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Entretien : reclus dans son terrier, Hippocampe Fou a une imagination débordante

Entretien : reclus dans son terrier, Hippocampe Fou a une imagination débordante

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(© Kop3to & Shinoart)

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Par Jérémie Léger

Publié le

Pour son troisième album Terminus sorti le 9 mars dernier, Hippocampe Fou s’est transformé en rat-taupe nu et nous emmène dans l’intimité de son terrier.

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Hippocampe Fou porte bien son nom. À l’instar de son cousin des mers, ce poisson qui ne ressemble à aucun de ses congénères, Sébastien Gonzalez, de son vrai nom, est atypique et quelque peu fantasque dans le paysage du rap français.

Radio France internationale a d’ailleurs placé son style musical entre MC Solaar et Boby Lapointe. Bien plus que ça, lorsqu’il émerge de la scène rap underground en solo en 2013, le rappeur invente carrément un style bien à lui : celui du “rap aquatique”, porté par un premier album, Aquatrip.

Après avoir fait le tour de l’imagerie océanique, c’est à partir de son deuxième album qu’il décide de pousser encore plus loin son concept en suivant les traces du cycle de l’eau. Son eau de mer s’est alors naturellement évaporée pour former des nuages, et donner naissance à l’album Céleste.

La suite logique pour boucler la boucle était donc pour lui un retour à la terre, un retour sous terre même, histoire de ne pas se contenter d’être terre à terre. Le cycle s’achève alors, c’est la fin du voyage, et Terminus, son troisième album sorti le 9 mars dernier, est né. Il confie :

“Le monde souterrain est quelque chose de mystérieux, lorsqu’on s’y aventure, on ne sait jamais à quoi s’attendre. C’est ce que j’ai voulu proposer avec ce troisième album. Je suis fan de George Lucas et de tous ces gars qui pensent sur le long terme, c’est pour ça que je cherchais depuis le début à faire des connexions entre mes projets.”

Faire du jazz et devenir intemporel

S’il n’a pas changé de nom pour ce troisième opus, l’hippocampe s’est finalement transformé en rat-taupe nu, un animal tout aussi bizarre que le premier, pour s’adapter à son nouveau terrain de jeu, la terre.

Résultat ? Même reclus dans son terrier, Hippo est comme un poisson dans l’eau. Avec ce troisième album, il enfonce le clou et offre un projet encore jamais vu dans sa discographie, avec une direction artistique orientée beaucoup plus jazzy.

“Le choix du jazz acoustique s’est fait car quand j’ai commencé à bosser sur l’album, je voulais faire un ensemble chaleureux, dans le genre comédie musicale à l’ambiance “Disney”. Ce que l’on retrouve dans Les Aristochats ou Le Livre de la jungle par exemple.

Pour en arriver là, c’est Max Pinto qui a composé les 3/4 de l’album. Il a aussi travaillé avec Ben l’Oncle Soul et Beat Assailant après avoir bossé avec moi sur Aquatrip. La grande différence cette fois, c’est que l’album a été composé sous mes yeux.

J’étais là et j’ai pu l’aiguiller pour que l’identité sonore me corresponde parfaitement. C’est vraiment la première fois que je travaille comme ça et je suis fier de ce que ça donne. Tout a été fait pour que le résultat ressemble à une bande originale de film.

Les thèmes que j’avais déjà choisis en amont ont vraiment pu avoir un habillage plus cohérent que sur mes précédents albums. Je voulais proposer quelque chose d’intemporel et qui me ressemble à 100 %.”

Hippocampe Fou, ce clown triste

Hippo le conteur qui avait l’habitude de nous faire voyager dans des mondes oniriques a cette fois-ci joué la carte d’un projet plus humain et personnel. Sur cet album, chaque morceau correspond à une émotion particulière. Néanmoins, celle qui l’emporte sur l’opus reste la mélancolie.

Une tristesse ambiante qui vient s’ajouter au tempérament d’un artiste naturellement casanier, nonchalant et solitaire. Si Diam’s était dans sa bulle, Hippocampe Fou reste dans son terrier, dans son “trou” comme il le dit. De plus, son expatriation a New York ne l’a pas aidé à combler ce sentiment de solitude. Un mal-être qu’il exprime dans des titres comme “Triste” ou “Le Mal du pays”.

“En partant à New York avec ma famille, je me suis retrouvé vraiment seul, ça m’a aidé à faire le point. La solitude que j’ai ressentie là-bas les premiers mois, le fait de se retrouver isolé de ses proches, on a le mal du pays.

