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Rencontre : Georgio, le quart de siècle apaisé

Rencontre : Georgio, le quart de siècle apaisé

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Par Sophie Laroche

Publié le

À l’occasion de la sortie de XX5, son troisième album studio, nous avons rencontré Georgio pour évoquer avec lui ce projet qui cristallise son passage à l’âge adulte.

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Georgio © Romain Rigal

Avec Hera, son second album solo sorti en 2016, Georgio tournait la page mélancolique du précédent Bleu Noir. Plus nuancé, ce dernier insufflait, au rythme de guitares chaleureuses, une bonne dose d’espoir et de lumière, exploitant aussi bien les talents de conteur de l’artiste que ceux de rappeur. À tout juste 23 ans, le jeune homme savourait aussi ses premiers succès : un disque d’or, un Olympia plein à craquer et des invitations à passer par les plus grands plateaux télé.

Une tournée et une année de réflexion et d’écriture plus tard, Georgio a mûri. Le quart de siècle entamé sans trop de dommage, le jeune homme est en phase avec lui-même et ses ambitions à l’heure où sa génération déchante face à une vie active qui ne semble pas tellement à la hauteur. Il faut dire que le parisien s’est battu pour atteindre ses objectifs sacrifiant au rap, les études et sa jeunesse. Un mal pour un bien, tant les efforts semblent payer aujourd’hui.

C’est dans cet état d’esprit que le jeune rappeur aborde XX5, son dernier album. Dans ce projet de dix-huit titres, Georgio se raconte avec moins de détours qu’avant, explorant de nouvelles sonorités, imprégnées par ses voyages, ses coups de cœur musicaux, et sa personnalité foisonnante. Un album riche pour lequel il n’a pas hésité à mobiliser des artistes venant d’horizons différents à l’image de Myd, Vladimir Cauchemar, Isha, Vald ou encore Victor Solf du groupe Her, pour ne citer qu’eux. À l’heure de la sortie de ce projet on a rencontré Georgio pour parler de voyages, du temps qui passe et de ses inspirations.

Konbini | Salut Georgio. Ton nouvel album se nomme XX5. Peux-tu m’expliquer le choix du titre ?

Georgio | J’ai écrit l’album pendant l’année de mes 25 ans, qui est une année symbolique puisqu’elle représente un quart de siècle. Aujourd’hui, je me sens vraiment plus adulte, du moins, je suis en train de le devenir. Je ne suis plus vraiment adolescent et cette évolution se ressent dans les thèmes de l’album, dans ma manière de vivre et de parler de ma vie.

Tu es donc à l’aise avec l’idée de dépasser le quart de siècle ?

Je suis hyper à l’aise avec le fait de vieillir car plus le temps passe, plus je fais des rencontres géniales, plus je concrétise mes projets, plus j’ai envie et plus je voyage. Bien sûr quand il s’agit de l’écriture et du travail, il y a des moments durant lesquels je me sens prisonnier de la montre, mais globalement, je vis plutôt bien le temps qui passe.

D’ailleurs dans le bonus track “100 %”, tu dis “Laisse moi prendre le temps je vais faire les choses à 100 %”.

Je trouve qu’on est trop pressé. Il faut accepter de prendre son temps, de se laisser le temps qu’il faut pour réaliser ses envies. Je n’y arrive pas toujours car c’est presque un objectif de vie mais la plupart du temps, j’essaye d’être dans l’instant présent. J’ai envie de l’instant présent.

Je suppose que la pochette de l’album évoque l’idée d’enterrer sa jeunesse ?

En fait, je suis partie d’une phase du morceau “Aujourd’hui” dans lequel je dis “J’ai tué ma jeunesse au lycée – sur les lieux du crime il y’avait pas d’empreintes” car justement j’ai arrêté les cours, je n’allais pas au lycée pour me consacrer au rap. Je suis toujours jeune mais je me sens beaucoup plus mature. Cette pochette, c’était un moyen de dire, “j’enterre cette vie d’avant, cette vie d’adolescent“. Sur la tombe, j’ai écrit en latin : “Ma jeunesse est morte, la suite ne sera que plus belle“. Ce n’est vraiment pas négatif comme visuel. On y trouve aussi l’idée de jouer avec la mort avec cette piscine à boule.

Tu as mis combien de temps à écrire ce projet ?

Ça dépend d’où l’on part. Les premiers morceaux qui sont “100 %” et “Prisonnier” datent d’un an et demi. J’étais à Londres à cette époque. Puis, tous les textes de l’album, je les ai faits en six mois. Après, j’ai fait quinze jours de studio non-stop en Suisse pour constituer toute la colonne vertébrale de l’album et enfin une semaine à Paris. En gros, l’enregistrement de l’album final mis bout à bout représente trois semaines.

