Entretien : Superpoze nous raconte son sublime album For We The Living

Entretien : Superpoze nous raconte son sublime album For We The Living

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Par Arthur Cios

Publié le

Alors qu’il vient de sortir un deuxième album absolument magistral, et juste avant son concert à l’Élysée Montmartre, entretien avec le prodige caennais Superpoze.

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Konbini n’arrêtera pas de tarir d’éloges de ce qui nous semble un des meilleurs producteurs de l’Hexagone de ces dernières années. Nous avions déjà passé pas mal de temps avec lui lors de la sortie de son premier album, puis de son EP. On ne pouvait passer à côté de For We The Living, album particulièrement abouti et dont le seul défaut, si on peut qualifier cela de défaut, est sa longueur — on aurait pas été contre une heure de Superpoze en plus.

Ce qui impressionne surtout, c’est la maturité du projet de ce jeune Caennais. Un projet qu’il a conçu et sorti en très peu de temps, sachant que son dernier EP date d’il y a moins d’un an. On s’est donc assis, longuement, pour discuter avec lui et pour parler de tout ça, mais aussi de ses influences, de ses projets à venir, et plus encore.

Konbini | La dernière fois qu’on s’est vus, tu sortais un EP, et voilà que tu sors déjà un album. 

Superpoze | En fait, l’EP sort de la première session de l’album, du nouveau. Je suis allé pendant un mois dans une maison dans le sud, à côté de Dax, dans le sud-ouest, entre mars et avril 2016, où j’ai enregistré beaucoup de musique pour l’album. J’avais des démos de “Gleam” et “Shelter”, je les ai terminés là-bas, je les ai sortis et j’ai rebossé sur l’album par la suite. Voilà. Mais c’était pas lié en soi.

Puis, vu que j’étais de plus en plus booké en DJ set, j’avais envie d’avoir un peu le son que j’avais commencé à développer sur Opening mais adapté au format des soirées où je mixais. C’était vraiment vu comme un outil.

Du coup, t’as quand même commencé à bosser dessus il y a presque un an…

J’ai mis 8-9 mois. J’avais eu toutes les idées dans cette maison, où il y avait deux pièces dédiées à la musique, une grande où il y avait tout le matériel électronique, synthé, ordi, etc., et une deuxième pièce avec le piano. C’est le domaine d’un ami, un bel endroit. Et un peu malgré moi, le fait d’avoir deux pièces distinctes a un peu façonné la création de l’album. Contrairement à Opening que j’ai composé dans une petite pièce dans l’appartement de ma mère, quelque chose de justement introspectif, là, il y avait des allers et retours. J’étais sur le piano, j’écrivais, j’écrivais, et d’un coup, “oh, j’ai trouvé un truc, c’est beau, ça m’intéresse”, et j’allais dans la pièce d’à côté, je rentrais la piste, je l’arrangeais. Enfin tu vois, je faisais des allers et retours.

Et je pense que ce sont ces allers et retours qui ont guidé, même si j’ai été pris par d’autres concepts musicaux, mon envie d’une marche de synthé super droite, avec un spectre super chargé, et une rupture très nette avec le piano et tout ce qu’il y avait dans la pièce, tous les bruits, tous les craquements. On laissait la fenêtre ouverte et j’ai enregistré, pas nécessairement volontairement, des bruits d’oiseaux par exemple. Je n’avais pas pensé à la rupture ainsi mais je pense que ça vient de là.

J’ai enregistré énormément de choses là-bas, quasiment tout, et après ici, pendant plusieurs mois, j’ai produit, arrangé, réécrit, affiné. Il y a un seul morceau, le premier de l’album, “Signal”, que j’ai fait ici intégralement. En utilisant des sons que j’avais enregistré là-bas. Et pareil, 80 % des percus de cet album, c’est juste moi qui tape sur le piano et ça c’est dû à un “accident”, un moment où on avait les micros placés près du piano et j’ai commencé à taper partout pour faire une piste de bruit, et voilà, tout est issu de ce bloc. C’est un petit twist marrant, fait de piano, instrument mélodique absolu, qui a amené les percus.

