On a longuement discuté avec la légende Busta Flex pour les 20 ans de son premier album

On a longuement discuté avec la légende Busta Flex pour les 20 ans de son premier album

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Par Brice Miclet

Publié le

Le légendaire Busta Flex est de retour.

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En 1998, Busta Flex marquait profondément le rap français en sortant son premier album, Busta Flex, contenant notamment le titre “J’fais mon job à plein temps”. Après deux autres classiques, une réputation de freestyleur hors pair et une traversée du désert, il revient en 2018 avec une série de concerts et une réédition anniversaire.

Konbini| Cela fait vingt ans que ton premier album est sorti. C’est un classique, sur lequel on peut notamment entendre ta grande qualité de freestyleur. C’est d’ailleurs dans ce milieu du freestyle que tu as débuté…

Busta Flex | Ouais, j’avais environ 15 ou 16 ans, je rappais dans ma cité d’Epinay depuis mes 13 ans. Un peu plus tard, j’ai commencé à aller sur Paris, à avoir quelques contacts, jusqu’à mes 17 ou 18 ans. J’étais beaucoup à Châtelet, je traînais, étais dans la vibe, faisais des freestyles, des soirées… Je me formais, en fait. Mais il n’y avait pas d’étiquette “freestyle”.

L’impro et les freestyles, c’est une autre discipline. Pour moi, ça faisait partie de la panoplie élémentaire du rappeur et du hip-hop. Quand j’ai écouté du rap français pour la première fois, c’était sur une K7 de radio Nova que mon frère m’avait ramenée, une émission de Dee Nasty avec Lionel D, Rico, Puppa Leslie… Pendant leurs freestyles, ils improvisaient, je me suis dit que s’ils le faisaient, tout le monde le faisait et que c’était normal.

Ça n’était pas indispensable de passer par là ?

Pas du tout. Mais pour moi ça a été un plus. C’est une sorte d’étiquette qu’on m’a mise, et à chaque fois que j’allais en radio, où je pouvais faire des freestyles, ou que j’allais en soirée où il y avait un micro, j’en profitais pour le prendre. C’est ce que les gens retenaient de moi.

Ça se passait où ?

Principalement au Divan du monde. On s’est boité sa race là-bas [rires]… Je sortais beaucoup avec mon grand frère, avec qui j’avais un groupe. On a aussi squatté le Folie’s Pigalle, le Néo à Châtelet, le Slow Club, le Globo bien sûr… Les Bains Douches, on n’avait pas le droit d’y entrer. À chaque fois on se faisait recaler, impossible d’aller rapper là-bas.

Pourtant, c’est mythique pour le rap là-bas…

Clairement, mais je ne sais pas, ça ne fait pas partie de mon histoire. Une fois, il y avait carrément une soirée programmée pour notre groupe avec mon frère, mais on n’a pas rappé parce qu’on s’est embrouillés avec les gars à l’entrée [rires].

Ça a aussi développé ton côté kicker studio ?

À fond. Je parle des soirées, mais j’ai aussi beaucoup squatté les radios comme Générations. Avant qu’elle soit à Paris, les locaux étaient à Ivry, dans l’hôpital gériatrique Charles Foix. Toute la journée, il y avait du classique et du jazz, mais vers 17 heures, on pouvait mettre du rap, et c’était diffusé en Île-de-France. Il fallait s’imposer, se faire un nom, donc dès que je pouvais, j’y allais, seul ou avec mon frère.

À cette époque-là, Cut Killer met la main sur toi, c’est bien ça ?

Il ne met pas vraiment la main sur moi, mais c’est lui qui me donne ma plus grosse chance. Il connaissait le gars qui s’occupait de moi, qui nous trouvait des plans, et quand il a décidé de faire sa première K7 de freestyles, on s’est retrouvés dessus avec mon frère. Comme le feeling était bon, lorsque Cut Killer a fait sa compilation Hip-hop Soul Party, il m’a recontacté.

Et ensuite, tu rencontres le rappeur Lone…

Oui, à ce moment-là, il préparait son album solo. Il m’a dit : “Il me manque un titre, je voudrais un nouveau rappeur pour compléter.” C’était pour un huit mesures, quelque chose de très court. Donc je vais au studio vers Filles du Calvaire. Ça se passe bien, il apprécie ce que je fais, et il me dit : “Demain, je suis encore en studio, est-ce que tu veux revenir faire un autre feat ?”

