À la rencontre de Fally Ipupa, la star congolaise qui veut conquérir le public français

À la rencontre de Fally Ipupa, la star congolaise qui veut conquérir le public français

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Crédits : @SarahSchlumberger

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Par Léa Marie

Publié le

Prince de la rumba congolaise, Fally Ipupa, qui vit entre Paris et Kinshasa, a fait un détour chez Konbini pour parler musique africaine, rap français, et mélange de cultures.

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Véritable star en République démocratique du Congo, Fally Ipupa ne dit (pour l’instant) pas grand-chose à la plupart des Français. Et pourtant, le roi de la rumba congolaise a près de vingt ans de carrière derrière lui, s’est produit à Bercy et a remporté, en 2015, le prix de la Personnalité masculine africaine la plus influente de l’année aux Africa Top Success Awards.

En France, il est surtout connu pour son récent duo avec Booba dans le très entraînant “Kiname” : une contraction entre Kinshasa, sa ville natale, et le Paname de B2o. Son quatrième et dernier album, Tokooos, marque un tournant musical dans sa carrière.

Il y propose d’autres collab’ avec des grands noms de la musique urbaine, à l’image du Français MHD, du Nigérian WizKid (entendu sur le langoureux “Come Closer” avec Drake), et même de l’icône déchue du R’n’B des 90’s, R. Kelly. Des choix artistiques qui traduisent la volonté du chanteur de partir à la conquête du public occidental. Et surtout français.

Le roi de la rumba congolaise

Fally Ipupa l’assume : son dernier album rompt avec son style traditionnel et constitue un tournant dans sa carrière. Son succès, il le doit à la rumba congolaise, un style dont il est désormais considéré comme le maître dans son pays d’origine et une bonne partie de l’Afrique. Beaucoup le voient d’ailleurs comme le digne héritier du mythique Papa Wemba.

Rythmes chauds, déhanchements, thèmes sentimentaux, le tout chanté en lingala (langue parlée au Congo) : telle est la recette de ce genre musical − l’un des plus populaires du continent africain. “C’est la musique la plus romantique, la plus douce, la plus belle”, affirme Fally. “Les textes parlent d’amour, de la gent féminine, la musique qui se danse à deux. C’est une musique de lover.” Et l’aspect lover de sa musique, il le revendique fièrement : “On n’est rien sans amour.”

“Je viens de créer mon propre style musical : la tokos music”

Au risque de froisser une partie de son public congolais, Fally Ipupa a voulu faire de Tokooos l’album du renouveau. Et de “l’ouverture au monde”, selon l’artiste. L’opus − dont le titre est un dérivé de “kitoko”, qui signifie “beau” et “bien” en lingala − est un savant mélange entre authenticité africaine et musique urbaine à l’occidentale.

Dans une interview accordée à Paris Match, Fally est allé jusqu’à lâcher, non sans humour, que Tokooos était “un album pour les blancs “. Certains de ses fans congolais lui ont d’ailleurs reproché d’avoir (partiellement) délaissé le lingala au profit du français et de l’anglais.

Mais attention : Tokooos n’est pas seulement le nom de son quatrième opus. Pour Fally Ipupa, le terme a carrément vocation à devenir un genre musical à part entière. Qu’il entend évidemment représenter et développer :

“Je viens de créer mon style musical : la tokos music. C’est un pont entre les deux mondes. J’ai gardé le côté authentique, avec de la guitare congolaise et des paroles en lingala, mais je l’ai mélangé avec un côté urbain. Tout artiste congolais sait faire de la rumba, donc avec le temps, j’ai essayé de créer mon propre style. La rumba sera toujours là dans mes chansons, mais travaillée à ma manière. De la rumba ‘fallynisée’, quoi ! “

La musique africaine à l’assaut des charts occidentaux

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la période actuelle sourit à la musique africaine. En France, la mode est à l’afro-trap. Incarné par le jeune rappeur d’origine sénégalo-guinéenne MHD − révélé au grand public par le fameux “Afro Trap, Part. 3 (Champions League)” −, ce style musical s’impose progressivement comme un sous-genre du rap français, tout comme la trap US est devenue un pilier du hip-hop.

Précédé par Mokobé, Booba a lui aussi saisi le potentiel des instrus afro en sortant l’incontournable “DKR“, un morceau rendant hommage à Dakar, dont son père est originaire. Une rupture nette avec son style habituel, qui va du rap dur au R’n’B autotuné.