Donc tout a été conçu en deux mois ou presque ?

Ouais. En plus, je suis rentré dans un processus où je ne commence pas un morceau qui ne se finalise pas in fine. J’étais un peu en transition. Tout ce que je sors, c’est fini. Le reste, ça passe à la trappe.

Il y en a eu ?

Un. Un morceau qui est terminé et qui n’est pas dans l’album. Je ne sais pas si je me le garde en réserve ou pas, parce qu’il faisait sens dans la représentation que j’avais de ce disque. Mais je m’en servirai en tout cas.

C’était quoi cette représentation dont tu parles justement ?

Oulah. Alors je voulais plein de choses. Je me disais : “OK, Opening est un album très introspectif, avec un son, très identifiable, qui est le son que j’avais à ce moment-là, dans la pièce, etc.” Et tout le monde m’a dit que c’était très calme, très délicat, replié sur soi mais dans le bon sens du terme, intime donc. Et j’ai essayé de contextualiser le calme et l’intime en faisant une première partie beaucoup plus percussive, même si ça reste proche de ma musique, les quatre premiers morceaux. Puis de faire un point de rupture, un silence, et une deuxième partie qui retrouve ce côté-là, mélodique.

En parallèle, parce que faire de la musique, ça laisse du temps, j’ai vu pas mal de films et j’ai surtout beaucoup lu. Je lisais des trucs sur le “land art” notamment, sur le rapport à la catastrophe naturelle, à la destruction, mais un truc purement artistique, pas écolo. Juste cette sensation de vertige. Et je repensais à tous ces films assez populaires, Interstellar, Premier Contact, qui traitent aussi de l’espace-temps, de l’apesanteur, du vertige. Je trouvais ça fascinant dans le sens où c’était dans l’ère du temps, à une époque où on a tout vu, où tout est normal. Mais ce sont encore ces problématiques-là qui happent les gens. Tu peux te sentir tout petit et avoir un vertige de vie par rapport à ces questions-là.

Donc ça m’a un peu guidé sur les manières de construire les morceaux, avec de très grandes progressions, qui justement emportent un peu l’auditeur. Comme le morceau d’introduction qui monte, qui monte, et les éléments se transforment. Dans “For We The living”, tu as cette rupture nette qui arrive. Tu vois, j’essayais de jouer sur ce qui donne encore le vertige en musique, en repensant à ces questions dont on parlait, et je me suis dit que ce serait la rupture de linéarité, de prévisibilité, les montées, les progressions. Ça reste encore abstrait, ce sont des références et ça reste de la musique, mais ce sont des petites références que j’avais et que je trouvais intéressante. Je ne sais pas si tu vois…

Si, si, mais c’est assez fou d’avoir autant de postulat de départ avant de commencer un disque. 

Mais ça, c’était vraiment pendant. J’ai enregistré, et j’ai commencé à me plonger dedans. Le dernier morceau de l’album par exemple, qui s’appelle “The Importance of Natural Disasters”, c’est le nom d’un petit texte d’un artiste de “land art” qui s’appelle Walter de Maria. Il y dit en gros que si tous les gens dans un musée pouvaient ressentir ce qu’on ressent face à une irruption volcanique ou quand le sol se fend sous nos pieds, alors ils se rendraient compte de la vraie puissance de l’art. En gros, il pense que les catastrophes naturelles ont été regardé sous un mauvais œil, un mauvais angle. On dit que c’est signe de mort alors que c’est ultime, c’est là où on a le plus grand vertige. J’ai trouvé ce texte vraiment super inspirant. Ça se rapproche assez des problématiques que j’avais sur Opening, la recherche de l’espace, d’avoir de l’air. Ce sont les trucs qui m’ont guidé.

Après, d’un point de vue musical, il y avait plusieurs points. Je voulais vraiment un jeu sur les percussions, qui sont mes instruments de base. Je me suis rendu compte qu’il fallait une certaine maturité pour utiliser les percus, sinon tu en fais beaucoup trop, mais à ce moment-là, je pensais être apte à me replonger un peu dedans, je me disais avoir plus de recul sur ça.

