Interview : Tech N9ne, l’empereur du rap US indépendant

Interview : Tech N9ne, l’empereur du rap US indépendant

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Facebook : Tech N9ne / Strange Music

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Par Jérémie Léger

Publié le

Tech N9ne, fondateur de Strange Music, se confie pour la première fois en France.

(© Facebook/Tech N9ne)

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Il est le symbole de la réussite en indépendance. Avec plus de vingt ans de carrière à son actif, Tech N9ne illustre de la plus belle des manières l’“american dream”. Seul, armé d’un univers musical atypique et d’une technique au micro à couper le souffle, il a cultivé sa différence et est désormais à la tête du plus grand label indépendant du rap US et même du monde, Strange Music.

Mais qui dit “empire” dit “armée”. Le rappeur originaire de Kansas City travaille avec une flopée d’artistes : Krizz Kaliko, ¡Mayday!, Big Scoob, Prozak… Des artistes certes peu connus mais talentueux qui, à leur manière, apportent leur pierre à l’édifice Strange Music.

Adepte de la stratégie “soft power”, Tech N9ne a conquis les États-Unis et est aujourd’hui l’un des MC’s les plus respectés outre-Atlantique. Pourtant, son univers dark et éclectique et son fast flow ont toujours eu du mal à traverser les frontières de l’Europe, et de la France en particulier. Peu connu dans nos contrées, cela ne l’empêche pas d’y avoir une fanbase solide de “Technicians”, comme il aime à nommer ses soldats.

En tout cas, ils sont assez pour donner envie au rappeur de faire trois dates dans nos contrées – à Paris, Lyon et Marseille. C’est dans la cité phocéenne, après son show, que nous avons eu le privilège d’échanger avec la légende de Kansas City. L’occasion pour nous de revenir sur son empire musical, sa vision de la musique, le secret de sa longévité ou encore son avenir après vingt ans de surproductivité.

Konbini | Ça fait 20 ans cette année que tu as fondé Strange Music avec ton mentor Travis O’Guin. C’était quoi l’idée ? 

Tech N9ne | L’idée, c’était de décoller et de reprendre le flambeau de Jim Morrison. Il est mort l’année de ma naissance [en 1971, ndlr]. Il est enterré à Paris et je vais profiter de mon passage en France pour aller lui rendre hommage et le remercier de m’avoir inspiré. Sans les portes qu’il a ouvertes, je n’aurais jamais pris le nom “Strange” pour mon label.

En fondant Strange Music, j’ai voulu suivre sa trace : c’est une légende et il était capable de faire de la musique en groupe. J’ai pu le faire car je suis respecté dans le monde du rap. L’idée était donc de prendre son esprit “strange” et de l’emmener au niveau supérieur. 

Avec Krizz Kaliko, ¡Mayday!, Big Scoob et d’anciens membres du label comme Jay Rock ou Rittz, tu as créé un véritable empire musical. Vingt ans plus tard, Strange Music brille plus que jamais et ne cesse de grandir. Quel regard portes-tu sur ta réussite ?

Je suis reconnaissant de tous les progrès qu’on a faits au fil des années, mais je veux toujours plus. Nous sommes des éternels insatisfaits, nous voulons toujours nous rendre là où nous ne sommes pas encore allés. Par exemple, aujourd’hui, c’est un grand jour : c’est la première fois que je viens à Marseille et je me fixe déjà comme objectif de revenir.

Nous voulons continuer à étendre l’aura de Strange Music partout dans le monde. Vingt ans plus tard, c’est ce que nous faisons : on s’étend et ce n’est pas près de s’arrêter.

Quel est le secret de la longévité de Strange Music ?

Mon secret, c’est de regarder ma vie et d’apprendre à mesure que le temps passe. Apprendre aussi bien dans les bons que dans les mauvais moments. Tout ce que je vis, je l’écris, tu vois ce que je veux dire ? Je suis toujours animé par cette volonté de m’améliorer dans mon écriture et ma manière de raconter les choses. Le secret de la longévité, c’est de ne pas rester cantonné à une vision unique de la musique.

“Si tu fais la même chose que tout le monde, tu disparais très vite.”

Justement, c’est ce que tu as toujours fait. Ton hip-hop, c’est un mélange de beaucoup de styles musicaux différents…

Tout à fait, je ne me suis jamais mis de limites. Je peux faire du hip-hop, du métal, du R’n’B et même du gospel. Sur Strange Music, on peut tout faire. Avant, on faisait même de la country. Je veux dire, nous sommes des musiciens avant tout et nous le serons pour l’éternité.