Ta femme est au travail, tes enfants à l’école et toi tu te retrouves tout seul. C’était quelque chose de nouveau pour moi. J’ai pu exploiter tout ça et m’en nourrir. Je pense que ça m’a permis d’être plus sincère et introspectif que je ne l’ai jamais été dans un projet.”

En définitive, Hippocampe Fou, c’est ce mec en décalage total avec la réalité. Ce mec lent dans un monde qui va trop vite. Ce mec assis sur un banc qui se contente d’observer les gens défiler sous ses yeux.

“Ils se dépêchent de vivre, moi j’existe et je prends mon temps”, chante-il dans son morceau “Lent”. “Être observateur m’aide à être créatif, mais la pire angoisse pour un mec lent comme moi, c’est de prendre le métro aux heures de pointe”, s’amuse-t-il.

S’amuser, justement : vous l’aurez sans doute remarqué, l’humour et l’autodérision restent son arme la plus puissante. Présent depuis ses premiers albums, le second degré fait partie intégrante de sa personnalité :

“Un album sans humour est inenvisageable pour moi. Pour retranscrire les émotions humaines le plus sincèrement possible, il faut à la fois de la tristesse et de l’humour. Dans la vie, les émotions sont en dents de scie. On peut passer en trois minutes d’un état d’euphorie à un état de tristesse.

C’est humain et c’est ce que je veux explorer en tant qu’artiste. Je suis comme ça, j’aime rire et il m’arrive de pleurer aussi donc je voulais mettre tout ça dans un album. J’ai décidé de m’ouvrir sans pour autant me cacher derrière mon personnage d’Hippocampe Fou.”

Un père de famille accro au sexe

La paternité a toujours été l’un des fers de lance de la musique d’Hippo, qu’il soit en mer, dans les étoiles ou sous terre. Au point même qu’on aime à appeler sa musique “du rap de daron”. Pour une raison toute simple, c’est qu’à l’aube de son premier album, le rappeur était déjà papa.

Une force pour lui, qui confie être depuis longtemps touché par ces artistes qui évoquent leurs enfants dans leur musique. Il cite comme exemple Oxmo Puccino dans “Un week-end sur deux” ou “Doux Daddy” de Catherine Ringer. Un instinct paternel on ne peut plus normal d’ailleurs puisque, rappelons-le, chez l’hippocampe, c’est le mâle qui porte les œufs.

Mais il a beau tenir à cœur son rôle de père, cela ne l’a pas pour autant empêché d’exprimer ses fantasmes les plus profonds et sa fascination pour le corps en musique. Dans “Dormez-vous”, il raconte avec humour et sincérité comment une folle partie de jambes en l’air avec sa femme se retrouve interrompue à cause de son fils qui n’arrive pas à dormir. C’est d’ailleurs les vrais pleurs de son fils qu’il a enregistrés.

Une histoire dans laquelle pourra se reconnaître n’importe quel jeune père de famille. Les plus jeunes qui écoutent pourront aussi prendre ça comme un avertissement des conséquences de la parentalité : “Faites des gosses !”, comme dirait l’autre.

Toujours plein d’idées niveau cul, ce poisson fantasque décidément chaud lapin ne fait pas du sale, mais ne fait pas non plus dans la finesse. Relever toutes les métaphores sexuelles de ses morceaux s’avère même être un job à plein temps.

Mais c’est franchement jouissif, car l’artiste essaye de pousser toujours plus loin son imagerie. On parle quand même d’un mec qui dans son titre “Les Voisins” fantasme en entendant ses voisins faire l’amour sauvagement. Il raconte :

“À mon sens, les meilleurs scénaristes sont sans doute ceux qui ont des vies inintéressantes parce qu’ils peuvent s’évader grâce à leurs créations et aller au plus loin possible de leurs idées. Moi et le sexe, c’est un peu la même chose.

Je ne m’ennuie pas à ce niveau-là, mais ça fait des années que je suis avec ma femme, et c’est vrai que parfois il y a des pulsions, des frustrations quand tu croises la route de personnes attirantes.

Bien sûr, je suis fidèle, mais du coup, j’extériorise tous mes délires dans mes phases. Je peux être très imagé, mais je ne veux jamais tomber dans la vulgarité. Déjà parce que je ne m’y reconnais pas, et aussi parce que d’autres artistes le font déjà très bien.

Encore une fois, je préfère l’humour et la fantaisie. Qui sait, peut-être qu’un jour je réaliserai des films érotico-fantastiques avec des hippocampes et des rats-taupes nus !”

Mais il reste attentif et assure que ses enfants ne l’ont jamais surpris pendant l’acte sexuel. On croise les doigts pour que ça continue, sinon l’Hippocampe Fou pourrait bien déchanter plus tôt que prévu.