Georgio © Romain Rigal

Dans cet album, les sonorités sont assez différentes de Hera. Il y a notamment moins de guitares dans l’ensemble. Comment et avec qui as-tu travaillé à ce niveau-là ?

En fait je voulais me réinventer et ne pas faire le même album. Je voulais un projet dans lequel je me livre sur cette année de mes 25 ans mais aussi écrire sans trop penser. Il y avait beaucoup de joie et d’espoir dans Hera avec une vraie couleur amenée par les guitares quand Bleu Noir [son premier album, ndlr] était plutôt dur et très froid. J’avais montré ces deux facettes de moi, et là, je voulais créer une sorte de mélange des deux.

Pour cela, j’ai une nouvelle fois voulu bosser avec un réalisateur. J’ai fait appel à Myd qui a fait en sorte que l’album ait une couleur globale et qu’il me ressemble tout en modernisant l’ensemble. Tom Fire a quant à lui joué de la guitare et du piano sur le projet. Puis, j’ai bossé avec différents producteurs comme Vladimir Cauchemar, Woodkid, Heezy Lee ou encore Diaby avec qui je travaille depuis Mon Prisme sorti en 2012. C’est lui qui a enregistré l’album et fait les prods.

Cet album est très varié dans les sonorités. On a des morceaux qui sont plutôt sombres mais aussi des sons assez chauds, presque latino.

C’est vrai. Pour faire “J’en sais rien” par exemple, je me suis inspiré de tout ce qui se faisait un peu en grime dans les clubs de Londres. Il y a aussi un peu un côté baile funk. J’aimais qu’il y ait quelque chose d’un peu dansant, d’un peu changeant car je voulais que l’album me ressemble dans ma globalité, dans des trucs un peu plus chauds, tout en gardant des morceaux un peu bruts, un peu plus froids comme “Haute couture” ou “Barbara”.

Quelque chose de constant dans ton travail et qu’on entend encore sur cet album, c’est l’idée du voyage. As-tu voyagé pendant la conception de ce projet ?

Je suis allé à Londres pendant trois mois puis je suis partie un peu en Finlande, en Colombie quelques jours, en Suisse et en Guadeloupe. La Guadeloupe, c’était un voyage important pour moi car ma mère est originaire de là-bas. Je ne connaissais pas tous les membres ma famille et j’ai pu les rencontrer. C’était un voyage puissant qui a eu lieu juste après l’enregistrement de l’album. C’est là que j’ai réécouté tout ce que j’avais fait en Suisse.

Partir, mais aussi revenir. Paris et le XVIIIe arrondissement sont très présents dans ce projet.

J’adore la France mais parfois ça me rend ouf d’être à Paris et dans ces moments-là, j’aime bien pouvoir bouger. Je trouve que Paris est une ville tellement forte et caractérielle, elle marque vraiment bien ce que je vis. Puis le fait de parler de Paris dans mes chansons, c’est une manière de donner un décor au morceau. Quand Romain Gary décrit Belleville dans La vie devant soi, je reconnais le gris parisien, son monde, son bruit, ça place directement le décor et c’est ce que j’essaye de faire.

Quelles sont les meilleures conditions pour écrire ?

J’aime beaucoup être seul pour écrire. Je préfère la nuit car on ne regarde plus l’heure. Dans la journée, on est un peu cadré. Quand il est 17 heures, on se dit qu’il va falloir manger dans trois heures. Une fois que tu as passé minuit, qu’il soit 3 heures du matin ou 5 heures, ça ne change plus rien. Globalement, plus je suis triste et plus c’est facile pour moi d’écrire même si je n’aime pas être dans des états de tristesse. Disons que dans la tristesse, c’est plus facile de lâcher ce que l’on a en soi que dans le bonheur, dans l’excitation ou durant l’attente. L’attente c’est horrible, on ne peut pas écrire.

L’album Bleu Noir était plutôt sombre. Hera quant à lui, plutôt nuancé. Quel rapport à la mélancolie entretiens-tu dans celui-ci ?

Mon rapport à la mélancolie dans cet album est instinctif, brut, instantané. Il y a des phases dans lesquelles j’aime trop tuer l’espoir mais j’ai toujours fait en sorte que, même quand je raconte la tristesse, la mélancolie, le côté gris de la vie, il y ait quand même des messages positifs. Après, j’aime bien l’idée de me contredire dans un même album car je trouve la contradiction humaine et je veux que ce projet soit la chronique d’un mec de 25 ans. Je peux raconter le mal-être d’une fille comme dans le morceau “Akira” tout comme je peux chanter l’espoir comme dans “Les yeux en face des trous” où je dis à un mec de se bouger et que ça ira. Moi-même je suis entre les deux. J’adore la musique mélancolique et je me complais dans la mélancolie et en même temps, je suis souriant et je ne loupe pas une connerie à faire. C’est deux facettes et je jongle entre les deux constamment.

