On a parlé éducation musicale, rap français et Ninho avec le génial Issam Krimi

On a parlé éducation musicale, rap français et Ninho avec le génial Issam Krimi

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

On s'est entretenus avec le musicien-producteur-passionné, à l'occasion de l'émission Ninho & Co ce vendredi soir sur France 2.

Le musicien français Issam Krimi est à l’affiche du premier numéro d’Artistes & Co. Cette nouvelle émission musicale de France 2 reçoit, pour sa grande première diffusée ce vendredi soir en deuxième partie de soirée, l’incontournable Ninho. L’occasion parfaite de s’entretenir avec lui sur sa carrière – la scène actuelle et sa vision de la musique.

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Konbini | Hello Issam ! J’ai vu que tu étais très affecté par la disparition d’Idir. Qu’est-ce qu’il représentait pour toi ?

Issam Krimi | Je parle très rarement de tout ce qui est personnel. Mais oui, j’ai des origines kabyles, et oui, Idir, c’est colossal. Cela représente ma famille et ce que je trouve de plus beau chez les Kabyles. Chez Idir, il y a tout ce que j’aime chez un artiste. La musique est un endroit de paix, de douceur et de mélange pour tout le monde. C’est notre plus belle âme commune.

Comment se fait une “bonne” éducation musicale ?

L’oreille et le cœur. Il n’y en a pas d’autre. Être toujours sensible à ce qu’il se passe au niveau des sons de la manière la plus pure possible. Ce qui permet de ne pas rejeter les différentes formes de musique. Ouvrir les oreilles et ne jamais oublier l’être humain qu’il y a derrière.

Quand t’est venu le goût pour le rap ?

J’ai deux frères qui sont des encyclopédies vivantes du rap. Les deux premiers albums que j’ai vraiment saignés, c’est Doc Gynéco (Première consultation) et Assassin (L’Homicide volontaire). Mais le rap est vraiment arrivé plus tard et plus fort, quand j’étais dans le jazz. J’avais envie de musique pop qui groove, des artistes qui me parlent d’aujourd’hui. J’avais juste envie de kiffer une musique populaire comme j’ai pu le faire avec David Bowie. Je l’ai trouvé dans le rap, dans Kanye West, Jay Z, Kendrick Lamar, Travis Scott…

Le rap est devenu pop.

Exactement. Là où ma sensibilité est très forte, c’est quand j’entends des musiques populaires qui ont une créativité incomparable, un regard sur le monde d’aujourd’hui, inventives et pleines d’érudition. C’est pour ça que le rap est venu dans mon intime musical de ces dix, quinze dernières années. S’il perd cette dimension pop, je ne sais pas si je le suivrai.

Tu penses qu’il devrait y avoir des écoles de rap ?

Il faut faire attention à ça. Il faut raisonner comme les Américains, qui le font depuis longtemps. Quand tu vas à la Juilliard School aux États-Unis, tu prends des cursus de musique et on se rend compte que c’est tout un éventail de savoir-faire. Orchestrer, jouer d’un instrument, programmer sur son ordi… Cela devrait être des écoles de créativité musicale.

Les barrières parfois dressées entre les différents styles musicaux sont encore trop présentes ?

En France, c’est clair. C’est le principe du rapport de la France à la musique populaire, on dénigre toujours les artistes populaires et pas que dans le rap. Quand on dit un “artiste de variété”, ça a souvent une connotation péjorative. Il y a toujours un cloisonnement, qui n’existe pas chez les artistes, une âme humaine en quête d’expression et de sensibilité, et n’existe pas chez le public. Tout ce qui fait que les artistes sont plus libres et que le public ait accès à plus de choses détruira ces barrières.

Tu es directeur artistique de Hip-hop symphonique depuis 2016. Quels sont les points communs entre la musique classique et le hip-hop ?

L’écriture. Le sens du banger. L’ego trip [rires]. Le niveau d’ego trip des compositeurs classiques est même supérieur à Kanye West !

Quelle est la collaboration qui t’a le plus marqué ?

Le “Tonton du bled” avec Rim’K parce que… il y a plein de raisons. Karim, 113, le titre, qui est un des rares morceaux de rap à avoir été un grand titre du top 50. Quand j’écoute ce morceau, j’ai l’impression qu’on parle de toute ma famille. Et DJ Mehdi derrière tout ça.

