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Levitation : le festival de musique psychédélique qui ne s’arrête pas au rock

Levitation : le festival de musique psychédélique qui ne s’arrête pas au rock

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Par Théo Chapuis

Publié le

Quatrième édition pour le Levitation Festival d’Angers, un festival psychédélique, mais pas que ! Entretien avec son fondateur Rob Fitzpatrick pour mieux capter ce que “psyché” signifie, 50 ans après l’invention du terme.

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Si je vous dis “Angers”, il y a peu de chances que vous me répondiez “festival”. Et pourtant, cela pourrait changer : pour la quatrième année consécutive, la préfecture du Mainte-et-Loire accueille la version française du Levitation Festival, the place to be pour les amateurs de musique(s) psychédélique(s) de l’Hexagone.

Le week-end des 16 et 17 septembre, Angers vibrera aux rythmes tantôt lascifs, tantôt frénétiques d’une armée de musiciens prêts à défendre une certaine vision du psychédélisme, un mouvement qui est loin d’avoir disparu avec les hippies. La fureur garage de The Oh Sees, la fibre rétro des Limiñanas, les riffs rugissants de Yak, mais aussi Dead Meadow, Sunflower Bean, Peter Kember alias Sonic Boom, Föllakzoid, ainsi que Silver Apples duo adulé par Animal Collective et Portishead, entre autres… Eh oui, les temps changent : si “Angers” rime avec “psyché”, la musique qui dégoulinera des amplis pendant 48 heures n’a rien à voir avec la cassette compilation “rock psychédélique” que votre père mettait dans la voiture quand vous étiez petits.

Mais que signifie le psychédélisme à la sauce 2016 ? Rob Fitzpatrick nous semblait le mieux placé pour y répondre. Ami proche des Black Angels qu’il a rencontrés au lycée, il est surtout célèbre pour être le cofondateur du Levitation Festival originel à Austin, Texas (qu’on appelle aussi “Austin Psych Fest”). Aujourd’hui habitant de Porto Rico, il gère “le booking, l’organisation, le budget, la direction artistique et bien plus” du festival. “Presque un travail à temps complet”, ajoute-t-il.

Par-dessus tout, c’est lui qui a parié sur une première délocalisation de la formule magique à Angers – avant que l’esprit Levitation n’imprègne également d’autres villes comme Chicago et Vancouver.

Mais au fait, comment devient-on le boss de l’événement qui fait référence en matière de musiques psychédéliques ? Avant de répondre à nos questions, Rob Fitzpatrick se présente en quelques mots :

“Je me souviens d’avoir découvert les disques de mes parents, une jolie petite collection qu’ils avaient gardée des années 1960-1970. En grandissant, j’ai écouté toute une gamme de musique : absolument tout, depuis le punk jusqu’au hip-hop, de l’indie au reggae — j’écoutais tout ça à la fois. Mais j’ai vraiment pris la musique au sérieux à partir de la fac. [Les Black Angels] se sont formés et ils ont tout de suite créé de la musique très intéressante. J’ai alors senti que quelque chose de grand allait bientôt se produire et je voulais y participer. C’est là qu’on a eu l’idée du festival : j’étais là, prêt à aider. C’est mon métier désormais.”

Konbini | Lorsque François Delaunay, directeur de la salle du Chabada à Angers vous a parlé de créer un Levitation Festival dans sa ville, qu’avez-vous pensé tout d’abord ?

Rob Fitzpatrick | François nous a approchés avec cette idée en 2011, pendant le festival SXSW. Nous avions créé l’Austin Psych Fest en 2008 et pas mal de groupes nous contactaient pour créer des événements ensemble à l’étranger. Alors que notre festival commençait à être connu dans le monde entier, nous n’étions qu’une petite équipe et il ne nous était pas toujours possible de tout faire, même lorsqu’arrivait une bonne idée. Alors au début on était sceptiques mais en y regardant de plus près, ça semblait logique d’essayer. En 2013, nous avons organisé le premier Levitation France. Avoir travaillé avec François, Doudou [Christophe Davy, directeur de Radical Productions, ndlr] et l’équipe d’Angers a été une expérience hyper enrichissante.

Pourquoi le premier essai de délocalisation du festival a-t-il eu lieu en France plutôt qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne ?

