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General Elektriks : “J’ai commencé ce projet comme un défouloir”

General Elektriks : “J’ai commencé ce projet comme un défouloir”

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Par Thibault Prévost

Publié le

Rencontre avec le compositeur français Hervé Salters, alias General Elektriks, à l’occasion de la sortie de To Be a Stranger, un quatrième album aussi funky qu’élégant.

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General Elektriks, c’est le groupe, ou plutôt le projet musical, que tous ceux qui s’intéressent un peu activement à la musique connaissent, sans pour autant l’écouter en boucle. Un truc de fond de playlist, intemporel et imparable, présent depuis presque quinze piges dans le paysage artistique et radiophonique français (bon, d’accord, surtout sur Nova), qui se perd dans le temps et revient sans cesse à nos oreilles à la faveur d’une actu, d’un jingle ou d’une option shuffle pour nous tirer par le colback. Et nous payer un nouveau tour de manège dans sa fête foraine musicale, entre montagnes russes funky, maison hantée jazzy et chamboule-tout hip-hop.

Le 29 janvier dernier, General Elektriks  se rappelait une fois de plus à notre bon souvenir avec To Be a Stranger, son quatrième disque, quatre ans après le tortueux Parker Street. Un album lentement élaboré pour un résultat sophistiqué, délicat substrat de funk, de pop et d’atmosphères embrumées. Dominé, comme les pécédents, par le gazouillis lascif et les rebonds frénétiques de son homme-orchestre Hervé Salters, chaînon manquant entre l’homme et le bâton sauteur.

Le Franco-Britannique, revenu des États-Unis après une décennie d’exil volontaire pour poser ses valises à Berlin, s’est arrêté quelques minutes dans les locaux de la rédaction pour parler de son dernier disque, de ses multiples projets parallèles, d’expatriation et, surtout, de musique. Et lorsqu’on a bossé avec –M– et Femi Kuti dans les années 1990 et qu’on flirte avec Blackalicious depuis presque quinze ans, on sait de quoi on parle.

Konbini  | En regardant ta discographie, on se rend compte qu’il se passe beaucoup de temps entre tes albums mais qu’il y a d’autres projets à côté (Honeycut, Burning House)… General Elektriks, c’est une priorité pour toi ?

Hervé Salters  | À la base je suis claviériste. Quand j’ai commencé, je jouais dans des groupes, comme par exemple Vercoquin. Tu m’aurais dit, il y a quinze ans, que j’aurais un projet solo, cela m’aurait semblé être de la science-fiction. J’ai commencé ce projet comme un défouloir après une mauvaise expérience avec une major. Je voulais être indépendant artistiquement. C’est seulement au moment de la première tournée que je me suis retrouvé face à moi-même et que j’ai réalisé que j’étais chanteur. Et à la fin de la tournée, j’étais ravi d’arrêter.

Pourtant j’aime bien l’idée qu’en live, tu puisses perdre un peu le contrôle, et utiliser l’instant, qui est une arme démente et que tu as moins en studio. Le live c’est le théâtre, le studio c’est le cinéma. Puis l’idée de refaire du General Elektriks m’a chatouillé à nouveau et c’est comme ça qu’est né Good City for Dreamers (2009). Et là, ça s’est mis à marcher et c’est devenu une priorité pour moi.

En 2011, tu disais que Parker Street avait été enregistré dans l’urgence… Dans quelles conditions as-tu réalisé To be a Stranger ?

Après la tournée de Parker Street, j’étais hyper fatigué et il fallait que j’arrête de penser à General Elektriks pendant un petit moment. Je continuais à faire de la musique, mais j’étais ravi de faire l’ermite. Pour faire de la musique, j’ai besoin d’avoir vraiment envie. Dans ce marché musical qui est le nôtre, tu peux vite rentrer dans des cycles de sortie de disque… Vu qu’avec General Elektriks l’idée était de se faire plaisir, si je n’ai pas envie de me défouler, je ne me défoule pas ! Donc j’ai attendu d’avoir envie. Au moment où j’ai déménagé à Berlin, c’était un bon tremplin pour se ressourcer, pour “laisser la muse revenir”… On se retrouve face à de nouvelles choses, confronté au neuf, et c’est vachement bien quand tu es créatif.

En tout, ça a mis deux ans à revenir, puis je me suis laissé beaucoup de temps, encore deux ans, pour faire l’album. Vu que je fais tout tout seul, quand je compose, j’attends. Je mets mes chansons de côté, puis j’y reviens en étant une autre personne. C’est ça qui me donne le recul nécessaire pour porter un jugement sur ce que je fais. J’aime aussi privilégier les accidents, parce que j’ai un côté très control freak. Comme j’aime être surpris par la musique, j’essaie de générer ce genre de choses.

“Je fais de très mauvais morceaux aussi, mais je ne les mets pas sur les disques !”

Tu penses que c’est de là que vient ton style à peu près inclassable, entre funk, hip-hop et jazz ?

