Johnny et le cinéma, une longue histoire d’amour

Johnny et le cinéma, une longue histoire d’amour

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Par Arthur Cios

Publié le

Le rockeur était aussi un acteur. En cinquante ans, il a tourné avec les plus grands.

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Pour beaucoup, Jean-Philippe Smet, qui nous a quittés dans la nuit du 5 au 6 décembre, restera à jamais le “Elvis français”, le roi des rockeurs français. Et c’est légitime. Mais il ne faudrait pas oublier que l’artiste a également carrière dans un autre art que la chanson, le septième en l’occurrence. Car Johnny Hallyday aimait profondément le cinéma et voulait depuis toujours jouer la comédie.

Avant d’avoir ce rêve, Jean-Philippe passait son temps dans les salles obscures et était un cinéphile passionné. Il aimait notamment les films noirs et les productions à grand spectacle. Dans une interview de 1985 que Télérama a sortie de ses archives, le chanteur raconte sa relation avec le cinéma en ces termes :

“J’ai commencé à aller au cinéma très jeune. J’ai été élevé par des gens de music-hall, des danseurs, qui adoraient cela. Et puis, à cause des tournées, on ne restait jamais longtemps dans la même ville. J’ai donc eu une enfance assez solitaire, je n’avais pas de copains. Ma seule façon de m’évader, c’était le cinéma.

J’ai vu des films interdits aux moins de 13 ans alors que j’avais 8 ans : comme j’étais assez grand, on pouvait frauder devant le guichet. Aujourd’hui encore, quand j’ai un problème, je rentre dans une salle de cinéma pour tout oublier.”

Le cinéphile musicien passant devant la caméra

Quand on commence à l’entendre sur les ondes à l’aube des années 1960 et que ses disques commencent à s’écouler, les grands studios pensent rapidement à lui. Une aubaine pour “l’idole des jeunes” qui, au tout départ, ne voulait pas se lancer dans la chanson mais bien dans le septième art. Toujours dans cette interview de Télérama, il explique :

“Je faisais de la musique parce que j’adorais cela. J’avais fondé un orchestre avec des copains […] mais je prenais des cours au Centre d’art dramatique de la rue Blanche, avec Mary Marquet [une figure de la Comédie-Française, ndlr]. Cela me coûtait cher, et comme je n’étais pas très fortuné à cette époque-là, je travaillais le samedi soir et le dimanche après-midi au dancing du Moulin Rouge.

Un jour, on m’a proposé un contrat pour faire mon premier disque. Mais je ne pensais absolument pas faire une carrière de chanteur. Je voulais être comédien. Par la suite, cela a tellement bien marché que j’ai arrêté les cours… mais au départ, c’est un accident.”

S’il joue en 1954 dans Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot, alors qu’il a tout juste 11 ans, sa scène est coupée au montage et il n’apparaît finalement pas à l’écran. C’est en 1962 qu’on le voit pour la première fois au cinéma, devant la caméra de Marc Allégret pour le sketch “Sophie” dans Les Parisiennes. Il y campe Jean, un jeune guitariste qui voit débarquer à l’improviste une lycéenne (Catherine Deneuve) qu’il séduit en fredonnant “Retiens la nuit”, son tube de l’époque, extrait de son deuxième album Salut les copains, sorti l’année précédente.

Il enchaîne en 1963 avec D’où viens-tu Johnny ? de Noël Howard, une sorte de western moderne à la française où il joue un jeune rockeur. Après cette initiation ne passant qu’à travers le chant, il ne récolte, comme son confrère Presley outre-Atlantique, que des rôles de musiciens pendant un temps, avant de tourner dans quelques navets. En 2009, Johnny confie d’ailleurs au Monde 2 :

“La carrière d’Elvis au cinéma ressemble à mes débuts. On ne me confiait que des merdes […] Elvis restait un rocker aux États-Unis, comme moi en France.”

Il passe par le western spaghetti italien (Le Spécialiste) ou le policier (Point de chute) avant d’aller à Cannes en 1972 pour L’aventure c’est l’aventure, film un peu méta de Claude Lelouch où Johnny Hallyday organise son propre kidnapping à des fins politiques.

Il refuse ensuite tous les rôles ou presque, à la recherche de quelque chose de mieux écrit, de mieux construit. Il ne veut plus de cette image du rockeur acteur, il veut revenir avec un film décisif. “J’ai décidé que ce serait Godard ou Pialat” expliquait-il à Télérama.

Une carrière en dents de scie mais marquante

Vœu exaucé en 1985 avec Détective de Godard. Il y joue un organisateur de combat de boxe qui galère. Sa prestation est saluée, relance la machine et lui permet de travailler sur Conseil de famille de Costa-Gavras. Cependant, ces deux succès ne permettent pas à Johnny d’avoir accès à des rôles convaincants. Il enchaîne les ratés et décide de remettre sa carrière d’acteur en pause à partir de 1991. Une parenthèse qui durera presque dix ans.

Entre un film policier (L’Homme du train de Patrice Leconte en 2002 avec Jean Rochefort) et des longs familiaux, on lui propose des rôles liés à sa carrière ou sa position dans la culture française. Il joue un chanteur fatigué dans Love Me (1999) de Laëtitia Masson et son propre rôle à l’occasion d’un caméo dans Mischka (2002) de Jean-François Stévenin. Surtout, on pense à Jean-Philippe, film méta à souhait sorti en 2006 où Fabrice Luchini joue un fan ultime du rockeur qui se réveille dans un monde parallèle où Jean-Philippe Smet n’est jamais devenu notre Johnny national.

Si sa carrière ciné est quelque peu en dents de scie, cela n’entache pas l’héritage monstre de Johnny. Avec 25 films au compteur, dont certains signés de Claude Lelouch, Jean-Luc Godard, Costa-Gavras, Patrice Leconte et plus récemment Guillaume Canet, et ayant tourné avec Catherine Deneuve, Sylvie Vartan, Lino Ventura, Jacques Brel, Nathalie Baye, Jean Rochefort, Gérard Depardieu, Harvey Keitel, Jean Reno et tant d’autres, Johnny a vécu une longue et belle histoire d’amour avec le cinéma, marquant indéniablement l’esprit des cinéphiles et des Français.