Nous avons simplement été approchés par les bonnes personnes en France. Cela aurait tout aussi bien pu se passer à Berlin ou à Londres. Au Royaume-Uni, il y a un très bon festival dédié au psychédélisme et d’autres très bons événements qui programment une palette de musique similaire éclosent partout en Europe. Si le Royaume-Uni a tant de choses en commun musicalement avec les États-Unis, je pense que c’est surtout dû au partage de la langue.

Mais il y a tout de même trois points qui ont influencé notre décision de faire atterrir le Levitation à Angers :

  • En regardant de plus près l’origine de l’achat des tickets vendus au Levitation d’Austin, celle des visites sur le site web et les statistiques des réseaux sociaux, c’était tout de suite assez visible qu’il y avait un marché en France.
  • Les Black Angels ont toujours passé du bon temps lorsqu’ils tournaient en France, alors Christian [Bland, guitare] et Alex [Maas, chant] sentaient que c’était un bon choix géographique à partir de leur expérience — moi, je n’avais encore jamais visité la France.
  • Par-dessus tout, nous avons été impressionnés par l’équipe d’Angers et ses propositions. Nous avons alors décidé que ça valait le coup… et on a bien fait !

À part Melody’s Echo Chamber, que vous avez fait jouer l’an dernier, écoutez-vous des artistes français ? Connaissez-vous des groupes psychés made in France ?

Bien sûr. Des groupes assez récents comme La Femme (qu’on a fait jouer il y a deux ans) et Feu! Chatterton m’intéressent beaucoup. J’ai déjà vu La Femme sur scène à Los Angeles, c’est super de voir un groupe réussir à échapper à la barrière du langage et gagner un peu de succès aux États-Unis. À Austin, en 2014, le public était complètement fou lorsqu’on les a fait jouer ! Sinon, nous avons fait jouer un paquet d’excellents artistes français à Austin et en France  : Zombie Zombie, Wall of Death, Blondi’s Salvation… Il y a beaucoup de bons groupes en France.

Si on regarde en arrière, on tombe aussi sur Magma et Gong, qui sont connus pour avoir légué une contribution considérable à la musique psyché de cette période. En regardant mes disques, je tombe aussi sur Yann Tiersen, Air, M83 et DJ Cam, qui partagent tous des éléments de la musique psychédélique.

Donc oui, j’écoute un peu de musique française. D’ailleurs, j’adore le son de la langue française : c’est une langue très musicale, fluide et très jolie. Je sais qu’il y a beaucoup de musique française que je ne connais pas mais qui mérite d’être écoutée… J’aimerais approfondir mes connaissances !

Parfois, on parle de “culture psychédélique”. Pensez-vous qu’en plus de la musique psyché, il y ait aussi de la littérature psyché, du cinéma psyché, de la peinture psyché ?

Absolument, tous ces supports peuvent s’avérer psychédéliques, parce qu’on découvre alors une interprétation d’une expérience psychédélique, du surréaliste, de la conscience altérée… Il y a des références évidentes dans toutes ces formes d’art. Cinéma : Alejandro Jodorowsky. Littérature : Aldous Huxley. Peinture : Salvador Dalí, évidemment.

Bien sûr, Levitation n’est pas uniquement un rendez-vous de rock psyché. Qu’est-ce qui lie tous les artistes de la programmation entre eux ?

Déjà, nous avons commencé par très vite changer le nom “Austin Psych Fest” en “Levitation” : tout d’abord parce qu’il y a énormément de “psych fests” de par le monde ; mais aussi parce que même si nous nous concentrons essentiellement sur le psychédélisme et le rock psychédélique, nous ne voulons ni nous contraindre, ni fermer notre programmation à ce que les gens appellent “psyché”.

Notre seul critère, c’est que nous aimons la musique. Nous sommes quatre fondateurs partenaires de cet événement et lorsque je fais la programmation, je m’assure de sélectionner des artistes que nous aimons tous. Si l’un d’entre nous n’est pas d’accord, c’est suffisant pour que ça ne se fasse pas.

Justement, qu’englobe le terme “musique psychédélique” aujourd’hui ?

