Foals est de retour avec deux albums : entretien exclusif avec Yannis Philippakis

Foals est de retour avec deux albums : entretien exclusif avec Yannis Philippakis

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Foals ©Alex Knowles

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Par Sophie Laroche

Publié le

On a rencontré le leader du groupe d’Oxford, Yannis Philippakis. Foals, qui est de retour, vient de dévoiler un nouveau morceau clippé : “Exits.”

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Quand nous rencontrons Yannis Philippakis en décembre dernier, le groupe Foals finit de célébrer les dix ans de son premier album Antidotes. Ce premier projet, qui s’était imposé comme une explosion euphorique mêlant sonorités élaborées et fougue revigorante, a initié les débuts d’une carrière musicale que les membres du groupe ne soupçonnaient sûrement pas aussi riche et pérenne. Ce n’est pourtant pas pour fêter cette décennie de musique que nous rencontrons le musicien de 32 ans. Dans les locaux de la Warner à Londres, Yannis est venu présenter à une poignée de journalistes le fruit de trois années de travail, quelques extraits du projet Everything Not Saved Will Be Lost.

Lors de la rencontre, Philippakis semble fidèle au portrait que l’on dresse souvent de lui : celui d’un jeune homme exigeant et concentré. Nous avons d’abord écouté quelques extraits enthousiasmants du projet puis il nous a expliqué, avant d’entamer l’entretien, qu’il venait de finir l’artwork le jour même. Il s’en ira par la suite, après l’interview, comme si la journée était loin d’être terminée et comme s’il lui restait beaucoup de choses à régler. Il faut dire que Everything Not Saved Will Be Lost s’est imposé comme un challenge à plusieurs niveaux pour le groupe originaire d’Oxford et tout particulièrement pour son chanteur.

En effet, dix ans après le succès d’Antidotes, le groupe, toujours aussi inspiré, a choisi de sortir deux albums cette année (Everything Not Saved Will Be Lost part 1 & 2). Deux projets qui s’épanouissent comme des frères jumeaux, se nourrissant des mêmes angoisses. Parmi ces dernières, le départ du bassiste du groupe, Walter Gervers, qui a souhaité se consacrer à sa famille, mais aussi le choix de l’autoproduction, une étape charnière dans la vie de la formation britannique qui a, depuis le début de sa carrière, toujours collaboré avec des producteurs de renom. Des épreuves qui ont pesé lourd sur les épaules de Philippakis mais qui ne semblent pas avoir altéré le dynamisme du groupe ni sa capacité à innover. Quelques mois avant la sortie du premier album, le jeune homme nous en parle.

“Si nous ne le faisons pas, cela sera perdu pour toujours”

Konbini | Le nom de votre prochain projet est Everything Not Saved Will Be Lost. Peux-tu m’expliquer ce choix ?

Yannis Philippakis | Cette idée vient d’un sentiment que j’ai eu il y a quelques années et qui se fait de plus en plus profond, particulièrement à l’heure actuelle. Aujourd’hui, chaque espèce animale qui n’est pas protégée et défendue sera perdue pour toujours et chaque mauvaise décision que nous prenons, sur le plan politique ou culturel, sera définitive. Nous ne pourrons revenir en arrière. Le processus de création musicale est assez similaire. Avec ce projet, nous exprimons toute la créativité qui nous a traversés ces dernières années car si nous ne le faisons pas, cela sera perdu pour toujours.

J’ai l’impression que la question du futur est une obsession chez toi. Est-ce quelque chose qui te fait peur ?

C’est vrai que j’exprime les mêmes inquiétudes depuis le début du groupe. Le futur en fait définitivement partie mais je ne suis pas effrayé. Je me sens plutôt mélancolique à ce sujet car j’ai l’impression de vieillir plus vite que je ne le devrais. Je suis issu de la génération pré-téléphones portables et j’ai le sentiment qu’on devient des dinosaures. Je n’ai que 32 ans mais les changements qui se sont opérés ont été si rapides que je me sens un peu aliéné.

