Entre vagues et mélodies : l’équilibre précieux de Lee-Ann Curren

Entre vagues et mélodies : l’équilibre précieux de Lee-Ann Curren

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Par Naomi Clément

Publié le

Programmée le 22 juillet dernier dans le cadre du festival Biarritz en été, la Franco-Américaine, figure phare de l’écurie Roxy et ancienne membre du groupe Betty The Shark, nous a accordé un moment pour discuter de son inconditionnel amour pour le surf, et de sa passion ardente pour la musique, qu’elle façonne désormais en solo.

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Le surf et la musique, les deux piliers sur lesquels elle a bâti sa vie, semblent depuis toujours sonner comme une évidence. Et pour cause : Lee-Ann Curren n’est autre que la fille de la Française Marie-Pascale Delanne, vice-championne de France et d’Europe de surf, et de l’Américain Tom Curren, triple champion du monde de surf, avec lequel elle a également appris ses premiers accords de guitare. “Même si ses guitares étaient toutes accordées hyper bizarrement, ce qui n’est pas vraiment l’idéal pour débuter”, nous confiera-t-elle dans un sourire.

Bercée par les vagues de Biarritz, dont elle est originaire, et de la Californie, où elle a passé de nombreux mois, cette athlète a fait de l’océan et des mélodies ses terrains de jeu favoris. Repérée par Roxy à l’âge de 14 ans, époque à laquelle elle intègre également son premier groupe de musique, elle est sacrée championne d’Europe en 2007 et 2009, avant de terminer 12e au classement de l’ASP World Tour de 2010, dont elle est la troisième femme française à faire partie. Aujourd’hui retirée des compétitions officielles, l’inspirante Biarrote continue à pratiquer le surf de façon libre, tout en cultivant son attrait viscéral pour la musique, qu’elle a un temps exploré au sein du groupe indie rock The Betty Sharp, avec lequel elle a sorti deux albums.

Lee-Ann Curren, pour qui tout semble finalement être question d’équilibre, paraît ainsi avoir été taillée pour briller sous le feu des projecteurs. Pourtant, la jeune femme, dont la voix cristalline contraste avec les captivantes performances sportives, se définit elle-même comme “un peu trop timide”. Une timidité touchante, qu’elle a récemment choisi de mettre de côté pour se lancer en solo dans la musique, bien décidée à nous ouvrir les portes de son monde onirique. Un pari inspirant, qu’elle nous raconte à quelques heures de son passage sur la scène du festival Biarritz en été, qui s’est tenu le week-end dernier.

“Je me sentais vraiment intimidée à l’idée de me lancer seule”

Pour mieux comprendre la musique que tu façonnes aujourd’hui, j’aimerais savoir : qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais enfant, en grandissant à Biarritz ?

Le groupe qui, je crois, a changé ma vie, ou du moins mon rapport à la musique, c’est The Cranberries. C’était ma première cassette ! J’ai aussi énormément écouté No Doubt, parce que j’étais trop fan de Gwen Stefani [rires]. Et puis il y a aussi eu tous les classiques, dans un peu tous les styles de musique, de Public Enemy à Björk en passant par Radiohead. Tous les grands groupes qui ont marqué les années 1990 et 2000, finalement.

Tu as toi aussi fait tes débuts dans un groupe, il me semble…

Oui, j’ai intégré mon premier groupe quand j’avais 13 ou 14 ans, avec des copains de Biarritz, et une copine aussi. À l’époque, ils cherchaient une chanteuse, mais j’étais un peu trop timide, du coup j’ai pris la basse. J’ai appris sur le tas, aidée par les autres membres du groupe qui m’ont appris quelques accords de guitare. Je jouais aussi un peu avec mon père, mais ses guitares étaient toutes accordées hyper bizarrement, ce qui n’est vraiment l’idéal pour débuter… Mais disons que c’était un bon éveil à la musique [rires].

Tu disais à l’instant que tu étais quelqu’un de trop timide pour chanter. Pourtant, tu te lances aujourd’hui en solo. Quel a été le déclic ?

J’ai d’abord commencé à chanter au sein de mon groupe, Betty The Shark, avec lequel on a pas mal tourné. Après deux albums [Shepherd On The Moon en 2014 et Dizzy Galaxy en 2017, ndlr], on a décidé de s’arrêter pour des raisons personnelles, et je ne savais pas trop quoi faire après ça. J’hésitais à entrer dans d’autres groupes, à jouer de la guitare ou de la basse pour d’autres formations, mais rien ne s’est présenté. Alors je continuais à faire mes morceaux de mon côté. J’adorais ça, mais je me sentais vraiment intimidée à l’idée de me lancer seule.

Mais au bout de quelques mois de réflexion, je me suis rendu compte que mon projet pouvait se tenir en solo, et qu’il pouvait également se tenir sur scène : on m’a invitée au festival Bardenas à l’été 2017, et tout s’est super bien passé pour moi, et ce malgré le fait que les morceaux que j’ai joués sur scène, mes premiers en solo donc, étaient tout neufs à l’époque. Du coup, c’était un bon crash test, j’ai eu de bons retours, et ça m’a vraiment encouragée à me lancer.