Tout d’abord, il y a tellement de bons groupes aujourd’hui. Ça fait longtemps que j’écoute du rock psychédélique et je peux te dire qu’il faut être vraiment bon pour se démarquer. Mais il y en aura toujours assez pour nos concerts : regarde Dungen, qui a vraiment perfectionné le son pour lequel Tame Impala est devenu aussi célèbre – mais qui l’a fait 10 ans plus tôt, même si eux-mêmes l’empruntaient aux artistes du passé !

Tu vois, au lieu de booker un line-up entier uniquement constitué de rock psychédélique, ce qui pourrait être un peu ennuyeux, nous essayons d’ouvrir un peu notre sélection. Avec nos choix artistiques, on répond aux attentes de ceux qui nous connaissent comme les organisateurs d’un “psych fest”, mais nous montrons également d’autres genres musicaux qui nous semblent dignes d’intérêt. Parfois c’est carrément inattendu. Le but du jeu, c’est de réussir un bon équilibre entre des choses traditionnellement rock avec d’autres qui ne le sont pas – parfois c’est électronique, parfois c’est expérimental, etc. On aime équilibrer quelque chose d’agressif, de lourd, avec quelque chose d’éthéré et d’aérien.

Afin d’illustrer cette diversité, pouvez-vous nous présenter trois artistes de la programmation du Levitation 2016 ?

Voici trois artistes à qui les festivaliers devraient, à mon avis, porter une certaine attention :

Sonic Boom (Royaume-Uni)

Il y a Sonic Boom, [de son vrai nom Peter Kember, ndlr] reconnu pour son travail avec Spacemen 3, (le groupe super influent fondé avec Jason Pierce des Spiritualized). Il a sorti des disques phénoménaux avec ses autres groupes, comme Spectrum et E.A.R. (Experimental Audio Research), et a également produit des albums de MGMT, Panda Bear, et bien d’autres. Le son bien caractéristique de Peter Kember a inspiré d’innombrables artistes. Nous sommes très enthousiastes à l’idée d’accueillir une des figures les plus importantes de la musique psychédélique au Levitation France, où il assurera un set très spécial en tant que Sonic Boom, mais aussi Spectrum. Il sera rejoint par Zombie Zombie, duo électro dont fait partie le français Étienne Jamuet, pour un hommage au compositeur minimaliste américain, La Monte Young. Ce sera une chance de voir, en France, une performance rare d’un grand architecte de la musique psyché.

Silver Apples (New York)

Les Silver Apples font partie de la première vague du psychédélisme et sont des pionniers dans l’utilisation des techniques de la musique dans le rock psyché en 1967. Le groupe était bien en avance sur son temps et bien qu’il n’ait pas bénéficié de la reconnaissance qu’il méritait à son époque, son influence sur la musique électronique et expérimentale ne peut être minimisée. Si vous écoutez un morceau comme “Oscillations” ou n’importe quoi d’autres issus de leur deux premiers albums, c’est difficile de se dire qu’ils datent de la fin des années 1960. Ça sonne frais, futuriste, même en 2016. Simeon Coxe III (fondateur de Silver Apples) a maintenant dans les 70 ans. Il a tourné dans le monde entier, apportant avec lui son synthétiseur unique en son genre. C’est une occasion exceptionnelle de voir, en chair et en os, un vrai avant-gardiste de la musique jouer une musique qui ne ressemble à aucune autre, encore aujourd’hui.

Föllakzoid (Chili)

Originaire de Santiago, capitale du Chili, le groupe Föllakzoid apporte un son cosmique venu d’un autre monde au Levitation France. Les rythmes palpitants font penser aux explorations soniques de Can, et d’autres artistes classiques de krautrock. Mais il y a une transe dans leur musique, quelque chose de sombre, pas dans le sens lugubre, mais profond comme dans les entrailles de l’espace. Les groupes comme Föllakzoid sont pionniers d’un nouveau son à la frontière du psychédélisme, qui s’étend au-delà des chemins tracés en premier lieu par Silver Apples et Sonic Boom. Le set de Föllakzoid du Levitation à Austin, l’an dernier, a beaucoup fait parlé de lui. C’est une performance à ne pas rater en France.

Découvrez le Levitation Festival sur son site Internet.

Article écrit en collaboration avec Juliette Geenens