Dans cet album, tu parles beaucoup de ta jeunesse et notamment de tes parents. Quelle est leur place dans ta musique ?

C’est vraiment un soutien. Parfois, je demande des conseils à mon père. Je lui ai fait lire “Les yeux en face des trous”. Il m’a conseillé et ma mère m’a partagé son avis sur l’album ainsi que ses critiques. Leur avis est important pour moi et je sais qu’il sera toujours très objectif. Mes deux parents sont vraiment concernés par ce que je fais mais pour cet album, je ne leur ai rien fait écouter avant qu’il ne soit fini. Comme il était très personnel et que j’écrivais beaucoup, je n’avais pas envie d’avoir un seul avis négatif avant la fin. Je ne voulais pas qu’un avis trotte dans ma tête pendant que j’écrivais. Mais, une fois qu’il a été fini, ils ont été les premiers à l’entendre.

Tu t’es un peu protégé. As-tu ressenti beaucoup de doutes pendant l’écriture du morceau ?

Je me suis vraiment senti libéré pour écrire cet album. La plupart du temps, il n’y avait aucun calcul. J’écrivais, je faisais un morceau. Une fois qu’il était fini, je passais à autre chose et j’avançais. Peu de personnes écoutent ma musique avant qu’elle ne soit finie. J’aime bien, quitte à entendre des critiques négatives, qu’elles ne soient en rien impliquées dans le processus de composition du projet, qu’elles viennent après et que je me dise “trop tard l’album est mixé, masterisé”.

Georgio © Romain Rigal

Y a-t-il eu des œuvres ou artistes qui t’ont marqué pendant l’écriture du projet ?

Oui, les deux albums de XXXTentacion, 17 et ?. Ce sont les deux albums qui m’ont le plus marqué et inspiré pour l’année d’écriture du projet.

Tu disais ne plus écouter de rap, c’est revenu ?

Là, j’ai presque écouté que du rap, du rock aussi, mais surtout du rap. Isha j’ai trop kiffé, le dernier album de Freeze Corleone aussi. Sinon, en ce moment, j’écoute le dernier Kery James. Octavian, et Jaykae.

Tu avais expliqué à l’époque de Hera que tu n’avais pas fait de feat sur le projet car tu estimais qu’un feat doit forcément avoir du sens. Ici tu as trois feats, avec Isha, Victor Solf et Vald. Peux-tu m’expliquer en quoi ils font du sens pour toi ?

Concernant Isha, je trouve que notre rap se ressemble car il est vrai. Il est peut-être assez dur dans ses propos et en même temps assez sensible. Puis, c’est un rap qui n’a pas peur de se mettre à nu, de raconter ses erreurs et ses difficultés. Avec Vald, on se connaît depuis hyper longtemps, on voulait donc vraiment refaire un morceau ensemble. Ce qui nous rassemble, c’est ce côté kickage, l’amour du rap et des rimes techniques. On est vraiment à fond là-dedans. Même si nos univers ne se ressemblent pas forcément, ça avait du sens à cause de ça et tout notre passé commun. Puis en ce qui concerne Victor Solf de Her, on se retrouve sur la mélodie, sur des influences qui peuvent être anglaises mais aussi la chanson. Dans ma musique, j’accorde beaucoup d’importance aux femmes qui ont pu traverser ma vie, à la famille et à l’amour et Her, c’est un peu ça aussi. Victor est comme ça, donc partager cette chanson d’amour que j’ai écrit et pour laquelle j’ai utilisé sa voix un peu comme un sample, ça avait tout son sens.

On t’a souvent ramené à une image de bon élève du rap en t’interrogeant beaucoup sur tes influences littéraires. As-tu souffert de ça quelque part ?

Non franchement carrément pas. Ça me fait plaisir car la littérature a tellement été un combat dans ma vie. C’est tellement fort, ça peut parler à tout le monde et ouvrir sur d’autres univers. Je suis complètement lucide sur les personnes qui m’écoutent et je sais que la plupart ont mon âge ou sont plus jeunes alors si je peux attiser la curiosité des personnes qui m’écoutent et leur permettre de s’approcher d’un bouquin c’est tant mieux.

XX5 est disponible depuis le vendredi 23 novembre 2018. Georgio sera en concert dans toute la France et se produira le 15 mars 2019 au Zénith de Paris.