, il n’y avait presque plus de vinyles, alors forcément les chiffres augmentent à nouveau. Aujourd’hui, un artiste qui vend 3 000 copies d’un disque peut estimer qu’il a fait quelque chose d’incroyable alors que ça aurait été considéré comme un échec il y a vingt ans. Les ventes de musique physique actuelles sont tellement faibles que ça n’a pas de sens de parler de boom du vinyle.”

Bien souvent, on oublie de mentionner une autre tendance de consommation : la déchéance des ventes de CD. “Ce que les gens n’ont pas compris, c’est que la remontée du marché du vinyle ne remplacera pas la chute du marché du CD ! Le chiffre d’affaires du vinyle et les volumes écoulés sont très loin de ceux du CD. C’est ce qui prédominait dans la musique”, souligne la présidente du Gredin.
Les chiffres ne laissent effectivement aucune place au doute. En 2020, le chiffre d’affaires du vinyle a augmenté de 10 % pour atteindre 51 millions d’euros. Dans le même temps, celui du CD a dégringolé de plus de 27 % et est passé de 174 à 128 millions d’euros de chiffre d’affaires. Comme Crocodisc, qui écoule aujourd’hui 95 % de vinyles pour 5 % de CD (contre 40 % de vinyles et 60 % de CD dans les années 1990), certaines boutiques ont su s’adapter à ce bouleversement de la consommation musicale. Pour d’autres, le changement est plus compliqué.

Et la pandémie dans tout ça ?

Alléluia ! Depuis le mois de mars dernier, les disquaires sont considérés comme des “commerces essentiels”. (© Valentin Després)