Rencontre avec JONES, la princesse anglaise de la soultronic

Rencontre avec JONES, la princesse anglaise de la soultronic

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Par Naomi Clément

Publié le

À l’occasion de la sortie de son premier album New Skin, la chanteuse londonienne nous a parlé de son amour pour Wes Anderson, pour la mode, et de son voyage vers l’âge adulte.

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JONES est à l’image de sa musique : délicate, envoûtante et puissante à la fois. Du haut de ses 25 ans, cette Anglo-Jamaïcaine originaire de Londres fait partie intégrante de cette génération créative, indépendante et audacieuse qui a décidé de tout plaquer pour embrasser ses idéaux et concrétiser ses désirs enfouis.

Bercée depuis toujours par Stevie Wonder, Bob Marley et les Spice Girls, Cherie Jones (de son vrai nom) a préféré quitter les voies académiques pour se forger un univers touchant entre soul et électronique, en apprenant seule à jouer du clavier sur YouTube d’une main, et en écrivant des textes introspectifs de l’autre.

Un itinéraire sinueux mais fructueux, qui a fini par susciter l’intérêt de l’énigmatique A.K. Paul, de Justin Parker (collaborateur de Lana Del Rey) et de Rodaidh McDonald (producteur des albums de King Krule ou The xx), et l’a menée jusqu’à la scène réputée du Pitchfork Music Festival Paris, où elle jouera prochainement aux côtés de M.I.A., Chet Faker ou encore Moderat. Rencontre.

“Libérer mes sentiments”

Pour mieux cerner ta musique d’aujourd’hui, j’aimerais retourner un peu en arrière. Qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais enfant ?

J’ai été introduite à la musique par ma mère, qui l’a-do-rait. Elle écoutait beaucoup de soul (Stevie Wonder, Otis Redding, Michael Jackson,…), mais aussi énormément de reggae, Bob Marley notamment. Des choses assez classiques finalement.

Et puis bien sûr, l’adolescence est arrivée. J’ai commencé à écouter les Spice Girls (j’adorais la pop !), Coldplay, et puis finalement pas mal de musique électronique. Le spectre est assez large en somme : il part de la soul pour aller vers la pop puis l’électronique, et aujourd’hui je crois que ma musique est un peu tout ça en même temps.

Oui, ça se sent. D’ailleurs, Spotify t’a récemment classée dans sa playlist “soultronic”, aux côtés d’artistes comme NAO ou Mura Masa. C’est un terme qui te définit plutôt bien, non ?

C’est marrant que tu m’en parles parce que quand j’ai vu ça, j’ai tout de suite pensé que c’était le terme parfait pour décrire ma musique ! J’avais l’habitude de la qualifier de “soul moderne”, de “soul électronique”, de fusion entre des sons classiques et d’autres plus organiques. Mais “soultronic”, c’est vraiment cool, je vais leur voler [rires] !

Ce que j’aime surtout dans ta musique, c’est l’émotion. À mon sens, tu peux avoir le meilleur producteur du monde et la plus belle voix sur terre, si ta musique est froide, dénuée d’émotion, ça ne vaut pas grand-chose. Qu’est-ce qui t’inspire pour écrire ?

Au début, c’était surtout l’amour. J’étais très, très timide quand j’étais jeune, j’avais du mal à exprimer mes sentiments aux personnes que j’aimais. Alors j’écrivais des chansons pour les libérer – car ils ont besoin d’être libérés, n’est-ce pas ?

En vieillissant, j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à l’esprit, à la façon dont ton attitude affecte inévitablement ta vie. Par exemple, si tu as des pensées positives, je suis sûre qu’il ne t’arrivera que des choses positives, et inversement. Du coup j’ai commencé à écrire là-dessus. Je me nourris également des expériences de mes proches, de mes amis. Donc pour résumer : l’amour, la vie et l’esprit humain.

“J’aimerais travailler avec Wes Anderson”

Pourquoi avoir nommé ton premier album New Skin ?

“New Skin” est l’un des premiers morceaux que j’ai écrits. Un jour, j’étais dans le train, je réfléchissais à un titre pour l’album et je chantais cette chanson en même temps. Tout à coup, ça m’a frappée, je me suis dit que c’était le titre idéal ! Parce que cet album est un voyage vers l’âge adulte. En faisant ce disque, j’ai eu l’impression d’avoir mué, d’avoir une nouvelle couche de peau.

Pour ce disque, tu as collaboré avec plusieurs producteurs dont A.K. Paul, Justin Parker ou Rodaidh McDonald. Y a-t-il d’autres personnes avec lesquelles tu aimerais travailler ?

Dans mes rêves les plus fous, j’aimerais travailler avec Wes Anderson car j’adore l’esthétique de ses films, qui est vraiment forte et unique. Tu peux la reconnaître tout de suite. Donc si j’avais un budget illimité, je ferais un projet visuel avec lui.