Et je voulais aussi ce truc de parties. J’ai ce morceau, “On The Mountain Top”, le cinquième titre de l’album, qui est en soi une partie de piano on ne peut plus classique, en ligne droite, enfin c’est vraiment une ritournelle. Ce morceau, isolé, il est mignon. Au sein de l’album, je le trouve super puissant, parce que c’est après toute la première partie où il se passe des choses, on a des émotions, et on se rend compte que si ce morceau calme, et simple est si puissant, c’est parce qu’on a vécu des trucs avant. C’était quelque chose que j’avais envie d’atteindre. Donc j’avais un peu toutes ces idées en vrac.

“Après les deux ans de tournée, j’étais beaucoup plus serein et je pouvais faire ce disque sans avoir de référence fixe.”

Mais comment tu composes avec ça en tête ? Est-ce que tu te fais une mélodie où tu te dis “Ah tiens, ça pourrait aller là?” ou tu cherches à aller dans telle ou telle direction avant même de te mettre devant ton piano ?

Hum. Alors… Ça dépend. Globalement, je fais d’abord de la musique. Tu sais, pour Opening, on me disait que ça évoquait plein d’images, que c’était très cinématographique, et je disais : “Certes, mais ce n’était pas un postulat de départ, c’était plutôt quand les images apparaissaient que le morceau était fini”. T’as raconté l’histoire.

Là, j’ai toujours un peu ça. J’ai des idées de sensations. Je veux un morceau avec une percussion lourde et très droite qui est complètement rompue par un piano qui sort de nulle part. Je veux ça. Après, je fais du piano, je me laisse guider par la musique, et hop, ça m’attrape. Et si ça m’attrape moi, c’est que ça peut attraper d’autres gens. C’est ce que je me dis. J’ai un rapport très cérébral à ma musique, mais pas que cérébral. Je reste un auditeur juste pour le plaisir de la musique. J’ai les deux.

Tu parlais de regarder des films pendant la composition de l’album, t’écoutais de la musique aussi ?

Ouais, mais moins que pendant Opening. Il y a des disques que j’ai beaucoup aimé, mais c’est marrant, j’avais pas de grands disques de référence. Si, j’avais un truc. Tu vois le groupe Talk Talk ? Ils ont commencé leur discographie par des choses une peu new wave, et à la fin, sur les deux derniers albums, ils ont changé de cap complètement et sont allés sur des trucs super progressifs. On dit que c’est les pionniers du post-rock. Donc Spirit of Eden et Laughing Stock, il y a une tracklist mais elle ne sert pas à grand chose. On s’en fout, c’est pas l’idée, c’est le tout. Ça, ça m’a guidé. J’aime les choses qui prennent leur temps. Mais voilà, je pense qu’Opening était une grande nouveauté pour moi, et j’avais besoin de disques “repères” parce que j’avais peur que les gens ne captent pas. Après les deux ans de tournée, j’étais beaucoup plus serein et je pouvais le faire sans avoir de référence fixe.

Mais après, je me suis pris Radiohead, Bon Iver, Nicolas Jaar, dans la tronche. Il y a deux choses, la pop musique qui s’alimente et se nourrit d’elle-même, et t’as des personnes, qui sont quand même des stars, qui “autodétruisent” leur œuvres, pour dire “qu’est-ce qu’on invente maintenant?”, et je trouve ça super inspirant. Il y a un truc drôle par exemple. Mon morceau d’introduction dure 8 minutes et celui de fermeture dure 2 minutes, et je trouvais ça intéressant de faire le parfait inverse de ce qu’on fait d’habitude, à savoir une intro courte et une conclusion plus longue. Je ne dis pas que j’ai fait comme eux, mais ça m’a un peu libéré d’une pression où l’on doit rentrer dans des carcans.

