AccueilPop culture

Kali Uchis : “Mon premier album est une ode à la libération”

Kali Uchis : “Mon premier album est une ode à la libération”

avatar

Par Naomi Clément

Publié le

Révélée en 2013 par Snoop Dogg, cette Américano-Colombienne de 23 ans est aujourd’hui considérée comme l’un des grands espoirs de la scène R’n’B. Attendue au tournant, elle s’apprête à dévoiler Isolation – l’un des disques les plus prometteurs de l’année.

À voir aussi sur Konbini

C’est dans un bâillement décomplexé que Kali Uchis décroche le téléphone, visiblement réveillée par mon appel matinal. “Ce décalage horaire fait vraiment mal !”, constate-t-elle dans un rire depuis Los Angeles. Il m’est impossible de connaître le détail de la tenue qu’elle porte alors, ni même l’endroit où elle se trouve précisément ; mais je ne peux m’empêcher de l’imaginer suspendue à l’autre bout du fil, lovée dans un canapé rose satiné, la chevelure couronnée d’un voile en tulle blanc et les ongles impeccablement peinturés, comme dans le clip de son titre “Only Girl”.

Même à des milliers de kilomètres, Kali Uchis a quelque chose d’infiniment captivant, d’ensorcelant. Un trait de caractère inné, irrépressible, sans doute hérité de sa grand-mère colombienne, exorciste de son vivant, et ayant appartenu à une communauté de brujas. Sa voix, douce et apaisée, résonne de la même exacte façon que sur Por Vida, l’EP qui l’a révélée en 2015, quelques mois après avoir été repérée par Snoop Dogg sur “On Edge”. De fait, notre conversation me plonge instantanément dans l’univers onirique et acidulé que cette Américano-Colombienne de 23 ans s’est bâti. Un cosmos parallèle, hors du temps, à mi-chemin entre la nostalgie romantique du passé et les lumières néonisées du futur ; entre les petites rues colorées de Pereira, sa ville natale, et les larges avenues bétonnées de la Cité des Anges, où elle réside désormais.

Avec lui, la jeune femme, qui a passé la plus grande partie de sa vie dans la banlieue de Washington DC, s’est imposée comme l’une des nouvelles prêtresses de la scène R’n’B américaine. Et pour cause : à la fois chanteuse, auteure, productrice, artiste visuel et styliste, Karly Loaiza de son vrai nom est parvenue à façonner un son et une esthétique reconnaissables entre tous. “C’est d’ailleurs pour cela que j’évite d’écouter trop d’artistes contemporains : dans le but de rester fidèle à moi-même, à mon univers”, confie celle dont l’iPod se cantonne aux chansons de Billie Holiday, Sade, Björk, April March ou Outkast. “J’ai trop peur d’être influencée.”

Dans les filets ensorcelants de Kali Uchis

Cet univers singulier, qui se caractérise en outre par une panoplie de vêtements confectionnés par ses soins (“Mon style est une extension de ma personnalité, il dit vraiment quelque chose de moi”, affirme notre chanteuse, qui customise ses vêtements depuis le CE1), est sans aucun doute ce qui lui a permis de devenir l’une des artistes les plus convoitées de ces deux dernières années, et ce aussi bien par des noms issus de la sphère hip-hop que par ceux baignant dans le monde de l’électronique ou du rock alternatif. Parmi lesquels Major Lazer avec qui elle donne vie au titre “Wave” en 2015 ; Gorillaz, qui la convie sur son album Humanz en 2017 ; mais aussi Kaytranada, Miguel, Daniel Caesar, Vince Staples ou encore Tyler, the Creator, l’un de ses plus fidèles collaborateurs.

Après une première union en 2015 sur l’ensoleillé “Perfect”, dixième piste de l’album Cherry Bomb, les deux comparses se retrouvent en 2017 sur “See You Again”, morceau phare du dernier opus du rappeur, Flower Boy. J’adore les collaborations, surtout quand elles se font avec des gens que j’aime, et que je respecte énormément en tant qu’artistes, commente-t-elle. En revanche, je dois dire que c’est assez dur pour moi de travailler avec d’autres auteurs… Si je n’ai pas moi-même écrit les paroles, je sais d’avance que ça sonnera faux, parce que ça ne viendra pas de moi. Et ça s’entendra sur le morceau. Et je n’aime pas ça.”

Le 12 janvier dernier, Kali Uchis dévoilait ainsi “After the Storm”, nouveau fruit de sa collaboration avec le père fondateur d’Odd Future, sur lequel on retrouvait également les Canadiens de BadBadNotGood, et la légende du funk Bootsy Collins (qui l’avait invitée sur son morceau “Worth My While” l’année dernière). Illustré par un clip aussi joyeux que délirant, que l’on doit à la talentueuse Nadia Lee Cohen, ce morceau délicat et optimiste, truffé de références au Flower Boy de Tyler, the Creator, est le dernier extrait en date de Isolation, le tout premier album de Kali Uchis, attendu au printemps.

