On a discuté Miyazaki, R’n’B et catharsis avec le talentueux Gallant

On a discuté Miyazaki, R’n’B et catharsis avec le talentueux Gallant

photo de profil

Par Naomi Clément

Publié le

Avec son premier album Ology, Gallant est devenu l’un des artistes les plus en vus de la scène soul et R’n’B américaine. Entre deux festivals, le jeune chanteur était de passage à Paris pour un face-à-face avec Konbini. Rencontre.

À voir aussi sur Konbini

De prime abord, Gallant nous apparaît comme un garçon très réservé, dont la voix grave et tranquille surprend tant elle tranche avec celle qui anime sa musique. C’est aussi un jeune homme bien ancré dans son temps, biberonné au R’n’B des années 2000, accro aux films de Hayao Miyazaki et dépité par l’arrivée de la publicité sur SoundCloud. “Vous aussi vous avez ça en France maintenant, n’est-ce pas ?, nous demande-t-il en chuchotant, loin des oreilles de son manager. Ça craint…

Mais lorsqu’on le découvre sur scène, isolé et en transe dans son monde parallèle, on comprend mieux pourquoi cet Américain de 24 ans a été décrit comme “le futur du R’n’B”, adoubé par Seal, Sufjan Stevens et d’autres grands de la musique américaine. Christopher Gallant (de son vrai nom) est littéralement transcendé par la musique. Lorsqu’il chante, il devient un autre – ou peut-être tout simplement lui-même.

Son premier album Ology, qu’il qualifie d’ailleurs de cathartique, est un disque superbe, coincé quelque part entre la mélancolie de la soul et la sensualité du rythm and blues, grâce auquel il nous ensorcèle à l’aide de sa voix éclatante et de textes introspectifs. Envoûtés et intrigués, nous avons tenté de percer le mystère Gallant.

“Chanter, c’était thérapeutique pour moi”

Konbini | Pour mieux comprendre ta musique, revenons un peu en arrière. Qu’écoutais-tu quand tu étais enfant ?

Gallant | Les gros tubes de R’n’B des années 1990, principalement. Et puis, en grandissant, mes potes m’ont fait écouter des choses plus alternatives, qui étaient lyriquement un peu plus à vif, un peu plus crues. Ces artistes-là se moquaient clairement du qu’en-dira-t-on, ils écrivaient pour eux, pour en apprendre plus sur eux-mêmes… Cette approche m’a beaucoup touché et inspiré.

Quand t’es-tu rendu compte que tu possédais cette incroyable voix, très haut placée ?

Merci ! Et pour répondre à ta question… jamais, je crois [rires]. Quand j’ai chanté pour la première fois, c’était juste horrible ! J’ai commencé à chanter parce j’étais très introverti. Je parlais à peine, surtout aux étrangers, j’étais souvent seul…

Donc, j’ai commencé à écrire et à chanter des choses que je n’arrivais pas à dire en temps normal – pour une raison que j’ignore toujours. Chanter, c’était thérapeutique pour moi. C’était un moyen de régler certains problèmes que j’avais au fond de moi, et d’en apprendre plus sur moi-même.

Donc, au départ, la musique était surtout un passe-temps cathartique pour toi. Quand as-tu commencé à la prendre au sérieux, à la considérer comme un potentiel métier ?

Je crois que j’ai commencé à la prendre au sérieux quand, paradoxalement, j’ai arrêté de la prendre trop au sérieux. Après la fac, je dirais. Je sais, ce que je dis paraît bizarre, mais à New York, où j’ai étudié, il y a un vrai phénomène autour de l’art, autour de la définition d’être un artiste, bla bla… Ça crée une pression monstre qui va juste à l’encontre de l’art, qui est censé t’aider à te délivrer, à t’exprimer librement.

En fait, il y a juste eu un moment où j’ai arrêté de me soucier de tout ça, pour faire des choses qui me permettent d’évoluer en tant qu’être humain. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à vraiment comprendre pourquoi la musique était si importante pour moi.

“Les gens devraient être un peu plus ouverts d’esprit”

En 2014, tu as sorti ton premier EP, Zebra, et en 2016 ton premier album, Ology… Qu’est-ce qui a changé entre les deux ?

Beaucoup de choses. Zebra était proche de ce qui m’a encouragé à faire de la musique au départ. Je me disais : “OK, je vais juste m’exprimer et dire exactement ce que je ressens, et je vais en apprendre un peu plus sur moi-même à travers ce processus.” Résultat, Zebra explorait mes sentiments de l’époque, qui était assez… dépressifs. Mais c’est tout.

Tandis qu’Ology est à mon sens plus volatile, il explore davantage de nuances parce que je me suis forcé à aller de l’avant et à me poser beaucoup plus de questions. Avec ce procédé, j’ai grandi dix fois plus vite qu’avec celui de l’EP.

On a souvent qualifié ta musique de R’n’B. Que penses-tu de cette définition ?

Je pense que les gens ont le droit de catégoriser les artistes comment ils le souhaitent. Mais je pense aussi que les gens devraient être un peu plus ouverts d’esprit, que certains devraient un peu élargir leur champ de comparaison…

Penses-tu qu’ils auraient aussi facilement qualifié ta musique de R’n’B si tu n’avais pas été noir ?

Hmmm… Je crois que oui, mais qu’ils auraient d’abord utilisé d’autres qualificatifs. Mais tu sais, aux États-Unis, il y a énormément de personnes qui considèrent Seal comme un artiste de R’n’B, ce qui me consterne ! Quand j’entends ça, je me dis que ces gens-là n’ont jamais dû écouter sa musique [rires] ! Et quand bien même ils l’identifient à un autre genre, le mot “R’n’B” lui est toujours associé à un moment ou un autre.