Je me souviens que quand j’ai fait écouter à ma mère mon album, je lui ai filé un CD et elle m’a dit “l’ouverture est géniale, ça fait une vraie ouverture comme dans Opening, en plus les deux morceaux font la même durée et ça introduit le disque pareil.” “Opening”, il fait 4 minutes 40 je crois, et “Signal” il fait 8 minutes 40. Et elle qui écoute la musique en voiture, son ressenti était le même. Et j’étais trop fier parce que pour moi, la musique c’est vraiment le jeu du temps et j’avais l’impression d’avoir réussi.

Et tout ça en plus assez rapidement.

Exactement. Et j’ai déjà commencé à bosser sur le prochain.

Sérieusement ?

Ouais, ouais ! [rires] C’est le baby blues. Une fois que t’as lâché ton bébé, t’attends la tournée et puis, “qu’est-ce que je fais ?” Et aussi, je suis un grand insatisfait, je m’ennuie vite, je suis soulé.

Mais tu pourrais lancer des projets avec d’autres personnes…

Ah, si, si ! Je fais la musique d’une pièce de théâtre, pour début 2018. C’est beaucoup de composition, parce que ça dure 1 heures 30 quand même. Et là, je bosse avec le rappeur Lomepal sur son album. J’étais avec lui ces derniers jours, l’album est fini. J’ai fait des remix, et voilà.

La dernière fois, tu me parlais de bosser avec Jacques aussi ?

Ouais, on a commencé à bosser ensemble sur un morceau, qui est très avancé. Il est pas finalisé mais j’ai aucune idée de ce que ça va donner. Un titre très, très long, enfin pour l’instant. Et on l’a fait au même endroit, là où j’ai fait mon album, mais pas à la même période. Tu vois, je fais pas que ça [rires].

C’est marrant, on me racontait il y a pas longtemps que Jackson and His Computer Band était aussi un grand insatisfait…

Il a passé huit albums à la trappe avant de sortir son deuxième, sur lequel il a passé plus de 10 ans à bosser avant de le sortir, ouais.

Tu vois, ça pourrait être ça le vice d’être insatisfait, mais…

Exactement, mais ma réponse à ça, c’est de dire que ça me plaît là maintenant, et que le meilleur moyen de passer à autres choses, c’est de le sortir maintenant. Sinon, je ne ferais qu’un seul album qui me prendrait 40 ans. Mais j’ai pas envie, c’est pas drôle.

Il y a des trucs que t’écoutes d’avant Opening et tu te dis “ouch”

Ouais, mais plus sur des idées parfois ou sur les façons dont c’est fait. C’était il y a pas longtemps, j’avais 18 ans, à peine plus. Tu me disais que t’aimais beaucoup “Silver Head”, c’était en 2013 tu vois. J’aime beaucoup les morceaux de cet EP, Jaguar.

J’ai plus de mal avec ceux d’avant, mais non. Ce qui est intéressant, c’est que je me vois évoluer. Les gens qui écoutent ma musique peuvent aussi me voir évoluer et je trouve ça bien. Ce serait super intéressant, sans prétention hein, de regarder quand j’aurai 30 ans, quand j’aurai sorti 4 ou 5 albums, d’écouter tout ça, de voir ce que ça vaut.

Tu penses que t’en auras sorti autant ? T’as déjà des perspectives en tête ?

Je suis trop chaud [rires]. Non mais on peut pas tout savoir avant mais là, tout de suite, je me sens chaud. J’ai un rapport à la “série” d’albums, qui m’intéresse. J’ai déjà un peu en tête le troisième album, qui serait la fin des séries en “ing” (après Opening et For We The Living), et ensuite commencer une autre série. C’est aussi pour ça que je fais des albums courts, parce que ça permet d’avoir des blocs sériels que je trouve plus pertinents que de passer trois ans sur un album et de passer sa vie à ça.

Après tu sais, je te dis ça, si ça se trouve dans deux mois, j’aurais changé d’avis. [rires]

Vous pouvez écouter l’album For We The Living de Superpoze ici. Il sera en concert à l’Élysée Montmartre le 30 mars.