Par exemple, mon expérience de la ville a complètement changé. Avant, mon péché mignon était de flâner dans les librairies et chez des disquaires. Mais j’ai l’impression que cette expérience ne va pas durer. Je ne trouve d’ailleurs plus vraiment de petites librairies ou de disquaires. Cela me rend triste car en grandissant à Oxford, il y avait plein de vieilles boutiques géniales mais elles sont aujourd’hui remplacées par des magasins bidons. Parfois, il n’y a même plus de magasins du tout, juste des fenêtres vides. Je me sens aussi un peu dépité en ce qui concerne ma propre addiction aux réseaux sociaux. Je souhaiterais être plus éloigné de cela, je ne pense pas que ce soit très bénéfique pour mon cerveau, mais il y a quand même des aspects positifs à ce niveau.

“J’ai plus ou moins écrit toutes les paroles à l’extérieur, dans des pubs”

Ce sentiment de nostalgie, on le retrouve aussi dans ton processus créatif. Pour l’album What Went Down, tu avais expliqué avoir écrit les morceaux sur une machine à écrire. C’est toujours le cas ?

Pour ces deux albums, ce n’est pas le cas. Sur le précédent (What Went Down), j’avais amené une machine à écrire à La Fabrique (studio d’enregistrement dans le sud de la France) car je voulais figer les choses. Je trouvais que quand j’écrivais à la main, je laissais les choses ouvertes, je pouvais ajouter des mots, des lignes et donc chambouler le texte continuellement. Je ne voulais pas non plus écrire sur l’ordinateur car cela me rendait distrait. Je trouvais que l’ordinateur était un compagnon trop insensible et incompréhensif pour cet exercice que je ressentais comme lié à mon corps. Avec la machine à écrire, c’était une façon de taper et de rendre le texte officiel et définitif. J’ai aussi choisi cet outil car je le trouvais romantique. Pour ces deux nouveaux albums, j’ai juste écrit à la main car j’ai plus ou moins écrit toutes les paroles à l’extérieur, dans des pubs.

Ta façon d’écrire a beaucoup évolué au fil des albums. Au début, tu te cachais un peu derrière la musique puis tu as fini par te dévoiler en trouvant l’inspiration dans ton subconscient. Comment as-tu travaillé ton écriture dans celui-ci ?

Je pense que j’ai atteint un point dans ma carrière où je suis à l’aise avec ça. En traversant ces différentes phases d’écriture, en vieillissant et en gagnant de l’expérience, j’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie la plus naturelle en quelque sorte. Dans Holy Fire, j’avais pris la décision d’essayer d’écrire des textes qui m’exposaient beaucoup et qui pouvaient mettre mal à l’aise. En les relisant, je ressens une sorte de décalage. Aujourd’hui, mon écriture est une expression plus honnête des choses que je veux exprimer. Puis comme je l’ai dit, j’ai écrit ces albums dans des pubs le soir. Je commençais sobre et puis je buvais un peu. J’imagine que cela m’a fait me sentir un petit peu plus libre car j’avais un peu moins d’inhibition. Je recommande aux gens d’écrire en buvant.

Tout a été écrit à Londres ?

Presque tout a été écrit à Londres mais nous sommes aussi allés à Paris pendant quelques jours. Nous avons travaillé dans un studio appelé Studio La Marquise pour manipuler des sons. J’ai aussi un peu écrit en Grèce. Je ressens une force qui me tire là-bas, une sorte de pôle gravitationnel. Je suis un peu amoureux de cet endroit, j’adore les paysages, l’histoire. J’aime pouvoir y explorer mon passé. Mon expérience familiale de l’Angleterre s’est uniquement construite via ma mère qui est venue s’installer ici. J’adore les paysages anglais mais je ressens quelque chose de différent quand je vais en Grèce, quelque chose qui a plus à voir avec les mythes, l’héritage et le sentiment d’appartenance.