“Un des plus grands fans de Miyazaki”

Dans ton album Ology, il y a un morceau qui s’intitule “Miyazaki”… Serais-tu un grand fan du réalisateur japonais ?

Oh oui, un des plus grands ! La culture, la cuisine, le cinéma japonais m’ont toujours beaucoup inspiré. À la fac, j’ai d’ailleurs longtemps étudié le japonais. Et je faisais partie du Japan Club de mon lycée – on a même essayé d’organiser un voyage au Japon, mais on n’y est jamais parvenu… Je vais en Corée du Sud dans quelques jours ; avec un peu de chance, je pourrais faire un détour et avoir un aperçu du Japon, enfin !

Je te comprends totalement, je suis fascinée par le Japon moi aussi !

Oh, c’est vrai ? C’est quoi ton film préféré de Miyazaki ?

Princesse Mononoké !

Ah oui, il est super celui-là, trop sous-estimé d’ailleurs !

C’est clair. J’adore Le Voyage de Chihiro, aussi…

Évidemment, il a gagné tellement de récompenses ! Je crois que c’est le favori de pas mal de monde.

Et toi, c’est quoi ton film préféré de Miyazaki ?

Kiki la petite sorcière ! Mais Totoro est génial aussi ! D’ailleurs, j’ai lu cette horrible histoire comme quoi ce film serait une allégorie d’un crime qui s’est produit il y a plusieurs décennies au Japon… ça m’a effrayé. Mais je pense que c’est vrai, si tu regardes bien quelques-uns des moments-clés du film… c’est plausible. Et puis, Hayao est assez brillant pour faire ça.

“La scène me donne l’opportunité d’exprimer ce que j’aimerais exprimer dans la vie de tous les jours”

Revenons aux États-Unis. Il y a deux mois, tu as fait ton premier passage télévisé chez Jimmy Fallon. Comment c’était de chanter pour l’un des shows les plus regardés du pays ?

J’étais tellement stressé ! Quand j’étais gosse, ces choses-là me paraissaient juste impossibles. Je me disais : “Comment peux-tu passer à la télé et rester un humain normal après ?”  Donc oui, j’étais au bord de la crise de nerfs…

En plus, ce que j’ignorais, c’est que tu peux avoir deux essais. À la fin de ma performance, Jimmy Fallon m’a demandé si je voulais refaire ma performance. J’ai répondu : “Non, merci, c’est bon !” [Rires.] J’ai vraiment eu beaucoup de chance d’avoir été invité chez Jimmy Fallon.

Ta performance était réellement captivante, j’ai beaucoup aimé ton jeu scénique aussi. C’est quelque chose que tu travailles ?

Non, pas du tout ! Je crois que sur scène mon corps devient simplement la prolongation de mes émotions. Dans ces moments-là, j’accepte cette situation embarrassante qui est celle de m’ouvrir aux autres, de devenir vulnérable. Quand je suis sur scène, je suis totalement différent, c’est une sorte de catharsis. La scène me donne l’opportunité d’exprimer ce que j’aimerais exprimer dans la vie de tous les jours, mais que je n’arrive pas à faire… 

“J’aimerais que cette aventure reste personnelle”

Peux-tu m’en dire plus sur le projet In the Room que tu as créé ?

In the Room est une série de collaborations par le biais de laquelle j’essaie de connecter avec des artistes qui m’ont énormément inspiré. Je l’ai déjà fait avec Seal, que j’ai eu l’opportunité de rencontrer il y a quelques mois. Je tenais vraiment à faire quelque chose de spécial pour l’honorer.

Pareil avec Sufjan Stevens, qui m’a convié à participer à sa tournée l’automne dernier – j’étais sous le choc… C’était très inspirant d’être à ses côtés sur scène, donc j’ai voulu lui rendre la pareille et on a fait cet In the Room. D’autres épisodes avec d’autres artistes sortiront bientôt !

Tu as aussi convié Jhené Aiko (une de mes artistes préférées) à chanter sur “Skipping Stones”, la 14e piste de ton album. Comment l’as-tu rencontrée ?

J’étais en studio avec le producteur Adrian Younge – une légende ! –, et il y avait ce morceau qu’on trouvait bon, mais inachevé. Quelqu’un dans la pièce a dit que Jhené était dans le coin, donc je suis allée à sa rencontre. On a passé un super moment ensemble, à chiller, chanter, et il s’est avéré qu’elle était LA pièce manquante de notre puzzle. Quand elle a ajouté sa touche au morceau, ça a pris tout son sens.

Y a-t-il d’autres personnes que tu aimerais voir sur ton prochain album ?

Oh oui, la liste est longue ! Je suis un grand fan de Jack Garratt, par exemple, je trouve qu’il est incroyable. J’adore Andra Day également, et NAO aussi, je dois être son plus grand fan [rires]. Quand elle sorti son tout premier morceau, je me suis dit que c’était la meilleure chose que j’avais jamais entendue.

On t’a souvent décrit comme le futur du R’n’B… Comment vois-tu ton avenir ?

Honnêtement, je crois que je serai toujours la même personne. Je continuerai à mater des dessins animés, à jouer aux jeux vidéo, à dessiner et à faire de la musique. J’aimerais que cette aventure musicale reste personnelle, qu’elle m’aide à m’ouvrir davantage aux autres, et à connecter toujours plus avec le monde.

Gallant est actuellement en tournée aux États-Unis, et sera de passage en France fin 2016. En attendant, son album Ology est toujours disponible sur iTunes et Spotify