À chaque fois il me faisait le coup, et au final je me suis retrouvé sur sept morceaux de son album. Ce n’était pas prévu. J’étais amateur, débutant, et lui était signé chez Barclay. On faisait la promo ensemble, et il a décidé de me produire avec le gars qui s’occupait de moi. Ils ont monté La Sauce Productions. On a commencé par un premier maxi-vinyle de quatre titres, Kick avec mes Nike, en 3 000 exemplaires.

Il n’a jamais été réédité ?

Jamais. L’autre jour, je l’ai vu sur eBay à 275 euros. On a loué un Chrysler Voyager pour faire le tour de la France et aller mettre les exemplaires en dépôt chez les disquaires. Donc les mecs t’en prennent trois, et ils t’envoient un chèque.

Ouais, mais les invendus, fallait aller les récupérer non ? Ce n’était pas galère ?

Mais on a tout vendu ! Y’avait plus rien à récupérer !

Il y a ensuite eu ton morceau “Le Zedou”, sur la compilation “L412n”, un classique… C’est là que Kool Shen t’approche ?

Voilà, je le rencontre chez Sony. En sortant d’un rendez-vous là-bas, j’entre dans l’ascenseur et je tombe sur lui par hasard. Il me reconnaît, je ne sais pas trop comment… Il me dit : “Tu as cinq minutes ? Je voudrais parler avec toi.” On monte dans un bureau, et il me sort : “Bon, je vois que tu as du buzz, qu’il y a des maisons de disques qui sont intéressées pour te signer, mais moi j’aimerais bien réaliser ton album.” Comme ça.

Évidemment, j’ai accepté [rires]. J’ai choisi Warner comme maison de disques parce qu’ils n’avaient pas de rappeur à l’époque. Ils ont mis le paquet sur moi pour ça. Je signe en juillet 1997 et l’album sort le 3 février 1998.

Que t’a apporté Kool Shen ?

Il m’a canalisé, il m’a professionnalisé. Comment on construit une chanson, comment on travaille en studio… Je ne savais rien, je faisais tout de manière spontanée, en autodidacte. Lui avait déjà sorti trois albums avec NTM, et moi j’avais 19 ans, tu vois le délire ? Même si, aujourd’hui, quand je réécoute l’album, j’entends des choses qui ne sont pas très en place, ça va avec l’époque, il a ce côté brut de ouf que j’adore.

C’était un travail fusionnel, vous passiez beaucoup de temps ensemble ?

Ouais, j’allais tout le temps chez lui pour travailler. Il était à Saint-Denis et moi juste à côté, à Epinay. Parfois on bossait, et je dormais dans son appart. Dès que j’écrivais un truc, soit je l’appelais, soit j’allais chez lui. On a tout préparé comme ça avant de rentrer en studio.

Comment est né le morceau “J’fais mon job à plein temps” ?

C’est marrant parce que ça a été le dernier morceau de l’album à être enregistré. Un matin, j’étais en studio avec Kool Shen, et Zoxea débarque pour nous faire écouter une de ses instrus. On pète un câble. Je n’avais pas ça, ce type de boucle… Et c’était parfait parce qu’il ne me manquait plus qu’un morceau pour finir l’album. J’étais tellement à fond que j’ai écrit le texte tout de suite.

Finalement, c’est un peu la synthèse de tout ce que j’avais pu faire en studio les semaines précédentes, c’est pour ça qu’il ne ressemble pas aux autres titres. Quand les gens de la maison de disques sont venus l’écouter le soir, ils ont dit qu’il fallait que ce soit le single, qu’il n’y avait pas de débat. J’aime bien cette histoire parce que ça prouve à quel point tu peux être créatif quand tu es spontané dans la musique.

L’album est disque d’or, c’est un carton… Comment parviens-tu à te conditionner pour le deuxième ?

Il y avait beaucoup de pression. Je faisais les premières parties de NTM, il y avait beaucoup de choses mises place autour de moi. J’avais entendu pas mal de gens dire que je n’avais pas de texte, que je n’étais qu’un freestyleur… J’aurais du être au-dessus de ça vu le succès de l’album, mais ça m’avait piqué. Je voulais prouver le contraire.

Résultat, Sexe, violence, rap et flooze est beaucoup plus dark…

Grave, sur le premier je pose en rouge et, sur le deuxième, je suis en noir, je transpire, avec ce titre écrit en gros…

Avant ce deuxième album, vous créez le collectif IV My People avec Kool Shen et Zoxea, mais tu quittes l’aventure au bout d’un an seulement… Pourquoi ?