En ce qui concerne la musique, j’aimerais beaucoup créer un morceau avec Tame Impala. Je suis aussi une grande fan de Pharrell Williams, notamment de ce qu’il faisait à l’époque des Neptunes, donc si j’avais l’occasion de faire un son de ce genre… Ce serait incroyable. Voilà mon top 3 [rires].

Ça ne m’étonne pas que Wes Anderson soit en pole position, on sent bien que tu fais très attention à l’esthétique de tes clips…

Oui c’est très important, surtout à cette époque où la musique est énormément consommée par l’image, notamment par le biais des réseaux sociaux comme Instagram. C’est essentiel que mes clips soient travaillés, et surtout qu’ils me ressemblent.

“Mon style me permet de sculpter mon identité”

Justement, est-ce que tu fais beaucoup plus attention à ton image maintenant que tu commences à être connue, que les gens sont de plus en plus nombreux à te suivre sur les réseaux sociaux ?

Écoute, j’ai toujours été très réservée et je le serai toujours, donc je ne partage que des choses qui concernent mon travail ou l’art. Je n’aime pas partager de choses trop personnelles, je m’impose une sorte de filtre. Du coup, c’est assez facile de gérer cette notoriété naissante de ce côté-là.

J’aimerais parler de mode avec toi, parce que j’ai l’impression que c’est quelque chose qui te parle beaucoup.

Hell yeah [rires] ! J’adore la mode ! À mon sens, c’est une véritable extension de moi-même, un autre moyen d’expression.

Une seconde peau ?

Oui exactement, j’aime cette idée ! Une seconde couche que tu exposes au monde, et grâce à laquelle tu communiques tes idées. Et tu peux jouer la comédie aussi ! Par exemple, j’adore être très féminine le lundi, androgyne le mardi, et plus classique le mercredi… Mon style me permet de sculpter mon identité, j’adore faire ça.

“Il y a énormément d’ambition à Londres”

Tu seras au Pitchfork Music Festival de Paris fin octobre. Comment as-tu réagi en découvrant ton nom sur l’affiche aux côtés d’artistes comme M.I.A., Chet Faker ou Moderat ?

En fait, j’ai d’abord appris la nouvelle via Twitter [rires]. Quelqu’un a tweeté un truc du genre : “JONES sera au Pitchfork” et j’étais là : “OH MY GOD, c’est une blague ?!” J’ai immédiatement appelé mon manager pour vérifier, et il m’a confirmé la nouvelle. C’est un vrai rêve. J’ai d’ailleurs encore un peu de mal à y croire.

Tu m’as dit que tu étais une personne timide et réservée. Qu’est-ce que ça te fait d’être sur scène, devant des dizaines et des dizaines de personnes ?

Aujourd’hui je suis capable d’être détendue, de chanter, d’être moi-même. Mais quand j’avais 16 ans, ça me rendait juste malade ! C’est pour ça que je suis allée à beaucoup d’open mics, pour vaincre cette peur. J’ai aussi suivi un cours de performance artistique à la fac, pour lequel on faisait des représentations chaque semaine, ce qui m’a beaucoup aidée à me dépasser.

Mais pour répondre à ta question : aujourd’hui j’adore être sur scène, d’autant plus que ça me permet de me connecter avec mes fans et avec de nouvelles personnes. J’étais aux États-Unis il y a quelques semaines, et une dame s’est mise à pleurer lorsque j’ai chanté “Hoops”, ce qui m’a aussitôt donné envie de pleurer moi aussi. Le live, c’est un moment très spécial. Mais c’est en même temps quelque chose d’assez tribal, puisque depuis la nuit des temps, l’homme organise des cérémonies, des concerts, des bœufs… Il y a quelque chose de magique là-dedans.

J’ai le sentiment que la scène musicale anglaise est en pleine effervescence, notamment grâce à l’émergence de nombreuses artistes féminines comme toi, Nadia Rose, NAO ou Jorja Smith. Est-ce que tu ressens cette énergie, toi qui es au cœur de ce petit monde ?

Oui, complètement. Mais je crois qu’elle a toujours existé. Il y a énormément d’ambition à Londres. Depuis que je suis petite, je fréquente des gens qui ont de grands rêves, ce qui m’a conduit à être ambitieuse à mon tour, à me dire : “Ok, je prends le risque et on verra”, plutôt que de ne rien faire et de laisser passer ma chance.

Londres est une ville multiculturelle, très dynamique. Je crois que beaucoup de gens viennent s’y installer parce qu’ils sont ambitieux, que ce soit des gens qui baignent dans la musique, l’art, le business, la mode,… Grandir dans cet environnement te laisse forcément une empreinte, et t’encourage non seulement à faire quelque chose de grand, mais aussi et surtout à créer quelque chose d’unique.

JONES sortira son premier album New Skin le 7 octobre, avant de se produire à Paris le 25 octobre dans le cadre du “Pitchfork Avant-Garde” du Pitchfork Music Festival Paris.