Prôner la culture colombienne

Avant “After the Storm”, Kali Uchis avait dévoilé “Nuestro Planeta” et “Tyrant”, respectivement interprétés aux côtés du Colombien Reykon et de l’Anglaise Jorja Smith. Caractérisés par des productions lascives, ces deux titres revendiquent avec fierté les origines hispaniques de notre artiste, grâce notamment à des paroles chantées dans sa langue natale (Mira, mira, míralo. Papi está rico, papi está guapo”, “I disappear like El Chapo”, clame-t-elle dans “Tyrant”). Ce désir de s’exprimer en espagnol, qui fait de Kali Uchis l’une des rares artistes à avoir été nommée pour les Grammy Awards et les Latin Grammy Awards, est un moyen pour la jeune femme d’imposer son bagage culturel sur le devant de la scène américaine.

Aux côtés de Princess Nokia, Jessie Reyez ou encore Cardi B, elle fait ainsi partie de cette génération d’artistes désireuses de promouvoir la culture hispanique sur le territoire américain, mais aussi de représenter les femmes dans une industrie encore trop souvent dominée par les hommes. “Ce qui m’a encouragée à me lancer dans la musique, ce sont des personnes comme Gwen Stefani, Aaliyah, Kelis ou MIA : des femmes qui se sont placées hors des conventions, qui se permettaient de dire tout haut ce qu’elles pensaient tout bas, mais aussi de se vêtir comme bon leur semblait, avec des looks aussi bien ultra glamour que super garçon manqué”, relate-t-elle. Elle poursuit :

“Ces femmes-là ont revendiqué avec fierté leur côté sexy, sans pour autant dire : ‘Voilà mon cul, voilà mes seins, merci au revoir’, si tu vois ce que je veux dire. Elles ont assumé leur corps, autant que leurs idées. Et je les adore pour ça. Aujourd’hui, je crois que c’est à mon tour, et j’ai l’envie d’être là pour les prochaines générations de Colombiennes. C’est important pour moi, car je n’ai personnellement pas eu la chance de grandir avec des modèles de femmes d’origine hispanique.”

Un disque destiné aux personnes “malaimées et rejetées”

Créé dans le but de célébrer ses racines colombiennes, et les femmes dans toutes leurs différences, Isolation est aussi un moyen pour Kali Uchis d’exorciser ses vieux démons. Conçu comme “un journal intime”, il est le fruit d’un long processus cathartique, qui a permis à notre artiste de tirer un trait définitif sur les épreuves douloureuses qu’elle a traversées au cours de ces dernières années. “Cet album parle de mon passage à l’âge adulte, du fait d’apprendre à surmonter des périodes sentimentalement compliquées, et d’essayer de comprendre quelle est ma place dans ce monde”, décrypte-t-elle.

En filigrane, elle y raconte les épisodes d’une adolescence tourmentée, pendant laquelle elle a dû faire de sa Subaru Forester rouge flamboyante sa maison, son chez elle, après une dispute avec son père à l’âge de 17 ans qui l’a forcée à quitter le domicile familial. Elle y conte aussi, avec cette mélancolie qui la caractérise tant, ses déchirantes déceptions amoureuses, et son entrée précoce dans l’industrie musicale, qu’elle fait à 18 ans après la diffusion de sa première mixtape Drunken Babble, en 2011.

“En fait, ‘Tyrant’ est sans aucun doute l’un des titres le plus entraînants de l’album, puisqu’il parle simplement du fait de passer du bon temps entre amis, explique-t-elle. Les autres morceaux sont me semble-t-il un peu plus durs, car évoquant des sujets plus sérieux, plus graves… Même si elles abordent des thématiques assez différentes, toutes les chansons de mon album ont en commun cette idée de s’échapper d’une réalité douloureuse, de sortir d’un traumatisme passé, de retrouver sa puissance, et de reprendre le contrôle sur sa vie.” Elle conclut :

“Et bien que je ne rentre jamais dans le détail des situations que j’ai vécues à travers mes chansons, cet album permet malgré tout de ressentir ce que j’ai éprouvé, et je pense que beaucoup de gens pourront s’y retrouver, notamment ceux qui se sont déjà retrouvés malaimés, ou rejetés… et qui souhaitent renaître de leurs cendres. Mon premier album est une ode à la libération.”

Le premier album de Kali Uchis, Isolation, est attendu pour le printemps 2018. En attendant, la jeune femme sera de passage à Paris le vendredi 2 mars pour un concert unique à la Machine du Moulin Rouge.

À lire -> Konbini Radio : embarquez pour la planète Kali Uchis avec cette playlist ensoleillée