À chaque fois que je notais des titres que j’aimais en rap français, c’était DJ Mehdi. Par exemple, “Couleur ébène” avec Booba sur Ouest Side. Tu vois que le mec avait une ouverture et une sensibilité de dingue, et il faisait une proposition différente à chaque rappeur avec qui il collaborait. Aller plus loin, dans un endroit pas recherché… C’est très fort chez Mehdi. On sent le rapport humain entre le producteur et le rappeur. Chose qui se perd parfois un peu dans l’époque actuelle. Des fois, ils ne se rencontrent jamais. Je suis persuadé qu’on n’écrit pas pareil quand on a passé une semaine en studio et aussi une semaine ensemble en dehors à ne pas faire de la musique. Les grands titres de l’histoire de la pop, ça a toujours été ça. Aux États-Unis, ils font leurs albums comme ça.

On reproche souvent au rap français de tourner en rond ces derniers mois. Tu aimerais voir des artistes plus ambitieux et novateurs ?

Il va y avoir une nouvelle étape. Le rap a pris sa dimension pop, ce qui est génial car ça lui permet d’être plus libre. Mais la question est de savoir quand cela va s’épuiser. Le public aussi. Je rêve d’entendre un rappeur qui ait la même réflexion que Michael Jackson, veuille quitter les Jackson 5 et appelle Quincy Jones. Il va falloir faire les albums différemment, prendre du temps. Pour moi, l’âge d’or du rap, c’est maintenant, mais c’est aussi demain. Il y a un horizon hyper séduisant, après, il faut la volonté de le faire. En studio comme sur scène.

Quincy Jones est une inspiration pour toi ?

Il représente tout ce que je suis et mes aspirations musicales. C’est quelqu’un qui a rendu les artistes pop. Avant Michael Jackson, il y avait Sinatra. Quand on a commencé à avoir de vrais arrangements de cuivre et corde dans le disco, on peut dire merci à Quincy. Les musiques de film, ce qu’il défend d’un point de vue social aux États-Unis, Le Prince de Bel-Air. C’est un puits d’inspiration sans fond. C’est le Mozart de la pop. J’aimerais sortir les partitions de Quincy, les poser et expliquer en quoi l’écriture est de la haute couture. La question n’est pas de catégoriser, mais de se rendre compte que c’est quelqu’un qui met tout en œuvre pour que son expression soit la plus profonde et touche le plus de monde possible.

Tu as plus de liberté dans le rap ?

C’est l’aspect pop qui fait ça. La trap a fait du bien parce qu’elle a amené une nouvelle écriture, en ce moment la drill titille pas mal de gens. On commence à se rendre compte que les machines seules peuvent avoir leurs limites et on va avoir plus de propositions hybrides. La liberté est déjà prise, mais elle peut être encore plus forte demain.

Le fait d’enregistrer et de performer sur scène avec des musiciens, c’est quelque chose qui manque au rap français ?

C’est une réalité de dire que cela manque totalement. C’est très rare que certains rappeurs prennent des musiciens. Mais il ne faut pas tomber dans le truc de mettre des musiciens comme on met un pot de fleurs dans la déco [rires]. Mettre des musiciens sur scène, c’est aussi repenser le set, le retravailler, avoir les bons musiciens pour le bon artiste. Comme ce qu’on a fait avec Ninho pour Artistes & Co.

C’était comment de bosser avec lui ?

C’est le mec que j’écoute le plus de la nouvelle génération. Celui qui casse la barrière jeune/vieux. La qualité d’écriture de Ninho convainc tout le monde. Il a une manière de mener sa carrière, un rapport à la musique qui est très personnel, tout en ayant ce désir et cette générosité avec le public. On est très fiers d’avoir pu débuter avec lui, qu’il se soit autant investi et qu’on ait eu autant d’échanges enrichissants. Au-delà du stream, il fait beaucoup de live. Dans le rap français, il n’y a pas d’évidence à ce que les gros artistes fassent beaucoup de grandes salles et performent véritablement sur scène. Lui fait partie d’une catégorie exceptionnelle tant au niveau des chiffres que du live.

Tu as été fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Qu’est-ce que ça représente ?

La première chose qui m’est venue en tête, c’est que les seuls chevaliers que je connaissais étaient ceux du Zodiaque [rires]. La deuxième, je l’ai prise plus pour ce que la Ministre a créé en symbole qu’à titre personnel. Entre les grands-parents qui ne savaient ni lire ni écrire dans les tours de banlieue pour aller à l’usine, et moi qui ai la chance d’avoir cette reconnaissance, je me suis dit que je ne pouvais pas la bouder. Je n’avais pas ce luxe-là, je la prenais pour ma famille et pour les gens qui m’ont accompagné.

Bonus : Du coup ton rappeur préféré, c’est Kalash Crimi ?

Dans mon studio à Paris, j’ai ma boîte aux lettres à mon nom. J’ai eu de nouveaux voisins qui se sont amusés à la customiser : elle ne s’appelle plus “Krimi” mais “Kalash Kriminel” maintenant [rires].