En vingt ans de carrière, tu cumules 19 albums studio, trois compilations, sept EP, une mixtape et cinq BO, soit 35 projets hors singles. Ça représente presque deux projets par an, c’est fou ! Comment fais-tu pour être aussi efficace ?

Merci du compliment ! En fait, je suis très observateur, je fais attention à ce qu’il se passe autour du monde. J’achète énormément de disques différents, d’Eminem à Travis Scott en passant par Rick Ross. J’écoute tout et, surtout, je ne fais jamais la même chose. Je fais les choses à ma façon, tu vois ce que je veux dire ? Si tu fais la même chose que tout le monde, tu disparais très vite.

Je fais aussi très attention aux beats, à comment les instrus évoluent avec le temps. Je m’adapte tout en restant fidèle à moi-même et à ce que je fais. Je fais aussi très attention à mon style. Tous ces éléments cumulés et mis ensemble, c’est ça ma formule.

L’une de tes forces, c’est de collaborer avec énormément d’artistes différents et de toutes les générations. Comment tu les choisis ? Tu fonctionnes au feeling ?

Oui. C’est l’instru qui va me dire quel artiste je souhaite entendre avec moi sur un morceau. Quand j’ai entendu l’instru de “Shiracha” par exemple, j’ai su immédiatement que Logic serait parfait dessus. Après quoi, j’ai fait écouter le truc à Joyner Lucas, il a kiffé et a posé son couplet. Pareil pour “Speedom” : quand j’ai entendu l’instru, je savais qu’elle serait pour moi, Eminem et Krizz Kaliko. L’instru me dit tout.

“Rencontrer le public, être capable de performer pour lui et d’être en fusion avec les gens, c’est la base pour moi.”

Ton label est un vivier d’artistes très différents. Cela dit, j’imagine que ce n’est pas la porte ouverte à tout le monde. Qu’attends-tu d’un artiste quand tu le signes sur Strange Music ?

J’attends de lui qu’il soit au top sur les lyrics et qu’il cherche toujours à s’améliorer. Ce qui est très important aussi, c’est qu’il soit capable d’avoir la même énergie en studio que sur scène. Rencontrer le public, être capable de performer pour lui et d’être en fusion avec les gens.

La priorité pour nous, c’est de faire un show énorme à chaque fois et de donner envie aux gens de revenir, comme je l’espère tu auras envie de revenir une deuxième fois. J’attends de mes artistes qu’ils apportent tout ça à la fois.

Tu es l’artiste avec le plus grand nombre d’albums à avoir figuré dans le top 10 des charts hip-hop du Billboard. C’est une revanche pour celui qui a toujours scandé “fuck the industry” ?

Oui, c’est une sorte de revanche contre l’industrie et tous ceux qui n’ont pas cru en moi à l’époque. C’est totalement fou et je ne m’y attendais vraiment pas. D’ailleurs, je pensais que Gucci Mane et E-40 en avaient plus que moi, mais je suppose que je suis le plus cohérent. Je suis vraiment fier de ce record.

Peux-tu m’en dire plus sur tes projets à venir ? Avec un rythme d’une sortie par an voire plus, je suis sûr que tu as de gros projets dans les placards…

Oui. Entre les concerts, je suis en studio pour bosser sur mon nouvel album, N9na. J’ai beaucoup enregistré en Europe. Il y a déjà six morceaux de sortis. J’en dirai plus très vite. Après N9na, je compte me mettre à bosser sur un album de métal avec Krizz Kaliko et notre groupe K.A.B.O.S.H. [qui comprend Tech N9ne, Krizz Kaliko et le live band Dirty Wormz, ndlr].

Autre raison de ton succès : tu es très proche de ton public. Tu as une fanbase fidèle partout dans le monde, les Technicians. Y a-t-il quelque chose que tu souhaites dire à ton public ?

Je voudrais dire aux Technicians partout dans le monde que nous ne formons qu’une seule entité. À tous je veux rappeler que, même si nous parlons des langues différentes, que nous avons des croyances religieuses différentes, nous sommes ensemble et ne faisons qu’un avec Strange Music.

Partout dans le monde, nous sommes des “Riot Maker”. Partout dans le monde, nous sommes des “Worldwide Choppers”, des “Speedom”… C’est quelque chose de magnifique et je vous en remercie.

On se quitte sur le serment des Technicians ?

C’est parti :

“Ensemble, nous formons une puissante force, nous ne faisons qu’un, un esprit, un corps et une âme. Ne laissez entrer aucun mal qui tenterait de nous diviser ou de compromettre nos croyances. Et avec cet amour, combiné à notre force, nous repoussons la douleur et le stress. Technician, je le suis de tout cœur à la vie à la mort.”