Derrière les plus grands tubes d’afro-trap se cache d’ailleurs Dany Synthé, producteur d’origine congolaise également. Marier rap et musique africaine, c’est sa spécialité. La plupart des morceaux de MHD ? C’est lui. “Sapés comme jamais” de Maître Gims ? C’est encore lui, malgré son jeune âge (25 ans). Danny compte Papa Wemba et la guitare de rumba congolaise parmi ses influences musicales.

Les États-Unis non plus ne sont pas en reste. Le plus gros hit de l’album Views de Drake, “One Dance“, a été coproduit par la star nigériane WizKid, laquelle a par ailleurs invité ce dernier sur son hit “Come Closer” (assez injustement attribué à Drake dans l’opinion publique, alors que le rappeur canadien n’apparaît même pas dans le clip du morceau).

Plus récemment, “Unforgettable“, de French Montana, s’est imposé comme l’un des meilleurs morceaux R’n’B/hip-hop de l’été, voire de l’année 2017. Le clip du morceau, tourné dans les bidonvilles de Kampala, en Ouganda, donne la part belle aux Ghetto Kids et à leurs chorés inspirées des danses traditionnelles africaines.

“Le coin le moins exploité musicalement, c’est l’Afrique, alors que la musique africaine est très, très riche”

Si cette “hype” de l’afrobeat ravit Fally Ipupa, elle lui inspire tout de même quelques réserves :

“Je savais que ce moment arriverait un jour. Le coin le moins exploité musicalement, c’est l’Afrique, alors que la musique africaine est très, très riche. Ça ne me surprend pas qu’aujourd’hui, les artistes américains viennent puiser de l’inspiration en Afrique. Mais il faut que ce soit quelque chose de réciproque. […]

Il y a des gens qui se fâchent ! Ils viennent, ils choppent la musique et ils se barrent. Drake est un très grand artiste, mais bon, il faut que l’on ait de la reconnaissance, nous aussi. L’Afrique a déjà tellement souffert de l’exploitation humaine et matérielle… Maintenant, la musique aussi… On peut échanger culturellement, mais il faut s’entraider.

En Afrique, on n’a pas besoin d’eux, on est déjà connus. Comme en France, d’ailleurs. Ça sert à rien de faire des collaborations avec des artistes américains si ça ne passe pas aux États-Unis. C’est comme si je te disais : ‘Viens dans mon restaurant, commande à emporter et va manger chez toi.'”

Quoi que l’on en dise, il y a plus à y gagner qu’à y perdre. Fally Ipupa assume d’ailleurs totalement sa volonté de se tourner vers l’Hexagone : “Il est temps que le public français découvre autre chose.”

“J’espère que la prochaine génération prouvera que l’on ne fait pas que de la musique d’été. Et qu’elle fera de la musique de printemps, d’automne, et d’hiver !”

Demeure tout de même un certain dédain, chez une partie du public français, pour les musiques afro qui “font bouger”. Réduites à des tubes d’été ou à des musiques de mariage − ce qui n’est d’ailleurs pas forcément moins noble −, elles n’obtiennent que rarement la reconnaissance qu’elles méritent.

Pour Fally Ipupa, cela est en partie dû aux arbitrages effectués par les radios françaises qui, contraintes par un système de quotas, sélectionnent les valeurs sûres : les sons légers, les “tous publics”, ceux au potentiel commercial assuré… Mais qui cantonnent les productions africaines à un registre étriqué, alors que la culture musicale du continent africain est d’une diversité inégalée, et que des artistes comme Salif Keita ou Youssou N’Dour ne rentrent en rien dans ces cases.

“J’espère que la prochaine génération prouvera qu’on ne fait pas que de la musique d’été. Et qu’elle fera de la musique de printemps, d’automne, et d’hiver ! Moi, je parle des vraies choses dans mon nouvel album. On a des sujets beaucoup plus larges, beaucoup plus sérieux que le thème de la séduction. Mon album, c’est une sorte de livre pour savoir comment pratiquer l’amour. Et toutes ses facettes.”

Quant à ses collab’ avec des rappeurs français, Fally assure : “Je ne les ai pas faites pour me faire connaître, mais pour l’amour de la musique. Ce mélange culturel, c’est ce qui fait évoluer la musique.” Le chanteur suit donc de près l’actualité musicale française. Interrogé sur les rappeurs qui l’inspirent actuellement, Fally répond, sans hésiter : “Niska et son tube ‘Réseaux’. Il est très très lourd.”

Encore une drôle de coïncidence : de son vrai nom Stan Dinga Pinto, Niska n’est autre que d’origine… congolaise. Une preuve de plus, pour Fally Ipupa, que “le Congo est en train d’envahir la scène française”. Et cette invasion, elle ne se fera certainement pas sans lui.