La cohérence vient du fait que tout ce que j’aime, qui me semble lumineux, passe par mon filtre. C’est important aussi de garder en tête qu’il y a une communication, qu’il y a un auditeur de l’autre côté. Il faut que cela puisse parler à d’autres qu’à moi. Donc je mets ma casquette de réalisateur et j’essaie de faire émerger une identité propre à l’album plutôt qu’une collection de morceaux.

Au risque de te restreindre ?

Parfois, je me dis que j’aimerais bien faire un disque sans penser aux autres, qui sont à l’extérieur. Je fais de très mauvais morceaux aussi, mais simplement, je ne les met pas sur les disques ! C’est compliqué parce que j’aime à la fois la musique expérimentale et les petites pépites hyper directes. Du coup, j’ai la sensation d’offrir des trucs un peu plus sophistiqués que ce que le commun des mortels écoute en mainstream, mais c’est aussi une musique qui te prend par la main et que tu peux siffloter dans la douche si tu as envie.

Ton morceau préféré de l’album ?

Ça change tous les jours, en fait. Là en ce moment, c’est “Waltz #2”, parce que je l’ai joué hier, mais ça peut changer très vite.

Plusieurs de tes chansons rappellent des musiques de film… Est-ce que ça t’intéresserait de travailler sur des longs métrages ? De quel type, avec quel réalisateur ?

Ah oui, c’est un truc qui me botte à fond ! C’est l’une des mes influences et c’est la raison pour laquelle tu retrouves des ambiances un peu “cinématiques” [sic] dans tout ce que je fais. Maintenant, ce n’est pas évident car on peut vite attendre de toi que tu fasses un peu le singe. On peut te demander de faire quelque chose “à la manière de”. Ce qui serait super, ce serait que l’on vienne vers moi et qu’on me laisse faire. J’ai eu pas mal de chance jusqu’à présent. Le réalisateur Gilles Bannier avec qui j’ai travaillé sur Paris [la série d’Arte qui met en scène un personnage transsexuel, NDLR], est fan de General Elektriks, donc la collaboration était très intéressante. Après, ça n’a pas toujours été facile avec la production…

La musique de film, c’est très clair, est une œuvre de commande. Et c’est justement parce que je fais General Elektriks, et que j‘ai le contrôle dessus, que je peux envisager des œuvres de commande de manière relax. Je me dis “là, c’est pas du General Elektriks, c’est un mec qui signe un chèque, c’est normal qu’il ait en retour ce qu’il a demandé “. Du coup, si tu ne veux pas souffrir, il faut très bien choisir ses collaborateurs.

Si tu pouvais collaborer avec des artistes, ce serait qui ?

L’utopie totale, ce serait de jammer avec Stevie Wonder. C’est une de mes idoles. L’autre utopie aurait été de croiser David Bowie, mais là, ça va être compliqué…

“Je ne bosse pas pour la postérité, je fais de la musique parce que j’ai besoin d’en faire”

En 2009, tu chantais “raid the radio, because we’re tired of hearing the same old songs”. Est-ce que, après quatre albums, tu n’as pas peur que ton son, si caractéristique, finisse par lasser ?

Moi, tu sais, je suis juste musicien. Je suis passionné de musique, c’est le truc que j’ai le plus envie de faire quand je me lève le matin et je le fais de la manière la plus honnête possible. Je n’ai pas de velléités de réécrire l’histoire de la musique. Je ne bosse pas pour la postérité, je fais de la musique parce que j’ai besoin d’en faire. Et j’ai la chance inouïe de pouvoir gagner ma vie comme ça, en continuant de rêver comme si j’étais un enfant avec un clavier, et ça c’est dément ! Donc la question de l’esthétique, de la lassitude… peut-être. Mais je ne peux pas me l’imposer.

Quel est ton rapport à la France, toi qui, finalement, ne fait plus qu’y passer ?

Évidemment, je suis toujours très attaché a la France, mes racines sont ici. J’ai été horrifié de voir tout ce qui s’est passé, notamment au Bataclan, parce qu’on y avait joué il y a quatre ans et que certaines des personnes qui étaient là à l’époque sont mortes aujourd’hui… Après, c’est vrai que ce n’est pas la même chose quand on est expatrié. C’est une sensation assez étrange : tu n’appartiens plus à nulle part. Tu flottes entre les nations mais, d’un autre côté, tu n’as plus ce confort, tu n’as plus les chaussons aux pieds.

Si tu devais choisir un autre style musical à explorer, tu choisirais quoi ?

Le gamelan, par exemple, ce serait super. Qu’est-ce que c’est ? C’est une musique basée sur des gammes différentes, sur une rythmique particulière, c’est une autre approche de la musique et ça, je trouverais ça passionnant.

L’album To be a Stranger est sorti le 29 janvier chez Wagram.

NDLR, le gamelan, c’est ça :