J’avais envie de faire mes trucs tout seul. J’avais toujours été en équipe auparavant, et je sentais que je n’existais pas assez par moi-même. Puisque j’étais signé en maison de disques et que j’avais un contrat, je savais que ça n’était pas parce que je quittais IV My People que ma carrière allait s’arrêter.

Ça n’a pas créé de tension ?

Un petit peu. Ils étaient très déçus, c’est normal. On avait construit quelque chose de fort. Peut-être aussi que j’ai flippé, que j’avais du mal à assumer tout ça…

En 2002, tu participes aussi au premier Urban Peace, grand-messe du rap français au Stade de France avec Kery James, JoeyStarr, Nèg’ Marrons, 113, Fonky Family, Ärsenik, Sniper, Oxmo Puccino, Disiz La Peste, Lord Kossity, 3e Œil… Comment as-tu vécu ce concert ?

Comme une récompense. Mon concert est sorti du lot, était sur le CD et sur le DVD. On a tous reçu un DVD d’or d’ailleurs, tellement les ventes ont été énormes. C’était le premier concert de hip-hop au Stade de France avec toutes les stars du rap français du moment. Mon titre “Nuff Respect” avait un gros succès à ce moment-là, et le jouer devant 80 000 personnes, c’était juste incroyable.

Et l’ambiance en coulisses ?

Bah, l’ambiance était bonne puisque chacun était dans ses loges [rires].

Il y a une période, entre 2002 et 2006, où tu ne sors plus rien. Que s’est-il passé ?

Malheureusement, j’ai été tributaire des problèmes de maison de disques. Il y a eu beaucoup de changements à la direction de Warner, et ils m’ont mis de côté. Il y a un boss qui est tombé malade, puis son remplaçant est décédé… Les équipes changeaient tout le temps et on ne me calculait plus. Je me préparais, j’enregistrais, mais je ne pouvais rien faire d’autre. J’ai perdu quatre piges.

Tu considères vraiment que ce sont quatre années de perdues ?

Carrément. Professionnellement, personnellement… Je ne pouvais rien sortir, il n’y avait pas d’équipe pour d’occuper de moi. En 2005, tout s’est restructuré avec l’arrivée de Thierry Chassagne. Le problème, c’est qu’ils n’aimaient plus ce que je faisais. Ils me bloquaient, ne validaient rien. Ils voulaient que je fasse comme ceux qui cartonnaient chez eux, les Tragédie, K. Maro… Ils ne prenaient pas en compte mon passé, ils voulaient que je fasse des thunes.

D’autant plus qu’à l’époque, l’industrie du disque commençait à être en grande difficulté…

En plus. Finalement, ils décident de me laisser sortir mon album, La Pièce maîtresse, mais comme on ne s’entendait pas, ils l’ont sorti le 6 juillet, une date qui sert à rien, en plein été. Sans promo, sans clip, sans rien. Ils voulaient me virer en fait, je les faisais chier. À la fin de l’année, ils m’ont rendu mon contrat, terminé.

Ça a eu des répercussions sur ta vie personnelle ?

Ça a été compliqué. J’avais quelques rentrées d’argent grâce à mes sons passés, mais rien qui venait de ce que je savais faire à ce moment-là. La musique ne me faisait plus vivre.

Aujourd’hui, il y a pas mal de rappeurs de ta génération qui ont embrassé les nouvelles sonorités rap, comme Lino ou Kery James. Sur tes deux inédits, “Friandise “et “Ce que je veux”, on sent que toi aussi…

Même avant, en 2014, j’avais sorti le remix de “Soldat”, c’était très trap. Même dans mes productions récentes pour d’autres rappeurs. J’ai aussi des mini-clips qui sont dans cette mouvance, et le son “BZR” avec Zoxea et Rocca, sorti en septembre dernier. Les gens savent que je sais le faire. Mais c’est surtout dans les prochains projets qu’ils vont voir que je maîtrise le truc.

Ces deux titres semblent vraiment taillés pour le live…

À fond. C’est là que les morceaux vivent. Certains sont plus à l’aise dans un domaine, mais moi, je suis rappeur de studio et de live. “Friandise” et “Ce que je veux” ont été composés pour mon album, qui sera dans cette veine, en grande partie. Et tout est pensé pour le live.

Tu as une date pour la sortie de ton prochain album ?

J’aimerais qu’il sorte pour la fin de l’année, mais avant, je sortirai un EP d’au moins huit titres en streaming et en vinyle.