Foals. (© Alex Knowles)

Pourquoi avoir choisi de réaliser deux albums au lieu d’un seul ?

J’ai pensé que mettre tous nos morceaux dans un seul album serait un peu écrasant. Je ne pense pas que les gens auraient écouté tous les morceaux de la même manière et que chacun d’entre eux aurait reçu l’attention qu’il mérite. On a beaucoup discuté à ce sujet avec le groupe et la meilleure solution pour nous semblait de sortir deux albums. Cependant, ces deux projets ne sont pas séparés. Ils ont été écrits à la même période et les mêmes thèmes les parcourent. Ils ont été travaillés comme des amis, ils ont grandi ensemble de la plus petite idée au résultat final. Ils ont donc besoin d’être connectés mais ils ont aussi besoin d’avoir un espace qui les sépare pour être écoutés et appréciés de la meilleure des façons.

Vous êtes connus pour être très critiques envers vous-même. Ces deux projets ont-ils satisfait vos attentes ?

Je dirais que l’on a dépassé nos attentes dans le sens où l’on ne s’attendait pas à sortir deux albums. Ce projet était vraiment difficile à réaliser pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, nous avons perdu notre bassiste Walter Gervers. J’étais contrarié mais j’ai compris qu’il voulait faire quelque chose de sa vie qui serait plus épanouissant pour lui. On l’a revu depuis son départ et il est heureux. C’est comme une rupture mais on ne pouvait le garder enchaîné dans le groupe. Nous devions le laisser partir. De plus, nous n’avions pas de producteur cette fois. Je devais donc penser à l’écriture, mais aussi au son, et prendre beaucoup de décisions. Aujourd’hui, je me sens fier, et quand nous aurons un peu de distance vis-à-vis de ces deux albums, je pourrais ressentir la satisfaction mais pour le moment, c’est juste agréable de se sentir bien.

Pourquoi vous êtes vous dirigé vers l’autoproduction ?

Pour être honnête, c’est quelque chose que Jack Bevan (le batteur du groupe) voulait qu’on fasse. Il m’a encouragé à le faire. Pour ma part, j’étais plus hésitant car je réalisais que cela impliquait plus de travail de mon côté mais Jack avait foi en cette idée que nous pouvions y parvenir. C’était compliqué et nous avons travaillé très dur. Nous avons passé des journées et des nuits au studio mais je ne pense pas que nous aurions fait les deux albums que nous voulions si nous avions travaillé avec un producteur.

“Je serais heureux de savoir que je fais toujours de la musique”

En 2018, vous célébriez les dix ans de votre premier album Antidotes. Quel regard portes-tu sur cette période de l’histoire du groupe ?

Je ne sais pas comment répondre à cette question. Il y a beaucoup de choses que j’aurais faites différemment avec le recul mais en même temps, il y a beaucoup de choses que nous avons faites correctement. À l’époque, il y avait une sorte de très belle naïveté, à la fois dans les morceaux mais aussi dans l’excitation que nous ressentions à l’intérieur du groupe et à l’extérieur avec les gens autour de nous qui ressentaient de l’enthousiasme pour ce que nous faisions. Nous ne pourrions pas redevenir comme ça.

Es-tu devenu la personne que tu voulais devenir à cette époque ?

À l’époque, j’étais très inquiet à l’idée de ne pas pouvoir faire de la musique sur le long terme. J’étais effrayé que tout cela s’arrête brutalement, que ce ne soit qu’un beau rêve et que je me réveille de celui-ci pour retourner travailler dans des cafés. Je serais heureux de savoir que je fais toujours de la musique.

Everything Not Saved Will Be Lost Part 1, le nouvel album de Foals, sera disponible le 8 mars 2019 et Everything Not Saved Will Be Lost Part 2, à l’automne 2019.