“Je crois qu’il y a beaucoup d’introspection dans ma musique”

Comment décrirais-tu la musique que tu fais aujourd’hui ?

Dans le style, je parlerais de dream pop. C’est un peu méditatif, mais en même temps ça porte une énergie assez joyeuse et dansante. Sur scène, j’ai des synthés via lesquels je crée des boucles, par-dessus lesquelles je rajoute de la guitare et du chant (ce qui me permet de sortir du côté répétitif des boucles jouées par les synthés). Je fais tout en live, sans ordinateur, ce qui permet de produire plein de petits sons assez… mystérieux, si je puis dire [rires] !

Et qu’est-ce qui t’inspire pour écrire tes chansons ?

Je pense que j’écris pas mal sur les relations entre les gens, sur des choses que je vis dans ma vie de tous les jours, et que je retranscris dans mes chansons… Beaucoup d’humain, donc. Ouais, il y a beaucoup d’introspection dans ma musique je crois.

Est-ce que le fait d’écrire et de chanter a été un moyen pour toi d’exprimer des pensées ou des sentiments que tu n’arrivais pas à exprimer autrement ?

Oui, clairement. C’est assez contradictoire quand j’y pense, mais je connais beaucoup de gens très timides comme moi qui se retrouvent dans ce genre de position, à faire des performances devant des gens parce qu’ils ont au fond d’eux cette envie de communiquer quelque chose. L’art, la musique en l’occurrence, peut être un bon moyen pour cela.

Et l’idée de jouer ces morceaux intimes sur scène, de te mettre à nu quelque part, ça ne te fait pas peur ?

Si, très [rires] ! Et encore une fois, c’était dur pour moi au départ, de me lancer dans ce projet en solo. Mais ça a été super enrichissant pour moi, de me forcer à me mettre à nu justement, comme tu dis. Et puis tu sais, une fois que je suis sur scène, et que la musique est lancée, j’arrive à vraiment me mettre dans le son. J’oublie complètement qu’il y a des gens qui me regardent, et il se produit souvent des choses assez chouettes. C’est une superbe expérience.

“Je ne me vois pas vivre sans la musique ou le surf”

En parallèle de ta passion pour la musique, tu es également championne de surf. À quel point ces deux cultures, la musique et le surf, sont-elles liées à tes yeux ?

Très ! Je pense qu’il y a toujours eu un lien assez fort entre les deux. Quand tu regardes les Beach Boys, ou ces artistes issus de ce qu’on appelle la “surf music”, ou tous ces surfeurs qui sont devenus des musiciens très accomplis… le lien est indéniable. En ce qui me concerne en tout cas, je ne me vois pas vivre sans l’un ou sans l’autre.

Je crois que tu as arrêté les compétitions de surf il y a quelques années. Où en es-tu aujourd’hui, côté surf ?

Effectivement, je ne fais plus de compétition, parce que je préfère me consacrer au free surf, et donner vie à des vidéos autour de mes voyages. C’est une approche différente, mais c’est peut-être une approche plus créative aussi, moins ancrée dans la performance pure et dure (même s’il y a encore beaucoup de performance et de technique impliquées pour que les vidéos vaillent le coup d’être regardées). Et puis ça me permet de collaborer avec des photographes ou des cameramen dont j’aime le travail, pour essayer de créer du spectacle autrement, et sortir un peu de l’ordinaire.

C’est quoi, tes derniers voyages en date ?

Cet hiver je suis allée au Maroc, où j’aime me rendre régulièrement parce que ce n’est pas loin, et surtout parce que les vagues sont de classe mondiale, et que j’adore la culture de ce pays ! Et le prochain trip, ce sera en Australie, au mois d’août. Je pars pour m’entraîner à faire des planches de surf avec un shaper australien qui s’appelle Andrew Kidman, qui est assez fort dans toutes les planches dites alternatives, comme les fish par exemple, et qui est également connu pour des films de surf.

Mon grand-père [Pat Curren, pionnier du surf à Hawaï dans les années 1950, ndlr] a toujours shapé, et il shape toujours aujourd’hui, donc c’est quelque chose qui me tient à cœur, que j’ai envie d’explorer. Pour l’instant, je ne peux pas dire que je suis capable de faire une planche de A à Z, mais j’ai en tête les sensations que j’ai envie de ressentir sur une planche, donc c’est déjà un bon début [rires] ! J’ai très envie de développer ça en tout cas.

Je sais aussi que tu t’apprêtes à t’envoler pour Londres pour enregistrer tes premières chansons en solo… Tu pourrais m’en dire plus ?

Oui, tout à fait ! En fait, je n’ai pas encore sorti de morceaux sur ce projet solo, mais ça fait un moment que c’est abouti, j’ai plusieurs titres qui sont prêts à sortir. Du coup, je pars à Londres dans quelques jours pour enregistrer un EP qui devrait voir le jour d’ici quelques mois. Dans un second temps, l’idée serait de développer plein de contenus créatifs autour de cet EP : des images, des clips, de faire des concerts aussi… sans oublier de faire quelques surf trips bien sûr, pour ne pas délaisser ce côté-là de ma vie. Garde cet équilibre entre surf et musique, c’est très important pour moi. On verra ce que ça donne [rires] !

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